Novembre 1969.
La nuit Oui, c’est la nuit. Tout est calme autour de moi. Trop calme ? Je ne sais pas et ne m’attarde pas vraiment sur cette sensation étrange. Mais je sens le froid. Un petit nuage dense se forme à chacune de mes expirations et disparaît dans la pénombre.
Je suis assis à la table de la cuisine, j’entends le ronronnement familier du frigo, le tic-tac régulier et implacable de l’horloge derrière moi. Une douleur diffuse palpite dans mon crâne. Je la connais bien cette douleur. Je vis avec elle depuis si longtemps ! Pour le moment, elle est assez loin, comme assoupie. Je peux de nouveau penser, réfléchir même.
Je masse lentement la base de mon nez, entre les deux yeux, et j’inspire longuement. J’essaie de rassembler le cours de mes pensées, mais c’est tellement difficile ! Ca a toujours été tellement difficile !
Je tends la main devant moi. Oui, elle est là. J’attrape la bouteille qui tinte doucement contre ma chevalière, j’approche le goulot de ma bouche avide et boit trois longues gorgées d’un liquide qui me brûle à l’intérieur. Ca fait mal. Mais je me sens plus vivant grâce à la douleur. J’essuie mes lèvres d’un revers de la main et me lève, trop vite. Je laisse passer le léger vertige, puis me dirige lentement vers l’interrupteur. La lumière se fait et je peux voir la cuisine en entier.
Le mobilier hors d’âge me fait face et je cligne des yeux un instant. Le tablier de maman est à sa place, sur le dossier de sa chaise.
L’évier est jonché de vaisselle sale, une casserole au contenu douteux gît sur la petit plaque électrique et la table est recouverte de restes alimentaires en tout genres, pour certains dans un état de pourrissement déjà bien avancé. L’impression d’étrangeté me revient, plus forte. Pourquoi tout est si calme ? Pourquoi maman n’a pas nettoyé la cuisine ? Elle ne supporterait pas un tel désordre ! Je tourne la tête pour regarder dans le couloir, j’ai oublié la cuisine. J’ai mal à la gorge, mon ventre me brûle. Est-ce qu’il se pourrait que je sois en train de me consumer de l’intérieur ? Immédiatement avec cette pensée, je ressens réellement le feu en moi et cette sensation me paralyse d’angoisse. Mon cerveau essaie de me faire comprendre que ce n’est pas possible d’avoir du feu dans le ventre. Mais je ne l’écoute pas. Je ne suis plus qu’une torche vivante. Il faut que j’éteigne ce feu au plus vite !
Je me rue dans la salle de bain et actionne le néon. Une lumière blafarde tombe sur moi et m’enveloppe froidement. Je fouille dans le placard au dessus du lavabo et dégote une bouteille de solution pour bain de bouche. Jimi saute de joie dans ma tête. Il me dit que c’est exactement ce qu’il me faut pour éteindre l’incendie. J’ouvre en hâte le bouchon et vide la moitié de la bouteille d’un trait. Ca brûle encore plus et je m’étrangle en recrachant le liquide mentholé, les yeux envahis de larmes. Tu t’es moqué de moi Jimi ?! Je t’entends rire ! Arrêtes de rire comme ça ! Je ne supporte pas qu’on se moque de moi ! Arrête ! La brûlure dans mon ventre, le rire de Jimi… Tout ça me paralyse de nouveau, je sens ma rage qui monte. Il faut que ça s’arrête ! J’assène un violent coup de poing dans le mur à côté de moi et c’est maintenant ma main qui brûle. Je savais bien que j’étais entré en combustion. Un bain froid. Oui c’est ça, il faut un bain froid pour calmer la brûlure et éteindre le feu.
J’ouvre le robinet d’eau froide à fond, une flaque commence à se former dans la baignoire crasseuse.
Mick me dit quelque chose. Je ne comprends pas bien, parles plus fort Mick. Quoi maman ?! Ah oui, maman ! Mais où est-elle ? Quittant la salle de bain, je décide de partir à sa recherche.
Passant devant ma chambre, j’ouvre la porte. La pièce est plongée dans une pénombre familière, j’entre et l’angoisse s’évapore aussitôt. Mon matelas, posé à même le sol et recouvert d’un drap sale me semble tout à coup très attirant. Oui, Mick, tu as raison, je vais me reposer un peu et ensuite j’irai trouver maman.
Un oiseau chante dehors. Ou peut-être est-ce dans ma tête? Peu importe. La différence entre dehors et dedans est tellement floue… J’ouvre un œil ensommeillé, il fait jour dans la pièce. Un soleil timide et blanc traverse la barrière légère des rideaux grisâtres. Mon ventre grogne. Un vague souvenir de feu me revient, aussitôt balayé par une sensation de soif intense. Je me lève et boit le contenu d’un verre posé sur le sol. C’est très frais, très rafraichissant et je me sens mieux instantanément. Je sors de la chambre et je glisse alors sur une flaque d’eau. Me rattrapant de justesse, je traverse le couloir et entre dans la salle de bain. La baignoire déborde, le robinet est ouvert à fond. Mais que s’est-il passé ici ? Jimi ricane. Ta gueule Jimi ! J’arrête le robinet et retourne sur mes pas, pataugeant dans l’eau glacée. Maman va nettoyer. Elle nettoie toujours. D’ailleurs, elle a surement préparé mon petit-déjeuner et m’attend dans la cuisine à l’heure qu’il est. Les chiens dans la cour n’arrêtent pas d’aboyer, je vais voir ce qu’il se passe. Ils n’aboient jamais sans raison. Je jette un œil à travers le rideau de l’entrée, Sam, Tonga et Ross paraissent furieux dans leur box. Ils tournent en rond et se mettent debout contre la grille. Mais il n’y a aucun intrus dans la cour. J’irai voir ce qu’ils ont tout à l’heure. Pour le moment j’ai trop faim et j’imagine la bonne omelette aux lardons de maman. Elle sait toujours ce qui me fait plaisir, maman. Elle sait aussi comment apaiser ma tension et mes angoisses lorsque Jimi, Mick et les autres crient tous en même temps dans ma tête. Parfois, dans sa chambre, elle utilise un moyen spécial pour me détendre. J’aime bien, mais après je me sens bizarre. Les cris dans ma tête reprennent encore plus fort qu’avant. Maman, elle, a l’air satisfait. Comme lorsqu’elle me prépare mon dessert préféré, la tarte aux pommes et à la cannelle, et qu’elle me regarde l’engloutir en quelques bouchées. C’est trop bon, la tarte aux pommes et à la cannelle. Maman, elle est unique. Mais parfois, elle m’énerve. Surtout quand elle ne veut pas que je ramène des filles à la maison. Elle dit que ces filles se moquent de moi, qu’elles ne savent pas ce qui est bon pour moi. Pourtant, elle fait bien venir des types, elle. Et la nuit, je les entend, dans la chambre de maman. Elle ne veut pas que je dorme avec elle ces soirs là et je dois rester sur mon matelas. Jimi dit alors qu’elle ne m’aime plus. Ca me fait enrager d’imaginer que maman ne m’aime plus. Mais je me dis que maman a sûrement raison à propos des filles. Parce que les filles, elles font ce que fait maman parfois. Sauf que lorsque ce sont les filles qui font ça, ça me met en rage contre elles. Il n’y a que maman qui a le droit de toucher, là. Elle me l’a bien dit, maman. Les filles, c’est le diable. Et parfois, les filles, elles ont des airs… Ca me donne envie de leur faire mal, vraiment mal. Ca m’excite quand je pense à ça, alors maman, elle fait ce qu’il faut pour me détendre.
Et soudain, je suis devant la porte de la chambre de maman. Je ne pense plus à l’omelette. Je pense aux filles qui m’excitent. Et aux chiens qui aboient dans ma tête. Et à Jimi. Et Mick. Et Keith aussi. Je les entends. Ils me disent de ne pas entrer dans la chambre de maman, que c’est mal. Et plus je m’approche de la porte, plus les chiens crient fort dans ma tête. Lorsque je touche la poignée, je n’entends plus que leurs cris. Je ne vois plus que leurs cris. Et du rouge, du rouge plein ma tête. La douleur est revenue, elle écrase mon cerveau dans son poing et il n’y a plus que de la douleur et des cris dans ma tête.
La nuit Oui, c’est la nuit. Tout est calme autour de moi. Trop calme ? Je ne sais pas et ne m’attarde pas vraiment sur cette sensation étrange. Mais je sens le froid. Un petit nuage dense se forme à chacune de mes expirations et disparaît dans la pénombre.
Je suis assis à la table de la cuisine, j’entends le ronronnement familier du frigo, le tic-tac régulier et implacable de l’horloge derrière moi. Une douleur diffuse palpite dans mon crâne. Je la connais bien cette douleur. Je vis avec elle depuis si longtemps ! Pour le moment, elle est assez loin, comme assoupie. Je peux de nouveau penser, réfléchir même.
Je masse lentement la base de mon nez, entre les deux yeux, et j’inspire longuement. J’essaie de rassembler le cours de mes pensées, mais c’est tellement difficile ! Ca a toujours été tellement difficile !
Je tends la main devant moi. Oui, elle est là. J’attrape la bouteille qui tinte doucement contre ma chevalière, j’approche le goulot de ma bouche avide et boit trois longues gorgées d’un liquide qui me brûle à l’intérieur. Ca fait mal. Mais je me sens plus vivant grâce à la douleur. J’essuie mes lèvres d’un revers de la main et me lève, trop vite. Je laisse passer le léger vertige, puis me dirige lentement vers l’interrupteur. La lumière se fait et je peux voir la cuisine en entier.
Le mobilier hors d’âge me fait face et je cligne des yeux un instant. Le tablier de maman est à sa place, sur le dossier de sa chaise.
L’évier est jonché de vaisselle sale, une casserole au contenu douteux gît sur la petit plaque électrique et la table est recouverte de restes alimentaires en tout genres, pour certains dans un état de pourrissement déjà bien avancé. L’impression d’étrangeté me revient, plus forte. Pourquoi tout est si calme ? Pourquoi maman n’a pas nettoyé la cuisine ? Elle ne supporterait pas un tel désordre ! Je tourne la tête pour regarder dans le couloir, j’ai oublié la cuisine. J’ai mal à la gorge, mon ventre me brûle. Est-ce qu’il se pourrait que je sois en train de me consumer de l’intérieur ? Immédiatement avec cette pensée, je ressens réellement le feu en moi et cette sensation me paralyse d’angoisse. Mon cerveau essaie de me faire comprendre que ce n’est pas possible d’avoir du feu dans le ventre. Mais je ne l’écoute pas. Je ne suis plus qu’une torche vivante. Il faut que j’éteigne ce feu au plus vite !
Je me rue dans la salle de bain et actionne le néon. Une lumière blafarde tombe sur moi et m’enveloppe froidement. Je fouille dans le placard au dessus du lavabo et dégote une bouteille de solution pour bain de bouche. Jimi saute de joie dans ma tête. Il me dit que c’est exactement ce qu’il me faut pour éteindre l’incendie. J’ouvre en hâte le bouchon et vide la moitié de la bouteille d’un trait. Ca brûle encore plus et je m’étrangle en recrachant le liquide mentholé, les yeux envahis de larmes. Tu t’es moqué de moi Jimi ?! Je t’entends rire ! Arrêtes de rire comme ça ! Je ne supporte pas qu’on se moque de moi ! Arrête ! La brûlure dans mon ventre, le rire de Jimi… Tout ça me paralyse de nouveau, je sens ma rage qui monte. Il faut que ça s’arrête ! J’assène un violent coup de poing dans le mur à côté de moi et c’est maintenant ma main qui brûle. Je savais bien que j’étais entré en combustion. Un bain froid. Oui c’est ça, il faut un bain froid pour calmer la brûlure et éteindre le feu.
J’ouvre le robinet d’eau froide à fond, une flaque commence à se former dans la baignoire crasseuse.
Mick me dit quelque chose. Je ne comprends pas bien, parles plus fort Mick. Quoi maman ?! Ah oui, maman ! Mais où est-elle ? Quittant la salle de bain, je décide de partir à sa recherche.
Passant devant ma chambre, j’ouvre la porte. La pièce est plongée dans une pénombre familière, j’entre et l’angoisse s’évapore aussitôt. Mon matelas, posé à même le sol et recouvert d’un drap sale me semble tout à coup très attirant. Oui, Mick, tu as raison, je vais me reposer un peu et ensuite j’irai trouver maman.
Un oiseau chante dehors. Ou peut-être est-ce dans ma tête? Peu importe. La différence entre dehors et dedans est tellement floue… J’ouvre un œil ensommeillé, il fait jour dans la pièce. Un soleil timide et blanc traverse la barrière légère des rideaux grisâtres. Mon ventre grogne. Un vague souvenir de feu me revient, aussitôt balayé par une sensation de soif intense. Je me lève et boit le contenu d’un verre posé sur le sol. C’est très frais, très rafraichissant et je me sens mieux instantanément. Je sors de la chambre et je glisse alors sur une flaque d’eau. Me rattrapant de justesse, je traverse le couloir et entre dans la salle de bain. La baignoire déborde, le robinet est ouvert à fond. Mais que s’est-il passé ici ? Jimi ricane. Ta gueule Jimi ! J’arrête le robinet et retourne sur mes pas, pataugeant dans l’eau glacée. Maman va nettoyer. Elle nettoie toujours. D’ailleurs, elle a surement préparé mon petit-déjeuner et m’attend dans la cuisine à l’heure qu’il est. Les chiens dans la cour n’arrêtent pas d’aboyer, je vais voir ce qu’il se passe. Ils n’aboient jamais sans raison. Je jette un œil à travers le rideau de l’entrée, Sam, Tonga et Ross paraissent furieux dans leur box. Ils tournent en rond et se mettent debout contre la grille. Mais il n’y a aucun intrus dans la cour. J’irai voir ce qu’ils ont tout à l’heure. Pour le moment j’ai trop faim et j’imagine la bonne omelette aux lardons de maman. Elle sait toujours ce qui me fait plaisir, maman. Elle sait aussi comment apaiser ma tension et mes angoisses lorsque Jimi, Mick et les autres crient tous en même temps dans ma tête. Parfois, dans sa chambre, elle utilise un moyen spécial pour me détendre. J’aime bien, mais après je me sens bizarre. Les cris dans ma tête reprennent encore plus fort qu’avant. Maman, elle, a l’air satisfait. Comme lorsqu’elle me prépare mon dessert préféré, la tarte aux pommes et à la cannelle, et qu’elle me regarde l’engloutir en quelques bouchées. C’est trop bon, la tarte aux pommes et à la cannelle. Maman, elle est unique. Mais parfois, elle m’énerve. Surtout quand elle ne veut pas que je ramène des filles à la maison. Elle dit que ces filles se moquent de moi, qu’elles ne savent pas ce qui est bon pour moi. Pourtant, elle fait bien venir des types, elle. Et la nuit, je les entend, dans la chambre de maman. Elle ne veut pas que je dorme avec elle ces soirs là et je dois rester sur mon matelas. Jimi dit alors qu’elle ne m’aime plus. Ca me fait enrager d’imaginer que maman ne m’aime plus. Mais je me dis que maman a sûrement raison à propos des filles. Parce que les filles, elles font ce que fait maman parfois. Sauf que lorsque ce sont les filles qui font ça, ça me met en rage contre elles. Il n’y a que maman qui a le droit de toucher, là. Elle me l’a bien dit, maman. Les filles, c’est le diable. Et parfois, les filles, elles ont des airs… Ca me donne envie de leur faire mal, vraiment mal. Ca m’excite quand je pense à ça, alors maman, elle fait ce qu’il faut pour me détendre.
Et soudain, je suis devant la porte de la chambre de maman. Je ne pense plus à l’omelette. Je pense aux filles qui m’excitent. Et aux chiens qui aboient dans ma tête. Et à Jimi. Et Mick. Et Keith aussi. Je les entends. Ils me disent de ne pas entrer dans la chambre de maman, que c’est mal. Et plus je m’approche de la porte, plus les chiens crient fort dans ma tête. Lorsque je touche la poignée, je n’entends plus que leurs cris. Je ne vois plus que leurs cris. Et du rouge, du rouge plein ma tête. La douleur est revenue, elle écrase mon cerveau dans son poing et il n’y a plus que de la douleur et des cris dans ma tête.