Un taxi pour Immac

[Nathanaël Reyter]

Le fond de l’air était frais. Assis sur le bord d’une corniche, bercé par les ressacs de la mer, Nathanael réfléchissait. Il prit un brin d’herbe, le coinça entre ses dents, s’allongea sur une pierre plate, les bras croisés derrière la tête et il se mit à regarder fixement le ciel, comme s’il attendait une réponse à une question. Une question qu’il n’avait pas encore posée. Une question qui pourtant trottinait dans sa tête, faisait le tour de ses neurones et n’arrivait pas à sortir.

Il resta plusieurs heures dans cette position. Le soir tombait et il se mit à la recherche d’un kebab. Ces vacances lui faisaient un bien fou, il avait réellement besoin de se ressourcer. Il prit un taxi.
- Où allez-vous ?
- Au Centre Ville, je vous dirais où vous arrêter.
- Très bien, c’est vous le patron.

Nathanael eut soudain une brusque envie de parler.
- Vous savez que je suis chauffeur de taxi aussi ?
- Ah ? Vous exercez toujours ?
- Oui, mais pas dans cette ville.
- Ha ! Ici c’est assez calme. J’suis content, c’est pas la banlieue parisienne, on y voit de ces trucs…
- Si vous saviez ce que j’ai vu…
- Racontez-moi !
Brusquement, Nathanael se rendit compte qu’il allait dire des choses qu’il ne fallait pas. Que lui avait dit Sandra ? C’était secret.
- Oh, vous savez, des bagarres de rues, lancement de cocktails molotovs, y’a même une nana qui a voulu emboutir ma bagnole, sciemment ! J’vous jure ! Elle avait de ses yeux… Heureusement, je l’ai évitée de justesse.
- Eh ben ! Vous deviez être dans un chaud quartier…

Nathanael se mura ensuite dans un mutisme jusqu’à sa destination. Il descendit du taxi, paya le chauffeur et arpenta les rues de la ville. Ses yeux parcouraient tout son environnement, comme s’il était à la recherche d’un signe ou quelque chose dans le genre. Finalement, la soirée était presque trop tranquille. Il était habitué à plus d’action ces derniers temps. Il acheta son kebab et continua à marcher dans les rues piétonnes de la ville, l’air songeur.

[Nathanaël Reyter]

La nuit était calme. Et son sommeil était profond. Il se réveilla avec la sensation d’avoir admirablement bien dormi. Quelques images érotiques, effluves d’un passé pas si lointain dans un bus avaient ressurgi dans un rêve. Lui, un homme ordinaire, jouissant d’une vie d’une banalité extraordinaire, avait été témoin d’évènements incroyables. Et tout avait commencé par ce katana qu’il a eu la chance ou la malchance de ramasser, un soir de cuite.
Assis sur le rebord du lit, il s’étira, se frotta les yeux et fit le point encore quelques instants. Puis il se leva, alla en direction de la salle de bains, se lava, se rasa (du moins, tailla sa barbe) et se brossa les dents, puis il descendit dans la salle à manger prendre son petit déjeuner. Il était encore assez tôt et il fut l’un des premiers à arriver dans la salle.
Un peu plus loin, des hommes d’une vingtaine d’années discutaient tranquillement à voix basse à une table. Les bribes de conversation qui lui parvenaient étaient somme toutes assez standard :

… je travaillais dans une entreprise de nettoyage… sorti avec la secrétaire… des infos croustillantes… fait mon rapport…
Ceci jusqu’à ce que les éléments décrits prirent une toute autre ampleur : … flammes… mon épée… cornes… tomba du 3e étage… course poursuite…

Nathanael se leva de son siège aussi discrètement qu’il put pour aller se servir au buffet. Il ne remarqua pas le 2e homme faire signe à son ami de la mettre en sourdine. Mais le premier continua et conclut :

« Et là je fais un gros fumble ! Le MJ me regardait d’un air sadique ! J’ai failli pas m’en sortir sur ce coup ! Et tu sais ce que j’ai fait ? J’ai fini ma pizza et j'ai dit au MJ : J’invoque mon supérieur ! La tronche qu’il a tiré, en plus j’ai réussi mon jet de dés !».

Nathanael sourit. Il n’était pas dupe. Il se servit en jus de fruits et en biscottes, prit son café et alla se rasseoir à sa table.
Finalement, que valait-il mieux ? Avoir une vie pépère au volant d’une voiture ou vivre ce genre d’aventures ? Avec tous les risques que cela comporte. Petit, il avait souvent rêvé d’être un aventurier, Bob Morane, Indiana Jones, c’étaient ses idoles. Et puis la vie vous rattrape et vous devez gagner votre croûte et ce n’est pas en allant chercher quelques pauvres reliques dans des pays de fou que l’on mange à sa faim. Enfin, il le croyait.
La journée se passa sans heurts et était d’une platitude mortelle.

[Nathanaël Reyter]

Le lendemain, Nathanael avait décidé de se promener à pied dans la ville. Il faisait bon, une légère petite brise venait caresser son visage. Il passa devant une église. Il regarda la façade pendant plusieurs minutes l’air songeur, devant les marches d’escalier. La dernière fois qu’il était rentré dans une église remonte à pas si loin que ça. Immac… cette ville qui regorgeait de surprises. Finalement, il rentra dans l’édifice et se dirigea vers le confessionnal.
Le Père Larbor le rejoignit quelques instants plus tard.

- Pardonnez-moi mon Père parce que j’ai pêché.
- Je vous écoute mon fils, reprit le Père.

Nathanael commença à lui raconter sa vie, comment sa femme l’avait quitté, comment il avait perdu le peu de foi qu’il avait, comment il avait succombé aux ravages de l’alcool, mais aussi comment il avait surmonté cela. Il lui raconta également qu’il avait succombé au pêché de chair, dans un bus sous les assauts répétés de deux ravissantes créatures, alors qu’il était sous l’emprise de l’alcool. Il lui raconta également qu’il commençait à retrouver la foi, et le Père l’encouragea à continuer dans cette voie.

Il ne lui raconta pas qu’il avait vu un ange disparaître sous les assauts d’un démon griffu et cornu (entre autres évènements tout aussi inquiétants mais celui-ci avait été l’élément déclencheur). Il ne lui raconta pas qu’il avait rencontré des anges et que l’un d’eux l’avait mis au courant du Grand Jeu. Il ne lui raconta pas sa rencontre avec cette Elodie Masset, cette femme aux yeux brillants qui avait tenté de l’emboutir avec sa voiture. Bien sûr, il savait que le fait de transporter des anges y était pour beaucoup. Cette femme, ou ce démon plutôt avait osé l’attaquer sur sa faiblesse, l’alcool. Elle l’a ainsi conforté dans le fait qu’il avait choisi la bonne voie et qu’il devait lutter contre eux. Bien entendu, l’alcool, la drogue, le sexe, la gourmandise, la paresse, entre autres, tous ces éléments contribuent à corrompre l’être humain. Ceci dit, Sandra Demonceau avait bien fait son travail, et il sut alors qu’il devait lutter contre l’engeance démoniaque. Il l’a donc fait à son échelle. Cétait peu, très peu. Inutile même.

Nathanael sortit du confessionnal. Il avait l’air soulagé, mais un brin insatisfait. Il fit un signe de croix devant le Christ, s’assit quelques instants, non pas pour prier, mais pour s’accorder encore quelques temps de réflexion. Puis il sortit. L’air s’était alourdi, et des nuages noirs annonçaient une averse.

Il rentra chez lui.

[Nathanaël Reyter]

Nathanael ouvrit les yeux. Où était-il ? Devant lui s’étendaient de grands jardins, sous une luminosité parfaite. Des bâtiments d’une architecture parfaite et de toutes beauté étaient érigés à certains endroits. Un ange, doté de magnifiques ailes blanches vint à ses côtés. C’était un homme beau, de belle stature, musclé, mais sans exagération.

- Bonjour Mr Reyter, je vous souhaite la bienvenue au Paradis.
- J’vous demande pardon ? fit Nathanael interloqué. Je suis mort ?
- Non, rassurez-vous, quoique cela ne changerait pas grand-chose à votre état actuel, répondit l’ange avec un sourire. Venez, suivez-moi, je vais vous faire découvrir le lieu où vous résiderez désormais, le Jardin des Délices.
- J’suis en train d’rêver, c’est ça ?
- Aucunement. Vous êtes REELLEMENT au Paradis. Votre corps physique va servir à un ange. Il va s’incarner sur Terre après des millénaires d’attente. Nous avons lu dans vos pensées que vous étiez légèrement au courant de cet état de fait.
- Oui, on m’en a parlé effectivement.
- Nous avons aussi remarqué que vous souhaitiez aider les anges. Mais vous n’êtes pas un aventurier, je ne pense pas me tromper.
- En effet.
- Plus grand-chose ne vous retient sur Terre. Alors, ne seriez-vous pas mieux ici ? Regardez ces bâtiments majestueux. Regardez ces jardins. Pensez-vous que vous ne vous plairiez pas ici ?
Nathanael se gratta la tête, ne sachant que dire.
- En attendant de prendre vos quartiers, je vais vous faire visiter la Cité Eternelle. Ceci dit, plus tard, vous n’y aurez jamais accès.
- Et donc je vais résider ici longtemps ?
- Pensez-vous que l’Eternité soit trop longue ?

L’ange Tourtel se réveilla dans un lit un peu dur. Il s’assit sur le bord du lit et partit en direction de la salle de bains. Il vit le nouveau visage de son incarnation dans le miroir. Mouais, ça peut aller, fit-il avec une grimace en se grattant les fesses. Il se lava sommairement, s’habilla et descendit au Petit Casino du coin. Il avait une limitation à assouvir et s’acheta quelques bouteilles de pinard et un pack de Kro…

L’Administration lui avait notifié une mission au Liban, pour plusieurs mois. De toutes façons, il n’avait pas envie de rester dans cette turne et dans ce bled, et dans un premier temps, il se rasa la barbe, et maquilla une scène de meurtre pour faire croire à la disparition sanglante du chauffeur de taxi. Ainsi, il ne serait plus embêté. Il pourrait s’investir à fond dans les missions qui lui seront confiées.

Une page était tournée.

Adieu Nathanael je t’aimais bien, c’est dur de mourir au printemps tu sais…