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Pendentif en argent, carnet de cuir et bubble gum
#1
(hrp : chronologiquement, cette histoire se déroule avant les évènements relatés dans celle-ci et donc naturellement dans celle-là)

Une bulle de chewing-gum rose gonfle puis éclate dans la bouche d’Abigail. Appuyée contre un panneau de renseignements, une merveille de nouvelle technologie à écran digital tout récemment installée par les services municipaux, la démone est plongée dans la lecture d’un fin carnet de notes relié de cuir brun.

- On cherche à s’évader ?
- Tu es en retard.

Ponctuant sa phrase d’un grand geste théâtral, Abigail pointe d’un doigt accusateur l’heure indiquée par le panneau d’informations. Caleb lève les yeux et son cœur mécanique manque de se stopper devant la preuve de l’effroyable véracité des propos de la servante d’Andréalphus. Une minute entière se passe sans que le démon du temps ne puisse quitter l’heure des yeux.

- Bon arrête de stresser, j’te fais marcher... Y’a l’type de la maintenance qu’est v’nu tout à l’heure, et il a accepté d’avancer l’heure de cinq minutes pour moi en échange de...

L’index d’Abigail effleure la commissure de ses lèvres et le lige de Kronos sort de sa torpeur. S’enquérant des lectures de sa compagne, celle-ci lui tend le carnet.
Sur la couverture, une étiquette avec le nom « Hermann Lefebvre » a été soigneusement collée. Il se rend vite compte qu’il s’agit de pages déchirées dans un journal intime, de moments choisis, d’instants vécus et désormais figés sur le papier jauni. Cela le glace un instant. Puis il commence la lecture.

« Paris, 2 septembre 1997
Je me sens étrange ce soir, une pointe d’amertume s’est logée dans mon cœur et aucun disque, aucune lecture ne peut l’en déloger. Peut-être l’écriture jouera le rôle d’exutoire que l’on veut bien lui prêter ? Je l’espère.
À vrai dire, je ne sais d’où me vient ma langueur. Cette journée ne m’a rien apporté que son lot quotidien et rien n’a troublé le calme de l’habitude. Alors quoi ?
Je ne saurais mettre ce sentiment sur le compte de la fin des vacances estivales. J’aime mon métier, j’aime enseigner et c’est une joie chaque année renouvelée que de retrouver mon bureau de la Sorbonne, mes papiers, mes étudiants...
J’ai même été ravi de recevoir la jeune Carole Fontaine dans mon bureau. Gilles, son père, et moi avons été si amis par le passé. L’éloignement géographique même n’a pu briser ces liens et nous nous appelons souvent. Je m’étonne chaque fois du temps de nos conversations, un temps qui file sans que je sache où il s’est enfui. Lors de son dernier appel, il m’avait prévenu que sa fille s’installait à Paris pour ses études et je l’ai invitée à passer à mon bureau.
Je parle de Carole comme d’une jeune fille, mais je l’ai à peine reconnue. Mon Dieu c’est bien naturel, cela fait combien d’années que je ne l’avais pas vue ? Nous avons discuté un peu, elle partage sa chambre avec une colocataire.
Pour une raison que j’ignore, j’ai cherché à savoir s’il s’agissait bien d’une autre fille. Peut-être étais-je poussé par un devoir moral envers son père ? Ou bien simplement m’enquérais-je de sa sûreté ?
Carole est charmante et m’a promis de repasser.
Non, vraiment, je ne saurais expliquer mon trouble état que par un vague à l’âme passager qu’une bonne nuit de sommeil aura tôt fait de dissiper.

Paris, 9 octobre 1997
Carole et moi sommes allés prendre un verre à Montparnasse.
Je ne sais plus qui de nous deux a émis cette idée, peut-être était-ce moi mais je ne le crois pas. Jamais je n’aurais osé... Non, c’est probablement elle.
J’avais peur, au début, que l’on nous regarde de biais, que l’on porte sur nous des regards moralisateurs, accusateurs mais il n’en fut rien. Lorsque l’on vit à Paris depuis quelques temps, on perd la faculté de s’étonner d’un couple aussi ordinaire, finalement. Ou bien, peut-être simplement que l’on me prenait pour son père.
Elle m’a fait cadeau de son pendentif en argent en forme de cœur. J’ai refusé au début, gêné de ce présent qui sied mieux, je dois le reconnaître, aux promesses d’un couple d’adolescents. Je l’ai devant moi au moment où j’écris ces mots.
L’automne était doux et l’après-midi idyllique. Les feuilles mortes enflamment les rues de mille couleurs chaudes contrastant avec le vent frais qui caresse délicatement votre visage.
J’ai raccompagné Carole à son appartement.
Je ne sais plus qui de nous deux a émis cette idée. Sa colocataire n’était pas là et Carole... Carole est charmante.
Les pièces sont plutôt vastes et je m’étonne qu’elle puisse se permettre de payer un tel loyer, même avec l’aide de son amie. Le tout est meublé avec goût, avec une dominante de tons bruns et orange à l’exception de la chambre de Carole qui hésite entre le rose pâle et le fushia.
J’ai fait l’amour avec Carole sur le divan, puis sur la table basse et enfin sur son lit.
Je ne sais plus qui de nous deux a émis cette idée.

Paris, 23 décembre 1997
Il faut que cela cesse. Je dois mettre fin à cette folie.
Qu’avais-je en tête ? Qu’avais-je en tête ?
Mon Dieu, alors que j’écris ces mots, je me rends compte que l’emploi de l’imparfait est tout à fait inapproprié. À la simple idée de ne plus la revoir, mon corps est pris de tremblement, le sang tambourine à mes tempes, ma vision se trouble.
Qu’ai-je en tête ?
C’est chaque fois si différent, si nouveau. Carole est si pleine d’imagination, elle déborde d’idées. Ces idées, que j’aurais trouvé abjectes il y a seulement un an, je m’y plie... Non, cela n’a rien d’une contrainte. Je les embrasse au contraire, je me les approprie, les fais miennes. J’en redemande et l’encourage. C’est un tel épanouissement, une exploration fascinante de l’autre et de soi, des ses envies, de ses limites. Comment peut-on seulement exister sans avoir connu ça ? Je me sens vivant pour la première fois depuis le jour de ma naissance.
Hier, Carole a voulu que j’utilise sur elle toute sorte d’instruments aiguisés et j’y ai tellement pris de plaisir...
Il faut que cela cesse.

Bordeaux, 15 février 1998
La douleur... La douleur est tellement insupportable. Ah, si je pouvais revenir en arrière, changer tout cela, je le ferais. Je le ferais.
Je n’en reviens pas que Gilles m’ait cogné. Je ne m’étais jamais battu avant cela et je n’étais pas en mesure de me défendre. Car après tout, il avait raison. Il avait raison et j’avais tort.
J’ai été faible, je suis faible. Je ne pouvais plus gérer Carole, je ne savais plus vers qui me tourner, à qui me confier... Je suis venu à Bordeaux retrouver mon vieil ami. Je lui ai tout raconté. Tout. Il est entré dans une rage folle. Ses poings se sont abattus sur moi.
Peut-être étais-je à la recherche de cette punition ?
Mais la souffrance physique n’est rien. Rien...
Carole m’a appelé à l’instant. Son père l’a informée de ma confession naturellement.
Elle ne veut plus me voir, naturellement.
Peut-être est-ce une interdiction de son père ? Peut-être devrais-je retourner voir Gilles pour plaider ma cause ? Peut-être pourrais-je le convaincre ?
Ma main gauche serre si fort le pendentif en argent de Carole que les jointures sont blanches et douloureuses. Je crains de devenir fou. Tout ce que je faisais, je le faisais pour elle. Que vais-je devenir ? L’avenir ne me fait plus aucune promesse... Aucune.
Oh, comme j’aimerais pouvoir revenir en arrière. N’existe-t-il donc pas une puissance supérieure, Dieu ou Diable, qui pourrait me débarrasser de cette souffrance ? Je suis prêt à tout... À tout...

Paris, 16 mars 1998
L’enfer touche à sa fin !
Carole m’a appelée !
Elle veut me voir !

Paris, 20 mars 1998
J’ai enfin je crois la force d’écrire ce qui s’est passé ce jour.
Carole m’a reçu dans son appartement sa colocataire était là aussi une certaine Sandra je crois insignifiante. Carole elle était si douce a sorti des Instruments que je n’avais jamais vus jamais encore si gentille. À trois tellement nouveau. Elle a voulu que je les utilise sur Sandra je l’ai fait je crois elle a crié Elle se débattait et puis elle n’a plus rien dit
Je crois qu’elle est morte
que je l’ai tuée
Mais Carole était si caressante... Elle a été si... satisfaite...
elle était vêtue de sang

mai ou juin
On m’accuse du triple meurtre de Gilles Fontaine, de Sandra Valette et de Carole Fontaine.
Gilles ? L’ai-je tué ? Et qui est cette Sandra ? Je ne m’en souviens plus.
Carole par contre... Ineptie. Elle est là, à côté de moi, elle me regarde écrire, elle sourit. Oh ce sourire... Elle ne dit rien, elle se contente de me fixer, de me tourner autour, de caresser mon corps avec la lame de son couteau.
On vient me chercher, je le sais. On m’enfermera sans doute. C’est peut-être mieux ainsi.
Carole suce le sang à même les plaies, le plaisir vibrant de ses lèvres sur ma peau m’étourdit, elle a attaché autour de mon cou le pendentif que j’ai tant chéri et ses doigts jouent sur la chaînette.
Ils vont venir me chercher, mais je n’en ai que faire. Carole est avec moi, elle restera toujours à mes côtés. Elle me dévore de ses yeux gourmands, tel un prédateur mais... Oh comme je suis consentant !
Ai-je tué ces gens ? Ils disent que Carole a été assassinée depuis près de 10 mois. C’est impossible. Pas Carole, pas ma Carole. Elle pose ses mains sur mes épaules et glisse ses doigts le long de mon cou.
Carole...
»

Le carnet de cuir se termine avec un court article découpé dans un journal.

« Le professeur Hermann Lefebvre, accusé du triple homicide de Carole Fontaine, Gilles Fontaine et Sandra Valette, a été retrouvé mort chez lui. Le corps était lacéré de nombreux coups de couteaux mais c’est la cause de la mort serait la strangulation avec l’aide d’une chaînette en argent retrouvée sur les lieux du crime. »

Caleb lève les yeux.

- Il est l’heure, nous devons partir.

Rangeant le carnet de cuir dans sa poche, Abigail regarde Caleb s’éloigner puis se tourne vers le panneau de renseignements municipal. Elle sort le chewing-gum de sa bouche et le colle sur le poteau, enfonçant avec son pouce un pendentif en forme de cœur dans la masse rose et collante.
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Pendentif en argent, carnet de cuir et bubble gum - by Abigail - 09-04-2007, 05:14 PM

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