10-24-2007, 05:30 PM
Décembre, quelque part dans le nord canadien
Cet hiver était particulièrement glacial.
Du moins, c’est ce que Rosa déduit alors qu’elle avançait péniblement dans la tempête. Ses bottes étaient lourdes, son manteau gelé par les innombrables flocons balayés par le vent, et que dire de son visage ! Elle ne pouvait même plus bouger les lèvres. Rosa remonta son col et resserra les cordons de son capuchon ; elle se souviendrait du Noël de cette année. Tomber en panne à un endroit pareil, c’était le comble de la malchance.
La route enneigée était bordée d’une muraille de conifères sombres. Les yeux plissées, Rosa ne pouvait distinguer les formes des arbres alors que le blizzard soufflait de plus belle. L’insigne indiquait deux kms. Deux kilomètres avant de tomber sur un téléphone qui lui permettrait de rentrer chez elle, là où un feu de foyer l’attendait ainsi qu’une tisane chaude ! Et le plus important : lui. Lui l’attendrait pour la serrer dans ses bras réconfortants.
Elle leva une main gantée devant son visage. Le vent était coupant pour la peau. Regarder le sol, avancer. Rosa accéléra son pas. La jeune femme se permit toutefois de regarder par dessus son épaule. Sa voiture noire se perdait maintenant dans la nuit. Elle respira un bon coup : le froid lui coupa le souffle.
*
Alors que vous trempez délicatement votre main dans l’eau glacée, vous êtes d’abord saisi. Puis, une douleur sourde s’installe dans votre membre, alors que l’engelure se créer sur vos doigts. Et peu à peu, vos muscles s’endorment ; un sommeil où le temps n’a pas d’effet.
*
Le faisceau de lumière surplombait la cabine téléphonique. Il ne lui restait plus que quelques mètres avant d’atteindre l’appareil. Un sourire effacé apparu sur les lèvres de Rosa. Son visage refusait de bouger d’avantage : il fallait faire vite avant l’hypothermie.
Elle frotta ses yeux où de minuscules glaçons s’étaient formés entre les cils. Rosa réussit à ouvrir ses paupières un peu plus, cherchant la brillance de la lampe.
Et c’est à ce moment qu’elle la vit.
D’abord, elle distingua une silhouette longiligne dans la lumière orangée du lampadaire. Elle pensa à un arbre, après tout, elle était au milieu de nul part. La jeune femme avait croisé peu de véhicule durant son trajet. Seules les remorques gigantesques se risquaient à fendre la neige accumulée au sol. Mais Rosa ne voulait pas attendre le lendemain matin ; elle voulait le voir au plus vite, le serrer dans ses bras, et lui faire l’amour. Ce soir. Cette nuit. Les amants ne percevaient pas le temps de la même manière, il était toujours trop court et effrité.
Puis, la forme se précisa en une femme de grande taille. Elle tenait le combiné à son oreille et semblait animée. Au travers de son capuchon, Rosa distinguait maintenant des mots étouffés. « Mais… Lo… Non… Haïs… Sais… Tu.. » L’inconnue se tourna vers elle, interpellée par le bruit de la neige compactée. Elle arrêta nette sa conversation et sembla l’observer pendant un instant. Rosa remarqua alors qu’elle était nue tête, sa chevelure tourbillonnant dans la rafale. En fait, elle ne portait qu’un long manteau ajusté au col de fourrure et une paire de… talons aiguilles ?
L’inconnue raccrocha le combiné après une série de hochements de tête ennuyés et s’avança vers Rosa. Son pas était félin, et sa démarche assurée. Comment pouvait-elle conserver une allure aussi sensuelle dans cette tempête de tous les diables ? Rosa pensa alors à sa propre tête, se disant qu’elle devait ressembler d’avantage à un sac de couchage avec son gros manteau de plumes qu’à un être humain. En fait, il y avait quelque chose d’inquiétant dans son aisance. Le peu de clarté qu’offrait le lampadaire dévoilait maintenant une peau satinée, de couleur bronze. Il est vrai que les voyages dans le sud avaient le cote à cette époque ci de l’année.
Or, c’est probablement la baisse de température soudaine à l’approche de l’inconnue qui paralysa Rosa sur place, et non son étrange beauté exotique.
*
Elle claqua des doigts. Le temps s’arrêta encore une fois, alors que la glace emprisonna la vie entre ses murs de givres. La beauté était la même qu’au premier jour, alors que chaque particule, atome, cellule cessaient leur va-et-vient épuisant, saisissant la perfection dans l’immobilité. Elle observa ce visage crispé avec une indifférence effroyable.
Un sommeil où le temps n’a pas d’effet.
*
Rosa respirait péniblement. Son corps ne répondait plus aux appels alertés de son cerveau. Il faisait si froid, si froid. Elle avait peur de casser d’un moment à l’autre. Son sang semblait figé dans ses veines. La jeune femme savait maintenant qui se tenait face à elle. Cette peur était innée, profonde, immuable. Celle-là même que tout homme refoulait devant l’inconnu, le noir, le néant. Cette vérité que chacun tentait d’enfouir le plus loin possible, alors que vous vous tenez seul dans une pièce vide et que votre propre souffle n’est plus le vôtre.
Mais le leur.
Combattant maintenant une fatigue trop douce, Rosa avait du mal à discerner les flocons suspendu dans l’air. Tout semblait s’être figé dans un silence absolu. Une pâle couche de glace offrait une teinte bleuâtre à la nuit d’encre, autour. Le visage de l’inconnue se fendit d’un sourire entendu, alors qu’elle se penchait vers Rosa. L’Être, car elle n’était pas… non, elle était autre chose, dominait complètement la jeune femme, une buée blanche exultant de sa bouche.
-Oui, une beauté éternelle, c’est ce que je peux te promettre. Une mort douce aussi.
Une main plus que froide se posa sur la joue de Rosa. La nuit devint plus épaisse, la noirceur plus dense, le silence plus lourd encore. Un nom résonna dans sa tête ; celui de sa propre fin. L’inconnue enlaçait maintenant la jeune femme avec douceur, car elle savait qu’elle n’aurait pas à combattre une résistance. Rosa ne songeait même plus à s’enfuir, se battre ou même bloquer cette intrusion féroce dans son esprit. Le froid, toujours plus intense lui interdisait de tenter quoi que ce soit. Un voix doucereuse lui promettait tant de choses, une berceuse accueillante. Rosa ferma enfin les yeux. « Tu y es presque. » Déjà, il semblait faire meilleur là où elle s’en allait.
– Bonne nuit Rosa.
Cet hiver était particulièrement glacial.
Du moins, c’est ce que Rosa déduit alors qu’elle avançait péniblement dans la tempête. Ses bottes étaient lourdes, son manteau gelé par les innombrables flocons balayés par le vent, et que dire de son visage ! Elle ne pouvait même plus bouger les lèvres. Rosa remonta son col et resserra les cordons de son capuchon ; elle se souviendrait du Noël de cette année. Tomber en panne à un endroit pareil, c’était le comble de la malchance.
La route enneigée était bordée d’une muraille de conifères sombres. Les yeux plissées, Rosa ne pouvait distinguer les formes des arbres alors que le blizzard soufflait de plus belle. L’insigne indiquait deux kms. Deux kilomètres avant de tomber sur un téléphone qui lui permettrait de rentrer chez elle, là où un feu de foyer l’attendait ainsi qu’une tisane chaude ! Et le plus important : lui. Lui l’attendrait pour la serrer dans ses bras réconfortants.
Elle leva une main gantée devant son visage. Le vent était coupant pour la peau. Regarder le sol, avancer. Rosa accéléra son pas. La jeune femme se permit toutefois de regarder par dessus son épaule. Sa voiture noire se perdait maintenant dans la nuit. Elle respira un bon coup : le froid lui coupa le souffle.
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Alors que vous trempez délicatement votre main dans l’eau glacée, vous êtes d’abord saisi. Puis, une douleur sourde s’installe dans votre membre, alors que l’engelure se créer sur vos doigts. Et peu à peu, vos muscles s’endorment ; un sommeil où le temps n’a pas d’effet.
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Le faisceau de lumière surplombait la cabine téléphonique. Il ne lui restait plus que quelques mètres avant d’atteindre l’appareil. Un sourire effacé apparu sur les lèvres de Rosa. Son visage refusait de bouger d’avantage : il fallait faire vite avant l’hypothermie.
Elle frotta ses yeux où de minuscules glaçons s’étaient formés entre les cils. Rosa réussit à ouvrir ses paupières un peu plus, cherchant la brillance de la lampe.
Et c’est à ce moment qu’elle la vit.
D’abord, elle distingua une silhouette longiligne dans la lumière orangée du lampadaire. Elle pensa à un arbre, après tout, elle était au milieu de nul part. La jeune femme avait croisé peu de véhicule durant son trajet. Seules les remorques gigantesques se risquaient à fendre la neige accumulée au sol. Mais Rosa ne voulait pas attendre le lendemain matin ; elle voulait le voir au plus vite, le serrer dans ses bras, et lui faire l’amour. Ce soir. Cette nuit. Les amants ne percevaient pas le temps de la même manière, il était toujours trop court et effrité.
Puis, la forme se précisa en une femme de grande taille. Elle tenait le combiné à son oreille et semblait animée. Au travers de son capuchon, Rosa distinguait maintenant des mots étouffés. « Mais… Lo… Non… Haïs… Sais… Tu.. » L’inconnue se tourna vers elle, interpellée par le bruit de la neige compactée. Elle arrêta nette sa conversation et sembla l’observer pendant un instant. Rosa remarqua alors qu’elle était nue tête, sa chevelure tourbillonnant dans la rafale. En fait, elle ne portait qu’un long manteau ajusté au col de fourrure et une paire de… talons aiguilles ?
L’inconnue raccrocha le combiné après une série de hochements de tête ennuyés et s’avança vers Rosa. Son pas était félin, et sa démarche assurée. Comment pouvait-elle conserver une allure aussi sensuelle dans cette tempête de tous les diables ? Rosa pensa alors à sa propre tête, se disant qu’elle devait ressembler d’avantage à un sac de couchage avec son gros manteau de plumes qu’à un être humain. En fait, il y avait quelque chose d’inquiétant dans son aisance. Le peu de clarté qu’offrait le lampadaire dévoilait maintenant une peau satinée, de couleur bronze. Il est vrai que les voyages dans le sud avaient le cote à cette époque ci de l’année.
Or, c’est probablement la baisse de température soudaine à l’approche de l’inconnue qui paralysa Rosa sur place, et non son étrange beauté exotique.
*
Elle claqua des doigts. Le temps s’arrêta encore une fois, alors que la glace emprisonna la vie entre ses murs de givres. La beauté était la même qu’au premier jour, alors que chaque particule, atome, cellule cessaient leur va-et-vient épuisant, saisissant la perfection dans l’immobilité. Elle observa ce visage crispé avec une indifférence effroyable.
Un sommeil où le temps n’a pas d’effet.
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Rosa respirait péniblement. Son corps ne répondait plus aux appels alertés de son cerveau. Il faisait si froid, si froid. Elle avait peur de casser d’un moment à l’autre. Son sang semblait figé dans ses veines. La jeune femme savait maintenant qui se tenait face à elle. Cette peur était innée, profonde, immuable. Celle-là même que tout homme refoulait devant l’inconnu, le noir, le néant. Cette vérité que chacun tentait d’enfouir le plus loin possible, alors que vous vous tenez seul dans une pièce vide et que votre propre souffle n’est plus le vôtre.
Mais le leur.
Combattant maintenant une fatigue trop douce, Rosa avait du mal à discerner les flocons suspendu dans l’air. Tout semblait s’être figé dans un silence absolu. Une pâle couche de glace offrait une teinte bleuâtre à la nuit d’encre, autour. Le visage de l’inconnue se fendit d’un sourire entendu, alors qu’elle se penchait vers Rosa. L’Être, car elle n’était pas… non, elle était autre chose, dominait complètement la jeune femme, une buée blanche exultant de sa bouche.
-Oui, une beauté éternelle, c’est ce que je peux te promettre. Une mort douce aussi.
Une main plus que froide se posa sur la joue de Rosa. La nuit devint plus épaisse, la noirceur plus dense, le silence plus lourd encore. Un nom résonna dans sa tête ; celui de sa propre fin. L’inconnue enlaçait maintenant la jeune femme avec douceur, car elle savait qu’elle n’aurait pas à combattre une résistance. Rosa ne songeait même plus à s’enfuir, se battre ou même bloquer cette intrusion féroce dans son esprit. Le froid, toujours plus intense lui interdisait de tenter quoi que ce soit. Un voix doucereuse lui promettait tant de choses, une berceuse accueillante. Rosa ferma enfin les yeux. « Tu y es presque. » Déjà, il semblait faire meilleur là où elle s’en allait.
– Bonne nuit Rosa.