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Je ne suis pas fou !
#1
Novembre 1969.

La nuit Oui, c’est la nuit. Tout est calme autour de moi. Trop calme ? Je ne sais pas et ne m’attarde pas vraiment sur cette sensation étrange. Mais je sens le froid. Un petit nuage dense se forme à chacune de mes expirations et disparaît dans la pénombre.
Je suis assis à la table de la cuisine, j’entends le ronronnement familier du frigo, le tic-tac régulier et implacable de l’horloge derrière moi. Une douleur diffuse palpite dans mon crâne. Je la connais bien cette douleur. Je vis avec elle depuis si longtemps ! Pour le moment, elle est assez loin, comme assoupie. Je peux de nouveau penser, réfléchir même.
Je masse lentement la base de mon nez, entre les deux yeux, et j’inspire longuement. J’essaie de rassembler le cours de mes pensées, mais c’est tellement difficile ! Ca a toujours été tellement difficile !
Je tends la main devant moi. Oui, elle est là. J’attrape la bouteille qui tinte doucement contre ma chevalière, j’approche le goulot de ma bouche avide et boit trois longues gorgées d’un liquide qui me brûle à l’intérieur. Ca fait mal. Mais je me sens plus vivant grâce à la douleur. J’essuie mes lèvres d’un revers de la main et me lève, trop vite. Je laisse passer le léger vertige, puis me dirige lentement vers l’interrupteur. La lumière se fait et je peux voir la cuisine en entier.
Le mobilier hors d’âge me fait face et je cligne des yeux un instant. Le tablier de maman est à sa place, sur le dossier de sa chaise.
L’évier est jonché de vaisselle sale, une casserole au contenu douteux gît sur la petit plaque électrique et la table est recouverte de restes alimentaires en tout genres, pour certains dans un état de pourrissement déjà bien avancé. L’impression d’étrangeté me revient, plus forte. Pourquoi tout est si calme ? Pourquoi maman n’a pas nettoyé la cuisine ? Elle ne supporterait pas un tel désordre ! Je tourne la tête pour regarder dans le couloir, j’ai oublié la cuisine. J’ai mal à la gorge, mon ventre me brûle. Est-ce qu’il se pourrait que je sois en train de me consumer de l’intérieur ? Immédiatement avec cette pensée, je ressens réellement le feu en moi et cette sensation me paralyse d’angoisse. Mon cerveau essaie de me faire comprendre que ce n’est pas possible d’avoir du feu dans le ventre. Mais je ne l’écoute pas. Je ne suis plus qu’une torche vivante. Il faut que j’éteigne ce feu au plus vite !
Je me rue dans la salle de bain et actionne le néon. Une lumière blafarde tombe sur moi et m’enveloppe froidement. Je fouille dans le placard au dessus du lavabo et dégote une bouteille de solution pour bain de bouche. Jimi saute de joie dans ma tête. Il me dit que c’est exactement ce qu’il me faut pour éteindre l’incendie. J’ouvre en hâte le bouchon et vide la moitié de la bouteille d’un trait. Ca brûle encore plus et je m’étrangle en recrachant le liquide mentholé, les yeux envahis de larmes. Tu t’es moqué de moi Jimi ?! Je t’entends rire ! Arrêtes de rire comme ça ! Je ne supporte pas qu’on se moque de moi ! Arrête ! La brûlure dans mon ventre, le rire de Jimi… Tout ça me paralyse de nouveau, je sens ma rage qui monte. Il faut que ça s’arrête ! J’assène un violent coup de poing dans le mur à côté de moi et c’est maintenant ma main qui brûle. Je savais bien que j’étais entré en combustion. Un bain froid. Oui c’est ça, il faut un bain froid pour calmer la brûlure et éteindre le feu.
J’ouvre le robinet d’eau froide à fond, une flaque commence à se former dans la baignoire crasseuse.
Mick me dit quelque chose. Je ne comprends pas bien, parles plus fort Mick. Quoi maman ?! Ah oui, maman ! Mais où est-elle ? Quittant la salle de bain, je décide de partir à sa recherche.
Passant devant ma chambre, j’ouvre la porte. La pièce est plongée dans une pénombre familière, j’entre et l’angoisse s’évapore aussitôt. Mon matelas, posé à même le sol et recouvert d’un drap sale me semble tout à coup très attirant. Oui, Mick, tu as raison, je vais me reposer un peu et ensuite j’irai trouver maman.

Un oiseau chante dehors. Ou peut-être est-ce dans ma tête? Peu importe. La différence entre dehors et dedans est tellement floue… J’ouvre un œil ensommeillé, il fait jour dans la pièce. Un soleil timide et blanc traverse la barrière légère des rideaux grisâtres. Mon ventre grogne. Un vague souvenir de feu me revient, aussitôt balayé par une sensation de soif intense. Je me lève et boit le contenu d’un verre posé sur le sol. C’est très frais, très rafraichissant et je me sens mieux instantanément. Je sors de la chambre et je glisse alors sur une flaque d’eau. Me rattrapant de justesse, je traverse le couloir et entre dans la salle de bain. La baignoire déborde, le robinet est ouvert à fond. Mais que s’est-il passé ici ? Jimi ricane. Ta gueule Jimi ! J’arrête le robinet et retourne sur mes pas, pataugeant dans l’eau glacée. Maman va nettoyer. Elle nettoie toujours. D’ailleurs, elle a surement préparé mon petit-déjeuner et m’attend dans la cuisine à l’heure qu’il est. Les chiens dans la cour n’arrêtent pas d’aboyer, je vais voir ce qu’il se passe. Ils n’aboient jamais sans raison. Je jette un œil à travers le rideau de l’entrée, Sam, Tonga et Ross paraissent furieux dans leur box. Ils tournent en rond et se mettent debout contre la grille. Mais il n’y a aucun intrus dans la cour. J’irai voir ce qu’ils ont tout à l’heure. Pour le moment j’ai trop faim et j’imagine la bonne omelette aux lardons de maman. Elle sait toujours ce qui me fait plaisir, maman. Elle sait aussi comment apaiser ma tension et mes angoisses lorsque Jimi, Mick et les autres crient tous en même temps dans ma tête. Parfois, dans sa chambre, elle utilise un moyen spécial pour me détendre. J’aime bien, mais après je me sens bizarre. Les cris dans ma tête reprennent encore plus fort qu’avant. Maman, elle, a l’air satisfait. Comme lorsqu’elle me prépare mon dessert préféré, la tarte aux pommes et à la cannelle, et qu’elle me regarde l’engloutir en quelques bouchées. C’est trop bon, la tarte aux pommes et à la cannelle. Maman, elle est unique. Mais parfois, elle m’énerve. Surtout quand elle ne veut pas que je ramène des filles à la maison. Elle dit que ces filles se moquent de moi, qu’elles ne savent pas ce qui est bon pour moi. Pourtant, elle fait bien venir des types, elle. Et la nuit, je les entend, dans la chambre de maman. Elle ne veut pas que je dorme avec elle ces soirs là et je dois rester sur mon matelas. Jimi dit alors qu’elle ne m’aime plus. Ca me fait enrager d’imaginer que maman ne m’aime plus. Mais je me dis que maman a sûrement raison à propos des filles. Parce que les filles, elles font ce que fait maman parfois. Sauf que lorsque ce sont les filles qui font ça, ça me met en rage contre elles. Il n’y a que maman qui a le droit de toucher, là.  Elle me l’a bien dit, maman. Les filles, c’est le diable. Et parfois, les filles, elles ont des airs… Ca me donne envie de leur faire mal, vraiment mal. Ca m’excite quand je pense à ça, alors maman, elle fait ce qu’il faut pour me détendre.
Et soudain, je suis devant la porte de la chambre de maman. Je ne pense plus à l’omelette. Je pense aux filles qui m’excitent. Et aux chiens qui aboient dans ma tête. Et à Jimi. Et Mick. Et Keith aussi. Je les entends. Ils me disent de ne pas entrer dans la chambre de maman, que c’est mal. Et plus je m’approche de la porte, plus les chiens crient fort dans ma tête. Lorsque je touche la poignée, je n’entends plus que leurs cris. Je ne vois plus que leurs cris. Et du rouge, du rouge plein ma tête. La douleur est revenue, elle écrase mon cerveau dans son poing et il n’y a plus que de la douleur et des cris dans ma tête.
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#2
Je suis dehors.
Il fait froid.
Le ciel est gris et une pluie fine s’insinue à travers mon T-shirt. Je suis pieds-nus, je sens le sol glacé et poisseux qui fait un drôle de bruit humide à chacun de mes pas.

Ross est couché sur le flanc dans le box, il ne bouge plus.
Une légère vapeur s’échappe de la plaie béante au milieu de sa gorge. Tonga lèche le sang qui coule par terre, Sam mange Ross. Cette vision me terrifie. L’angoisse me prend aux tripes, me tétanise et je ne peux quitter ce spectacle macabre des yeux. Keith rigole de me voir si effrayé. Mais ce que Keith n’a pas compris c’est que je ne suis pas seulement effrayé. Je suis surtout excité par tout ça.

L’odeur du sang, les chiens qui se dévorent entre eux…

Et tout à coup, moi aussi j’ai faim. Trop faim. Depuis combien de temps n’ai-je pas mangé ? Je ne me souviens même plus de mon dernier repas. Mais je sais bien que parfois je perds la notion du temps. C’est pour ça que j’ai besoin de maman pour me rappeler la réalité. Je fais demi-tour vers la maison.
Quel silence ! Pourquoi je n’entends pas la sempiternelle radio de maman ? Je vais directement à la cuisine. J’ouvre un placard, il est vide. Le frigo aussi est vide. Mais il faut que je mange.

Alors, je repense à Ross et à sa chair fumante.

Je fonce dans mon atelier et j’attrape ma hache, ensuite je rejoins le box des chiens. Tonga, trop occupée à fourrer sa gueule dans l’estomac de Ross ne voit pas le coup venir et je sépare son corps de sa tête d’un coup. Le sang gicle partout, c’est beau ! Jimi saute sur place en applaudissant. Il est aussi excité que moi et m’encourage à terminer le travail. Je me tourne vers Sam. Mon bon vieux Sam. Il a à peine le temps de lever la tête vers moi. Je croise son regard vide et je lui plante la hache sur le sommet du crâne. Ca fait un bruit dégoûtant quand je sens la lame qui s’enfonce. Et Sam s’affaisse.
Alors je m’approche du cadavre encore chaud de Tonga. Sa tête n’a pas quitté le ventre de Ross, elle tient toujours un morceau de chair entre ses crocs.
C’est drôle.
Je m’agenouille devant Tonga et je bois son sang. C’est tiède, douceâtre, légèrement écœurant. Jimi en salive et Keith se tripote, les yeux exorbités. Mick, est là aussi. Il me regarde et m’injurie copieusement. Je m’en fous. J’ai trop faim. Je me redresse à moitié et leur adresse un doigt d’honneur. Ils ricanent et se donnent des tapes dans le dos. Je plonge ma tête dans la plaie et arrache un gros morceau de chair sanguinolente de la gorge ouverte de Tonga. J’ai du sang dans les yeux, ça pique. Mais je continue à mastiquer goulûment. Dieu que j’avais faim ! Je ne sais pas combien de temps on reste là, les gars et moi, mais quand je me relève il fait presque nuit. Je me dirige vers la maison, assoiffé. Il y a une bouteille d’eau de vie à moitié vide sur la table de la cuisine. Je bois de longues gorgées, ignorant la brûlure de l’alcool puis me dirige en titubant vers ma couche. Je m’écroule sur le matelas et m’endort d’un coup, repu.

Du sang. Des hurlements de douleur. C’est maman qui hurle. Une hache. Maman qui hurle. Tais-toi maman, tais-toi. Un marteau.  Je suis excité, tellement excité. Il faut faire quelque chose maman. S’il te plaît. Une scie. Ca ne suffit pas maman. Du sang. Je veux voir le sang de maman. Arrête de crier maman, sinon Jimi te fera taire ! Je suis si excité.

Je me réveille en sursaut, trempé de sueur. Mon bas-ventre tressaille et mon short est souillé. Je suis soudain pris d’une violente nausée et je me précipite aux toilettes, juste avant de vomir une boue noirâtre au goût vaguement métallique. Je me relève, cligne des yeux pour évacuer le léger vertige qui m’assaille et retourne dans ma chambre. Je m’assois sur le matelas. Curieusement, je me sens détendu, presque serein. Jimi et les autres doivent dormir, je ne les entends pas. Les chiens aussi doivent dormir. Tout est calme. La douleur dans ma tête est comme une petite étoile tout au fond de mon cerveau. Elle brille intensément pour que je ne l’oublie pas mais semble si lointaine… J’ai l’impression d’être revenu des années en arrière, quand je n’avais pas toutes ses voix dans ma tête et que je pouvais réfléchir et penser, presque comme tout le monde.
J’avais même commencé des études, pour devenir mécanicien. Les voitures, une vraie passion à l’époque. Maman disait que j’avais de l’or dans les mains, que je pouvais faire ce que je voulais avec mes dix doigts. Selon elle, j’aurais pu avoir ma propre affaire. Et puis, il y avait les copains, les filles, le shit, l’héro, le rock. J’avais même une guitare. Je jouais dans un petit groupe. C’était comment le nom déjà ? Bref,  j’étais heureux. Jusqu’à ce que Jimi arrive dans ma tête. Il me parlait très peu au début. Il était juste là, assis tranquillement avec sa guitare, à me regarder en jouant toujours la même mélodie. Et puis il a commencé à se moquer de moi, de mon look, de ce que je disais, de ce que je faisais, de ma manière de faire avec les filles. Il est devenu omniprésent dans ma tête, jour et nuit. Puis les autres sont arrivés. Keith, Mick, Sid, John aussi parfois, et ils ont remplacé mes pensées par leurs voix, leurs musiques, leurs sarcasmes. Alors, moi, le petit Al, j’ai sombré doucement. Je leur ai laissé la place. Lorsque parfois je tente de reprendre le dessus, ils ramènent un nouveau dans ma tête. J’ai laissé tomber, je ne suis pas sûr qu’elle puisse encore contenir plus de monde.

J’émets un long soupir. De nostalgie, d’épuisement aussi. Et puis, j’ai froid. Mais qu’est ce qu’il fait froid ici ! Pour la première fois depuis très longtemps, je regarde mon corps. Je porte un T-shirt grisâtre qui a dû être blanc dans une autre vie. Il est maculé de crasse et de tâches indéfinissables. Mes bras se resserrent autour de mes épaules, je me berce lentement mais ce geste ne m’aide pas à me réchauffer. Je suis transi. Je baisse les yeux vers mon short, kaki et taché à de multiples endroits lui aussi, notamment entre les cuisses. Mes jambes son fines et musclées mais recouvertes d’une couche de saleté impressionnante. Mes pieds nus sont quasiment noirs. Je me lève avec difficulté, sentant de nouveau ma tête tourner et peinant à dérouiller mes muscles tétanisés par le froid.
Je me dirige vers la salle de bain et entre dans la baignoire. L’eau brûlante de la douche m’enveloppe et me réchauffe délicieusement. Je me savonne énergiquement de la tête aux pieds, récurant consciencieusement chaque parcelle de peau, plusieurs fois, jusqu’à ce que mon épiderme rougisse sous l’action de l’eau chaude et des frictions. Propre et apaisé, je sors de la baignoire et me plante devant le miroir au dessus du lavabo pour inspecter longuement mon visage.
Je suis jeune, mes traits sont plutôt fins, presque androgynes. Mes cheveux, noirs et un peu trop longs, cascadent doucement autour de mon visage pâle. Mes traits sont tirés, creusés par l’angoisse qui se lit dans mes yeux trop sombres. Une barbe de quelques jours forme une ombre légère sur ma peau. Je passe rapidement la main dans mes cheveux et m’habille en hâte avec des vêtements plus chauds et surtout, plus propres.

Je pense à maman. Mais où est-elle ? Elle se sent peut-être mal, elle est peut-être couchée… Je décide d’aller frapper à la porte de sa chambre. Aucune réponse.

J’entre.
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#3
C’est l’odeur qui me frappe en premier. Une odeur inconnue et pourtant étrangement familière.
Je fais un pas dans la pièce, plissant les yeux pour tenter de m’habituer à la pénombre lugubre qui y règne. J’allume finalement le plafonnier.

Je vois maman sur son lit.

Et aussitôt, Jimi et les autres arrivent en courant, se bousculant pour être le premier à voir le spectacle, les yeux brillants d’excitation. La douleur a bondi sur moi  par surprise, me coupant littéralement le souffle et vrillant mon crâne.
La tête de maman est posée sur l’oreiller maculé d’un sang sombre. Ses yeux sont grand ouverts, comme sa bouche qui ressemble à une grotte noire. Elle me regarde, l’air sévère, et tout à coup ses lèvres bougent et maman me parle. J’entends sa voix dans ma tête. Elle m’appelle. Elle veut apaiser mon angoisse. Elle veut me faire… ça. Mon corps réagit instantanément à son appel, prenant vie et tressaillant sous l’étoffe fine de mon pantalon. Mais je ne veux pas. Non, je ne veux pas que la tête de maman me fasse… ça.
L’angoisse me submerge, je ne suis plus que douleur. Keith répète le nom de maman inlassablement, Mick me toise du regard avec un rictus mauvais et Jimi se lèche les lèvres avec gourmandise. Je tourne la tête pour fuir le regard de maman et je vois alors son corps, affaissé mollement sur la chaise à côté de moi.

L’odeur vient de là.

Ses mains se tendent vers moi et tout à coup, ce ne sont plus des mains mais des griffes, des griffes aiguisées qui veulent s’en prendre à mon intimité. Je hurle de terreur et je pars à la recherche de ma hache, poursuivi par la litanie de Keith et par la voix de maman. Je fonce dans mon atelier, mais ma hache n’y est plus. Je suis pris d’un nouvel accès de panique. Je suis sûr que maman m’a suivi, elle va me tuer, mais avant ça, elle va me faire souffrir atrocement. C’est ce qu’elle me dit, je l’entends dans mon cerveau. Elle va demander aux autres de me tenir et elle va trancher ce qui fait de moi un homme. La colère prend alors la place de la peur. Je sens mes nerfs se nouer, ma gorge émet un son rauque et bestial. Je balaie d’un geste Jimi et les autres, mais ils reviennent en force, accompagnés de Sid, John, Bob et Jim. S’en est trop pour moi. Tout cette musique, ces voix, ces cris, me mettent dans une rage folle. Je me rue dans la cuisine et trouve le couperet de boucher de maman. Celui qu’elle utilise pour découper les pièces de porc. Je coure dans la chambre et je me jette sur la tête de maman, pour la faire taire. Je frappe et frappe encore, le sang m’éclabousse et m’excite davantage. La musique dans ma tête est celle du diable. Mais la voix de maman résonne toujours dans mon crâne. Je me tourne vers son corps flasque et nauséabond. Je lève la lame au dessus de moi. Jimi entame un solo long et puissant et j’abats le couperet encore et encore, mutilant ce corps qui m’a donné la vie, jouissant de tout ce sang, tranchant les membres, mû par une force décuplée par ma folie.

Je ne m’arrête de frapper qu’à la fin du solo, épuisé et ruisselant, laissant retomber mon arme dans un bruit sourd.

Je suis couvert du sang de ma mère.
Je le goûte, il est fade et froid sur ma langue.
Maman ne dit plus rien. Les autres aussi se taisent.
Comme un défi, je crache au sol, l’œil mauvais.
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#4
Il fait chaud.

La lumière est trop crue à travers mes paupières closes. Mes narines repèrent des effluves mêlés de vieille urine, de soupe, de sueur et… de peur. J’ai mal à la tête, tellement mal. Ma compagne la douleur ne m’épargne pas. Elle tambourine contre les parois de mon cerveau à un rythme rapide et inlassable. Jimi et les autres sont là quelque part, mais ils n’approchent pas. J’ai du mal à distinguer leur présence.  Je tente d’ouvrir les yeux, ils sont trop lourds et refusent de ciller. Je suis allongé sur quelque chose de froid et mou. Je sens une présence familière près de moi, une odeur de crème hydratante bon marché et d’eau de Cologne. Maman. Cette pensée me rassure. Maman est là. Je sombre dans l’inconscience.

Des voix.
Pas dans ma tête.
Enfin, je ne crois pas.
Il y a un homme et une femme. Je dois ouvrir les yeux. Au prix de gros efforts, j’y parviens enfin. La lumière attire mes larmes, je cligne des paupières un instant.
J’entends la femme qui dit : « Dan, regarde, il se réveille. »
Une silhouette masculine s’approche et se penche au dessus de moi. « Bonjour Monsieur Daule. Comment vous sentez-vous ? »
Je voudrais répondre, mais ma bouche est trop sèche et pâteuse, je ne parviens qu’à croasser vaguement.
L’homme me sourit. Il sent le tabac blond et le shit. Son regard d’un bleu limpide semble voir en moi. Je suis sûr qu’il voit en moi. Mais il dégage quelque chose de si rassurant que je lui accorde ma confiance immédiatement.

Et puis, je la vois.

Brune, souriante et l’air si doux, elle se penche légèrement vers moi à son tour. Je voudrais me redresser pour mieux la contempler et aussi la toucher mais je me rends compte que je ne peux pas bouger. Je suis allongé sur un matelas recouvert de plastique, les chevilles et les poignets maintenus par des contentions fermes fixées aux barreaux d’un lit de métal. Mon torse est sanglé également. Je peux seulement bouger la tête. La panique fait surface un instant dans ma tête mais je m’aperçois que la femme tient un verre d’eau qui me semble destiné. Cette vision chasse toutes les autres, je suis assoiffé ! Je passe ma langue sur mes lèvres gercées.
« Donne lui à boire, Stella. » L’homme a parlé d’une voix empreinte de douceur. Il ne me quitte pas des yeux lorsque la femme s’approche un peu plus de moi et soulève calmement ma tête en guidant le verre sur mes lèvres avides. Je bois le liquide frais et c’est comme si je reprenais soudain vie.
« Doucement… doucement. » La voix de la femme est à son image : calme et douce. Ses yeux plongent dans les miens un instant. Elle me sourit puis ses yeux se posent sur l’homme et je perçois immédiatement la complicité qui les unit. Puis de nouveau, elle me regarde et ses beaux yeux verts me transpercent.
« Je m’appelle Stella, monsieur Daule. Et voici Dan. Vous êtes ici à l’hôpital de la croix blanche, nous sommes infirmiers. Vous allez rester quelques temps parmi nous, vous avez besoin de vous reposer et de reprendre des forces. »

Cela fait quelques semaines que je suis maintenu de force ici. Ils ont fini par me détacher mais je suis toujours enfermé dans cette pièce minuscule qui empeste l’hôpital. Mon lit est scellé au sol, un trou dans un coin de la pièce fait office de lieu d’aisance. Je ne suis vêtu que d’un caleçon. Je tourne en rond comme un rat en cage. Jimi, maman et les autres ne viennent me rendre visite qu’épisodiquement, je crois que cet endroit leur déplait. Même la douleur a déserté mon crâne. Je suis donc seul, terriblement seul. Et tout ce vide dans ma tête me déroute et m’inquiète. Heureusement, Dan et Stella me tiennent compagnie régulièrement. Ce sont les seuls en qui j’ai confiance. Dan connaît le rock mieux que personne et Stella est si douce…
Je leur ai parlé de Jimi et de maman. Ils me croient lorsque je leur dit que je les entends dans ma tête.

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#5
Aujourd’hui, grâce à Dan et Stella qui ont parlé au docteur, j’ai eu le droit de sortir de la pièce où je suis enfermé depuis toutes ces semaines. J’ai pu dîner au réfectoire, avec les autres. On m’a assis à côté d’un type bizarre. Il ne voulait manger que des trucs blancs. Du riz, du poulet, des yaourts… Stella lui a fait prendre ses gouttes en lui promettant de lui donner un yaourt de plus s’il buvait son traitement docilement. Et puis, surtout, elle a posé sa main sur son épaule, doucement, et il n’a pas pu faire autrement que de faire ce qu’elle lui demandait.
Elle a juste dit dans un sourire « S’il vous plaît, Seb, buvez. »
Stella a des pouvoirs magiques, je le sais. Elle peut faire obéir les hommes. Stella, je voudrais lui faire mal parfois. Je sais bien l’effet que ça me ferait de la faire souffrir, cette fille du diable. Mais elle est tellement douce, pas comme toutes les autres filles, pas comme maman qui me met en rage parfois. Stella ne me met jamais en colère, même quand elle me donne mes gouttes. Et puis, il y a Dan. Il ne me laisserait pas la toucher. Il ne la quitte pas des yeux, jamais. Il sait toujours où elle se trouve, il ne la laisse pas un instant seule. Il la protège. Elle le protège aussi, grâce à sa magie.

Les jours, les semaines passent.
Je suis devant le docteur qui me dit que j’ai fait très mal à maman. Il me dit qu’elle est morte. Je ne le crois pas, puisque j’entends parfois maman qui me parle. Les morts ne parlent pas.

Mais le docteur insiste.

Il rentre dans ma tête avec ses mots. Il me dit que toutes les voix et la musique que j’entends ne sont pas réelles. Il appelle ça des hallucinations. Je sens ma colère qui monte, qui monte de plus en plus. Je ne suis pas fou ! Tout à coup, je renverse le bureau sur le docteur,  je l‘attrape par le cou et je serre. C’est bon, ça m’excite.  Je suis très fort et le docteur devient tout blanc et tout mou dans ma main. Mais l’infirmier arrive par derrière, il appelle les autres qui me sautent tous dessus. La vieille pie fonce sur moi et me fait une piqûre, pendant que les autres me tiennent. Quelle lâche ! Elle ne prend même pas la peine de baisser mon pantalon de pyjama, elle pique directement à travers la toile fine. Je sens la morsure du poison dans mon corps.

J’émerge d’un sommeil artificiel et lourd qui me paralyse.
Stella est là, seule, juste à côté de moi. Elle me sourit et prononce une simple phrase :
« Al, il est temps de choisir si tu veux vivre toute ta vie endormi par les drogues thérapeutiques où si tu préfères donner libre court à tes pulsions. »
Je me redresse à demi, surpris par ces mots qui sont sortis tout droit de ma tête. Stella change alors d’apparence sous mes yeux, son visage devient laid et odieux, une odeur de pourriture émane de son corps parcouru d’asticots. Elle tend deux bras décharnés vers moi et son sourire se change en une grimace infernale. Je hurle de rage et me jette sur elle, bien décidé à la faire souffrir terriblement. Je suis alors littéralement absorbé par ce corps en décomposition.

Je me réveille péniblement. Je gis lamentablement sur un sol dur et tiède. Une musique assourdissante envahit mes oreilles. Pas ma tête, juste mes oreilles. Je me redresse, un peu ébahit par toutes les lumières et le bruit qui m’entourent.
Et tout à coup, tous mes souvenirs m’échappent et s’évaporent avant de disparaître de ma mémoire. Je me lève et regarde autour de moi. Je me sens plein de force et de vigueur.

Je sors de la discothèque, sifflotant un petit air

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