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Joined: Feb 2009
Prégénérique
Son nez contre la table. La narine contre le mauvais bois dont le verni est depuis longtemps écaillé.
Ses yeux fixent un instant l’étrange intérieur de l’appartement, un lieu de villégiature à l’unisson de l’esprit de son locataire, manquant de cohérence, de bon sens, chaotique, doté d’une logique propre.
Entre le génie et la folie, il n’y a qu’un pas.
Laurent a du se fouler la cheville, et pas du bon côté.
Mais quand il clos les yeux, quand enfin il tire le rideau, quand il n’y a rien d’autre que lui et la ligne blanche, peu importe tout ça.
Alors il inspire, aussi longuement et aussi fort qu’il peut. Il aspire les nuages chimiques, et quand il redresse la tête, les yeux presque exorbités, le faciès marqué par une expression de surprise : il est noyé dans un tourbillon de chimères.
Les nuages deviennent tempête.
Et la tempête se déchaine.
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4 jours plus tard.
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Les flashs ont envahi l’intégralité de l’appartement.
- Antoine ?
- On a un junkie. Mort. Moins d’une semaine, c’est sûr. Oh, Bachir, on touche pas aux meubles à mains nues ! T’es con ou quoi ?!
Ils sont 5 autour de Laurent.
Laurent a les yeux grands ouverts, cette fois c’est sa tempe contre la table. Il fixe un sourire étrange sur le visage, la porte d’entrée de l’appartement, le poster « Viva Canabis » semble bien ironique.
La police d’Immac est trop souvent sollicitée. Beaucoup trop. Le ministère cache les chiffres, mais les hommes de l’intérieur savent, et c’est mauvais. Très mauvais : un quasi état de non droit permanent. Personne ne parvient à expliquer pourquoi. Les raisons de cette décadence échappent à tous.
Il faut y faire face, avec des moyens dérisoires.
L’église abrite une secte, des gens dangereux. Armés. On parle de fou de dieu, de fanatiques, parfois même, on parle de résurgence d’une époque honnie. C’est évident : les dossiers sont épais comme le lieutenant Petitveau. Et il est boulimique.
Ne parlons pas de la discothèque : l’Afghanistan a des allures de club de vacances quand on plonge dans les pages de rapport du GIGN concernant cet endroit.
Antoine Préjean en a assez.
Il se tient droit comme un i, du haut de son mètre quatre vingt quinze, mal assumé, il est doté d’une morphologie avec laquelle il est peu à l’aise.
Assez maladroit, il n’en reste pas moins un fin limier. Et a 48 ans, dont 28 de service, il a eu le temps d’exercer son talent.
Mais la situation lui échappe. Tout part dans tous les sens.
Il a parfois l’impression de tenir un institut de statistiques. Il compte les points. Mais il ignore de quel match.
Son collègue, Marc Louvier est un vétéran.
Marc boite, une fusillade qui a mal tourné. Les spécialistes vous le diront, de toutes les balles du monde, l’une des plus vicieuses est celle tirée d’un AK47. Et ce genre de saloperie se refourgue assez facilement. Aujourd’hui Marc est considéré comme un spécialiste.
Louvier est très bon. On vous le dira partout, il n’a pas son pareil pour faire parler un suspect. Si 82% du temps, un coupable se trouve dans l’entourage direct de la victime, les 18 autres pour cent ne devraient pas croire qu’ils peuvent échappent à Louvier.
Il a accepté la mutation à Immac non pas pour redorer sa carrière mais parce que contrairement à de nombreux flics, il a fait de son métier un sacerdoce.
Ses journées commencent à 2h00 du matin. Et finissent trop souvent vers minuit.
Sans compter les heures supplémentaires.
En ce moment, ils doivent gérer Bachir : le stagiaire. Et honnêtement, il n’est pas très doué.
C’est Préjean qui se penche le premier sur le cadavre de Laurent dont les yeux sont teintés de ce voile gris qui recouvre la cornée quelques heures après la mort.
- A vue de nez, je dirais3..aller 4 jours.
Il y a des indices qui sont simples pour déterminer le moment de la mort d’un cadavre.
Les marques verdâtres sur le ventre indiquent un pourrissement plus ou moins avancé, mais des marques violettes qui sont autant d’amoncellement de fluide sanguin, dans certaines parties du corps, sont aussi de bons indices. A cela il faut ajouter le contexte.
Croyez bien qu’un cadavre ne pourrit pas de la même manière dans une forêt en plein été que dans une cave froide de la banlieue d’Immac.
- Overdose, donc. Dit Louvier.
- Exact. Je crois qu’on tient le coupable et la victime, et c’est la même personne ! rigole Bachir.
- Oui et le dealer, on s’en fout. Le réseau de distribution aussi. Quand au producteur et aux transporteurs, je vois même pas pourquoi ça me vient à l’idée, lance Préjean d’une voix ironique.
- Faudrait que tu réfléchisses avant de dire des conneries, petit conclue Louvier.
Bachir recule jusqu’à la porte d’entrée en grommelant, ils le critiquent toujours. De vrais cons !
Se baissant d’avantage, Louvier, plisse les yeux et enfile un gant de plastique épais avant de saisir un petit sachet de plastique.
Les résidus de poudre blanche contenu dedans, laissent peu de doute sur le fait qu’il s’agisse du contenant.
Mais Louvier se redressant, en examine le contenu encore présent.
Un pin’s. Ce dernier clignote légèrement.
”TMC lave plus blanc!”
“TMC better than life !”
“TMC lave plus blanc!”
“TMC better than life!”
Redressant un sourcil Préjean fixant son collègue eu du mal à l’articuler :
- Mais…C’est quoi ce bordel ?
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Au même instant. Sur le toit de l’immeuble faisant face à celui de Laurent.
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Des abdominaux qui auraient gênés une statue grecque se dressent au dessus de la rue.
Une main aux ongles d’un blanc parfait vient les gratter.
Sortant de la veste de motard, un portable : l’inconnu aux cheveux blancs et aux lunettes de soleil rouges, compose d’une touche, un numéro préenregistré.
- Allo ? Heph’ ? Oui, c’est moi. Les flics sont là….Inh inh. Oui. Sans problème. Oui. Ils ont trouvé le pin’s. Si c’est efficace ? Même mort ce type est en train de planer. D’accord. Tu peux dire à monsieur B. d’inonder le marché.
Oui. Ca va être marrant.
Il referme le clapet de son portable avant de le ranger dans la poche de sa veste.
- Très marrant.