04-10-2006, 06:53 AM
Quote:«L'Evangile selon Judas» sort du purgatoire
«National Geographic» publie un manuscrit trouvé à la fin des années 70.
par Pascal RICHE
QUOTIDIEN : vendredi 07 avril 2006
Washington, de notre correspondant.
Le Vatican peut recommencer à se faire du mouron. Après le polar-farce Da Vinci Code, une vraie torpille hérétique pointe son nez : l'Evangile selon Judas, ou les derniers jours du Christ par celui qui l'a trahi. Il ne s'agit pas cette fois d'un roman, mais d'un texte venu du fond des âges. Dès le IIe siècle, saint Irénée, évêque de Lyon, évoquait ce document, parmi d'autres, pour le dénoncer. Il avait disparu. Cachée pendant plus de 1 700 ans dans les sables du désert égyptien, une de ses versions a refait surface hier matin, dans le grand amphithéâtre de la revue National Geographic, à Washington, une semaine avant Pâques. Signe que les passions soulevées par le Da Vinci Code ne sont pas calmées, la salle était pleine de journalistes et caméras.
Puzzle de 1 000 pièces. L'Evangile selon Judas a été trouvé à la fin des années 70 près de Beni Mazar, en Egypte, à l'intérieur d'un codex contenant d'autres manuscrits couchés sur papyrus. Il est passé de main en main dans le monde trouble des antiquaires. Pendant seize ans, il a pourri doucement dans un coffre de la Citybank de Long Island, l'antiquaire égyptien qui le possédait alors, Hanna Asabil, n'ayant pas réussi à le revendre au prix qu'il escomptait. En 2000, sa collègue suisse Frieda Nussberger-Tchacos l'a racheté. Il était alors très détérioré, en un puzzle de 1 000 pièces. La fondation Maecenas pour les arts anciens, basée à Bâle, a commencé à l'authentifier, restaurer, traduire. Un accord trouvé avec National Geographic pour sa publication, le manuscrit a été promis à un musée du Caire.
Le document contient une traduction, en copte dialectal, d'un texte grec. Le texte révèle des conversations privées entre Jésus et Judas, à quelques jours de Pâques. «Jésus dit à Judas : "Tu surpasseras tous les autres. Car tu sacrifieras l'homme qui me sert d'habit"», peut-on lire. Ou encore : «Jésus dit à Judas : écarte-toi des autres. Je t'enseignerai les mystères du royaume. Tu pourras l'atteindre, mais pour cela, tu souffriras beaucoup.» La lecture du texte, rédigé entre 130 et 180 après Jésus-Christ, présente donc Judas comme le premier des apôtres, l'Initié. «Non seulement un type bien, mais le seul apôtre qui comprend les secrets révélés par Jésus», glose Bart Ehrman, professeur à l'université de Caroline-du-Nord. Selon la version la plus communément admise par les chrétiens, Judas, fils de Simon l'Iscariote, trahit Jésus pour 30 pièces d'argent, poussé par la cupidité et séduit par Satan. Pris de remords, il s'est pendu. Mais cette version a toujours soulevé des questions. Pourquoi Jésus a-t-il confié l'argent de son groupe à Judas, s'il ne lui faisait pas confiance ? Si le sacrifice du Christ était un plan divin, où était le libre arbitre de Judas dans sa trahison ?...
Les experts invités par National Geographic se gardent évidemment de tirer des conclusions sur l'impact que peut avoir le texte sur l'interprétation des Evangiles. Ils se contentent de souligner la valeur historique du document, qui met en lumière à quel point le monde des premiers chrétiens était «varié» et «vivant». Seul le professeur Craig Evans, professeur à l'Acadia Divinity College, au Canada, se risque à se demander si le texte recopié sur le papyrus par des gnostiques n'avait pas «préservé des informations issues du premier siècle», éclairant d'un jour nouveau les relations Jésus-Judas.
La plupart des responsables de l'Eglise catholique haussent derechef les épaules. C'est une «fantaisie religieuse», a tranché Walter Brandmuller, chef du comité pontifical pour les sciences historiques, à Rome.
En voie de réhabilitation. Mais même au sein de l'Eglise, Judas connaît depuis quelques décennies une forme de réhabilitation. L'Eglise est aujourd'hui très prudente quant au sort que Dieu a réservé à Judas après la mort de ce dernier. Jusque-là, il était convenu que le traître brûlait en enfer. Jésus n'avait-il pas lui-même dit de lui : «Il vaudrait mieux que cet homme-là ne soit jamais né !» (Matthieu 26 : 24) ? Mais, dans son livre Entrez dans l'espérance (1994), le pape Jean Paul II a remis en cause cette thèse : la phrase rapportée par Matthieu «ne doit pas être comprise comme la damnation pour l'éternité», a-t-il jugé.
Le document ne conduira certes pas à la canonisation de Judas, mais il renforcera ceux qui jugent que l'apôtre est injustement traité. Selon Marvin Meyer, professeur à Chapman University (Californie), qui a aidé à la traduction du Codex, si «évangile» («bonne nouvelle») il y a, c'est que ce manuscrit peut aider à casser «l'image de Judas, Juif diabolique» qui a toujours nourri l'antisémitisme.
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