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Magnus
#1
Une famille de crécerelles sort de sa torpeur nocturne et s'ébroue joyeusement dans son nid duveteux accroché à une branche d’abélia en fleurs, tout en entonnant leur premier récital de pépiements dans la brise parfumée d'un matin d'été sur le point d’éclore.
Son réveil de bonne heure, bien que prématuré, offre à elle cette symphonie cantilène qui égaye son esprit encore embrumé. Elle s’approche de la tabatière à pas de loup, les rayons audacieux de Phébus forçant les fibres du voilage et lui agaçant l’iris. Manipulant la douce étoffe avec circonspection, son regard concupiscent plonge dans l’embrasure qui s’offre à ses sens.
Le spectacle qu’elle découvre, et qu’elle savoure quelques instants, l’éblouit et lui fait rendre grâce à cette nature thaumaturge.
Mais la funeste réalité ne s’accommode point d’atermoiements, nulle possibilité de surseoir à l’affligeant labeur qui l’exhorte à mettre ainsi la main à la pâte dès l’aurore.
En baillant, elle étire nonchalamment ses membres telles des élytres déployées, et c’est exempte de toute félicité qu’elle s’installe à présent devant son écran.

Magnus se matérialise. Gravure fantasmagorique en ce paisible et opulent boudoir, sa silhouette se dessine en un jeu antithétique d’ombres et de reflets de halo flamboyant. Silencieusement, ses contours se cristallisent et laissent sourdre du vacuum spatial un individu anachronique au galbe musculeux. Ses paupières se disjoignent et la suave clarté de l’aube inonde aussitôt ses pupilles, son cerveau, son cœur, ses veines… il vit ! Une profonde inspiration lui procure cette indéfinissable volupté de l’air qui gonfle son thorax, de cette céleste chaleur dont se gorge sa poitrine. Il sent la sève vermeil affluer en ses artères, pénétrer ses muscles, colorer ses tissus, et il demeure un instant à goûter ainsi au cri savoureux de cette chair hurlante de vie.
Deux perceptions illuminent simultanément son esprit vif-argent: le désir de sang frais pulsant anarchiquement d’un gosier fraîchement sectionné et la proximité adjacente d’une proie en train de lire, à quelques pas de lui. Sa présence ici n’est donc point contingente…

Par de bien favorables conjonctures, sa victime n’a pas encore décelé sa présence, trop accaparée qu’elle est par l’écran de son ordinateur. Magnus fait un pas, silencieux. Le délice de sentir la chaleur lascive du fluide qui s’écoulera bientôt de cette gorge le sature presque, mais il demeure stoïque et implacable.
Elle lit toujours. Une lecture emmenée mais néanmoins concentrée. Magnus peut discerner cela aux yeux de sa proie, des yeux convulsifs agités de mouvements spasmodiques tissant une toile invisible entre les mots luminescents et l’encéphale hypnotisé. Il se meut furtivement, jusqu’à n’être qu’à portée d’un souffle de l’insouciante lectrice. Sa main pêche l’ustensile dans la poche de sa gabardine, un bistouri nitescent, et dans un geste de grâce féline fait jaillir la lame qui s’élève telle une gracile ballerine esquissant un envol. Pas le moindre son, pas le moindre frémissement de l’air. Le mouvement furtif dans sa plénière perfection. Elle lit toujours, vide de la prescience du funèbre danger qui tonne dans son cerveau. Les mots l’hypnotisent et ouatent les légers picotements qu’elle ressent dans son cou, vaine alerte de son instinct de conservation…

Magnus, sans émoi, ajuste avec minutie sa lame jouxtant le cou de la jeune femme, sans qu’une poussière d’onyx puisse se sertir dans l’infime enclave de vie les séparant encore. Instinctivement, sans que son bistouri ne s’écarte de son sépulcral aplomb, Magnus se penche par-dessus la condamnée pour surprendre ce qui l’accapare ainsi, ce dont elle s’abreuve de manière si vorace pour ne pas déceler son sicaire. Il décrypte ainsi les caractères qui trônent en tête d’un document Internet : « Une famille de crécerelles sort de sa torpeur nocturne et s'ébroue joyeusement dans son nid duveteux accroché à une branche d’abélia en fleurs, tout en entonnant leur premier récital de pépiements…. ». Il esquisse un sourire et tranche à tire-d’aile…
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