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Si vis Pacem, Para bellum.
#1
Quote:"Hé Conard !"

Fritz releva la tête, devisageant l'homme d'un regard dur. S'il y avait deux choses que Fritz détestait dans la vie, c'était tout d'abord ses parents et qu'on l'appelle par son vrai prénom.
C'est incroyable l'impact que peut avoir la dyslexie d'un père sur la vie de son môme quand vient le moment de remplir la déclaration de naissance d'un gamin.

"Conrad Fritz".

C'était pas si compliqué à écrire pourtant. Foutu padre. En même temps, la vioque aussi y avait mis du sien. Quand on débarque dans le Nouveau Monde, refiler un nom teuton à son mouflet c'est pas la meilleur chose à faire. Vouloir changer de vie et de continent et faire preuve de sentimentalisme et de traditions lorsqu'on y arrive. Putain d'immigrants. Putain de mentalité.

Enfin bref. Fritz tapota le comptoir du bout des doigts faisant mine de ne pas avoir entendu le mot honni, tenant de son autre main un verre de Jameson, whiskey irlandais de son état comme le prouvait fièrement le blason de trèfles à trois feuilles surmonté d'un bateau.

"Bon alors, tu la payes ta tournée ?"

Fritz réalisant qu'on s'adressait plutôt à son porte-monnaire qu'à lui, enchaîna alors avec son fameux numéro du "bizarre y'a comme un truc au fond de mon verre et je vais donc plisser les yeux, loucher peut être et surtout ne rien entendre des conversations en cours, encore moins si des mots comme "tournée" ou "payer" s'y glissent."
Et vu la longueur du nom, ça allait surement être le seul spectacle à l'affiche pour toute la journée.

Ca n'empêchait pourtant pas les frères Bob et Charles Ford de se tenir près de lui, lorgnant sur sa bouteille entamée comme des vautours attendant qu'un vagabond mourrant de soif agonise. Sauf que dans le cas présent, les vautours affichaient des mines porcines résolues tandis que la dite bouteille entamait une série de claquettes bien sentie sur les airs endiablés que chantaient les trèfles à trois feuilles.
Apparement il était encore plus saoûl que l'alcoolique du village dans un roman irlandais.

Putain d'ébriété. Putain d'irlandais. Une putain de bande de bouffeurs de patates, oui. Il murmura alors pour lui même :

"Peuv' pas boire du bourbon comme tout le monde ? Faut en plus qu'ils m'empoisonnent avec leur saloperie !"

Au summum de son patriotisme, Fritz s'appretait à siffler l'air de "Dixie" quand la porte du saloon s'ouvrit, laissant apparaitre un fauteuil roulant datant de mathusalem. Sur cet étrange bric à brac de bois pourris et d'essieus grinçants, se tenait une vieille peau qui aurait justement pu être la mère du personnage biblique. L'odieuse mégère qui venait d'entrer faisait bien entendu parti de cette catégorie de personne qui pense que la sagesse se compte aux nombres de varices et de chicots pourris. La vieille Elda était donc très sage.


"Les gamins ! Le gang James-Younger vient d'arriver à Lexington !" vociféra-t'elle.

Bob Ford abandonna alors ses plans d'alcool gratuit et se tourna calmement vers elle :
"Ici t'es à Louisville ma vieille Elda, dit t'il. T'as interêt à garder ta grande gueule aussi serrée que ton trou du cul puant."

Elda lâcha alors un crachat sur le plancher, montrant ainsi toute l'attention et les bons sentiments qu'elle portait à Bob.
Sacrée Elda. Mauvais endroit, mauvaise époque. Il fallait tout de même avoir une certaine maturité pour supporter le fait qu'au cours du XXIIIème siècle, des gens se seraient arrachés à prix d'or des papiers peints couleurs "vert douteux", couleur qui malheureusement ne se trouvait à l'état naturel que quelques siècles plus tôt, précisement dans les glaviots d'Elda. Bon, en même temps, qui auraient pu savoir que les glandes salivaires de la vieille étaient encore plus juteuses que l'Eldorado ?


"Ecoute moi bien mon garçon, j'ai passé l'âge d'écarter les cuisses pour des types dans ton genre, alors tu pourrais te douter que si je viens ici c'est pour une nouvelle importante et pas pour ton poireau."

Elle s'avança alors vers Bob, son fauteuil-roulant émettant des cris stridents réguliers, et brandit sa canne comme un fusil. Elle porta la mise en scène jusqu'à la caler sous le menton de l'homme.

Se joignant aux mimes de la vieille, une fusillade éclata dans la rue pour appuyer ses dires. Bob eut alors le reflexe de se coucher à terre bien que ce fut inutile, puisque les coups de feu ne provenaient bien évidemement pas de la canne de la vieille Elda. Bien heureusement pour l'aîné des frères Ford, l'excitation et la peur ambiante ne permit à personne de le questionner sur la nature de la flaque jaunâtre qui s'était formée sur son pantalon et qui dégoulinait à présent dans ses bottes en peau de serpent.



Charles, de quatre ans son cadet s'avança dans le saloon :

"Qu'est ce que vous en dites les gars ?" demanda t'il, embrassant la salle d'un coup d'oeil circulaire.

La plupart des gens présents dans le saloon furent alors étrangement pris par des occupations naissantes et aussi vitales qu'inspecter un chapeau ou bien remettre à l'heure une montre gousset. Il ne perdit pas pour autant son calme, et se tourna vers le bar :

"On peut compter sur toi Conrad ?"

"Toujours" répondit Fritz du timbre de voix tranquille mais lourd de sens. Il laissa tomber une main sur la crosse de sa winchester spéciale à canon long, portant l'autre main un instant à son chapeau, s'assurant que celui ci était bien en place. Et il l'était.

Fritz se leva de son tabouret et se planta au milieu de la salle, son regard froid balayant les foies jaunes qui n'allaient pas prendre part à l'un des duels les plus emblématiques du Far-West. Les deux frères se mirent de part et d'autre de lui, et ils sortirent ensemble à trois de front par la porte à double battant. L'ambiance devint alors de plus en plus thêatrale lorsque le clocher de l'église méthodiste de Louisville retentit des douze coups annonçant midi.


"Elle sonne faux. Faudra penser à ce que je la retape..." déclara t'il sur un ton solennel, avant d'enfoncer son chapeau sur sa tête.

La fin de sa phrase fut couverte par le fracas des vitres et des bâtisses explosant sous l'impact des projectiles sortant des colts des frères James. Cole Younger prenait quant à lui un malin plaisir à faire siffler les balles au dessus des têtes des habitants paniqués, qui ne pouvaient que se résoudre à trouver un abris.
Ce fut Frank James le premier à remarquer les hommes venant à leur rencontre. Il fit trotter sa monture vers le trio, arme à la main, sourire mauvais aux lèvres.


"Ben tiens, ça ne serait pas ce cher Bob Ford ? Comment vas tu depuis la dernière fois ? J'espère que la prime pour nous dénoncer au shériff en valait la peine, parceque tu risques de le regretter, faux frère. Si je te dis "trou dans le crâne", tu penses à quoi ? Comme ça à brûle pourpoint ?"

Jesse James s'approcha à son tour et mis pied à terre, toisant les hommes faisant face à son gang.

"Je vois que tu es toujours accompagné de ton salopard de frère. Alors Charles, tu as trouvé qui pour vous tenir la chandelle à toi et ton..."

A l'inverse du rictus de peur qui prenait forme sur la bouche du célèbre braqueur de banque, son corps s'arrêta net lorsqu'il vit le visage du troisième homme. Il fit un pas en arrière, tandis que Cole Younger, l'inséparable troisième membre du gang James-Younger cracha :

"Bordel de Dieu, c'est Conrad Fritz ! On devait juste piller la banque du coin les gars, pas se faire trouer la peau par le Père aux Mille Sermons !"

Fritz passa sa winchester dans son dos tandis qu'une atmosphère à la fois suffocante et emplie de mysticisme s'empara du décor.
Une bourrasque envoya valser le chapeau de Fritz et fit flotter dans les airs sa veste, laissant apparaître la soutane de l'homme de foi. Une soutane sentant la poudre et ayant le goût cuivré du sang.

"Vous devriez commencer à prier mes Fils. Et en silence hein. Je voudrais pas dire, mais vous aurez un mal de chien à articuler un mot avec quinze kilos de plomb dans les poumons."

Sur le douzième coup de cloche, le Père Fritz fit jouer le chien de son crache-mort du plat de la main, criblant les frères James. Alors que son attention se reportait sur Cole Younger, le prêtre vit une silhouette apparaître dans le coin de son oeil. Un barbu. Un putain d'homme barbu se mettant à gueuler.

Si ce putain de clébard pouvait fermer son claque-merde, pensa Fritz, ce serait un don du ciel. Qu'est ce qui lui prend ? Les "méchants" se font dézinguer, je lui sauve ses économies et ses couilles, alors pourquoi il me l'a joue marie-madeleine tout à coup ?

Mais les cris toujours plus forts et perçants du barbu revenaient en écho à ses pensées. Fritz plaqua alors ses paumes sur ses oreilles et ferma aussi fort qu'il le put ses paupières, comme pour chasser de son esprit l'homme. Putain de barbu.
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#2
Quote:La messe de midi allait bientôt commencer et déjà l'évêque de la cathédrale de Cologne entamait ses moulinets du bras afin de faire entrer ses ouailles dans la paroisse. Ses gestes ancrés dans la routine appelaient les badauds comme les habitués les plus fidèles à prendre place rapidement, bien que ses accolades soit reservées aux plus généreux - et influents - mécénes de la cité allemande.

Ses efforts pour passer pour un homme de foi éclairé et dynamique étaient couronnés de succès et chaque jour les têtes nouvelles étaient plus nombreuses. Encore une raison d'être de bonne humeur.

L'homme de foi sourit. Un soleil radieux, une quête fructueuse, toujours plus de paroissiens, et huit mille mètres carrés d'art gothique, fleuron de l'art catholique romain. A se demander pourquoi Jésus ne s'était pas incarné dans une cathédrale. C'est sur, une cathédrale ne multipliait pas les pains et ne marchait pas sur l'eau, mais ça avait de la gueule et ça tenait plus que trente-trois ridicules années.

Il laissa alors échapper un long soupir de satisfaction et descendit quelques marches jusqu'au parvis de l'église, afin d'avoir une vue d'ensemble de la paroisse. Sa paroisse.

Nouveau sourire.

Il remarqua alors à ce moment un tas de détritus amassé près de l'un des piliers de sa cathédrale. Il fronca les sourcils. Il détestait le désordre.
Mais bon, ce n'était pas si grave, il suffirait d'un appel au civisme et des jeunes se chargeraient d'enlever tout ça. Avoir tant d'impact sur les gens, ça en devenait grisant.

Il resta là un moment à regarder un vieux journal, les pages battues et tournées par le vent, attendant le moment où il prendrait son envol. Il attendit moins de trente secondes et le miracle s'accomplit. Le journal s'envola, laissant apparaître là où il était auparavant un visage ne semblant pas être incommodé par l'odeur des sacs poubelles à moitié pleins et des cartons trempés autour de lui.

Ni sa propre odeur, à la réflexion.
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#3
Quote:Peu de gens savent que le désir d'arrêter de boire est la seule condition pour être membre des Alcooliques Anonymes.
Fritz le savait, mais c'était une condition de trop pour lui.

Il voyait deux avantages conséquents au fait d'ingérer régulièrement des quantités astronomiques d'alcools.

Tout d'abord les femmes étaient subitement plus attirantes, et même si cela ne participait pas à l'épanouissement de sa vie sexuelle d'homme de foi, il avait remarqué que le nombre de viols avait baissé de manière significative.

Bon, après c'est sur, il fallait voir la gueule des gosses, croisement infâme d'un père alcoolique et d'une mère déformée, mais bon, les voies du Seigneur sont impénétrables.

D'un point de vue personnel, Fritz était trop heureux de ne pas avoir à se soucier du lieu où il dormirait la nuit suivante : une simple rasade d'alcool fort et hop, on se réveillait le lendemain dans un endroit toujours plus surprenant sans s'être torturé les méninges à trouver un gîte.

Le corps se contentait de peu de choses une fois l'esprit enivré par les vapeurs de mauvais vin et de bières bas de gamme. La ruse séculaire qu'avait développé la matière face à la main mise de l'esprit avait été un grand pas en avant dans l'humanité : le fait de se demander si l'urine qui maccule son pantalon est bien la sienne est une question qui vous occupe jusqu'à la prochaine nuit.


Un bruit vint alors tirer l'esprit et le corps de leur joute millénaire, et Fritz se trouva donc vautré dans des poubelles jonchant le parvis de l'église au moment où il fut tiré de son sommeil. Il tendit les oreilles, la mine renfrognée. Il connaissait ce bruit, il le haïssait même. Il ouvrit les yeux.

"Putain de bicauds. D'accord, nos cloches sonnent toutes les heures, mais c'est pas pour autant qu'on a le mauvais goût de mettre un curé dessus faisant un appel à la prière. Mentalité de primates, toujours à vouloir grimper dans un arbre !"
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#4
Quote:[Image: dislammuezzinzq7.jpg]


L'Orient.

Si mystérieux et si proche à la fois, berceau des origines et rafraîchissant d'exotisme.

Qui n'a jamais été conquis par les souks du Caire, les pélerinages de La Mecque ou bien les muezzin appelant à la prière du haut de leurs minarets ?

Ha ! Les charmes de l'Orient. Comment y rester insensible ? Il faudrait vraiment avoir un coeur de pierre pour ne pas y succomber.

Ou simplement être le Père Fritz, homme de foi catholique de son état, et fervent opposant à l'existence d'une autre religion que la sienne. Surtout si elle brise ses rêves les plus épiques. Un songe où l'on "joue avec le chien de son Colt de la paume de la main" est toujours un bon rêve.

Toujours.
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