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De l'ombre à la Lumière, un pas
#25
  Des coups tombaient, des objets volaient. Les bagages, les vêtements éparpillés, les corps qu'on bousculaient. Yatimè hurlait comme l'un de ses cousins, ballottée entre les adultes qui cherchaient à la protéger et ceux qui voulaient la faire taire. Des cris dans tous les sens, des gestes impardonnables. On vociférait, on insultait, on chargeait les Kodio de tous les maux qui terrifiaient les hommes. Poussés, chassés, refoulés jusqu'à la limite du village, les proscrits ramassaient ce qu'ils pouvaient de leurs affaires renversées. A quatre pattes, Amonou cherchait quelque chose en sanglotant. Des mains vinrent le relever, mais le vieillard ne voulut pas reculer. Un caillou l'atteignit sur la tempe, il retomba mollement, répétant en boucle les mêmes mots incompréhensibles. Ils le soulevèrent encore pour ne pas le laisser là. Ça crachait de partout.
  Abojo assistait à la scène, médusé. Il sentit une faiblesse dans les jambes mais se maintînt debout par un tour de volonté, levant les bras au dessus de sa tête, et utilisa sa voix si particulière, forte et vibrante. Mais pour une fois, elle fût impuissante. Le vacarme seul ne pouvait totalement la couvrir. C'était l'aveuglement engendré par l'ombre sournoise qui rendait les hommes sourds. Le wali ouvrit encore la bouche pour tenter de se faire entendre. Les mots moururent avant d'avoir franchi ses lèvres. Ses bras se baissèrent lentement. Vaincu, il commença à se détourner.
  Un son d'air brassé et une lueur aveuglante passèrent à quelques pas. Une forme ailée, déchirant le crépuscule de sa lumière, qui partit vers le centre du village. L'oiseau poussa un cri unique, pur, tintant, et plusieurs personnes levèrent la tête. Des yeux s'ouvrirent grand, des mains se figèrent, la clameur reflua. Comme la haine et la violence qui s'étaient propagées auparavant, le calme s'abattit progressivement sur l'assemblée, suspendant les gestes en cours. La créature s'éloigna bien vite vers la cime du Flamboyant. Le mouvement reprit. Un mouvement d'ensemble vers un but commun.


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  L'oiseau, un coucal d'or et de lumière de la taille d'un aigle, se laissa doucement descendre au milieu des branches, vers le corps à présent inerte de l'enfant des hommes. Posant ses serres à même un bras, il étendit les ailes et le cou et, à travers sa chair transparente, on devina un instant une flamme intense qui disparut, soufflée. L'arbre se mit alors à trembler. D'abord doucement, puis plus fortement, de telle façon que les premiers spectateurs ressentirent ces convulsions. Les derniers lambeaux de feuilles et de fleurs qui s'accrochaient churent sur le tapis de mort. Un silence presque total était tombé avec la nuit. Le tremblement s'arrêta.
  On entendit un son étrange. Un petit ploc incongru. Un nouveau. Un autre encore. Une pluie poisseuse s'écoulait de tout le végétal. Des morceaux d'écorce trop sec se détachèrent et vinrent grossir la couche au pied de l'arbre. Devant ce miracle, le silence fut respecté. On arrivait encore pour voir ce qu'il se passait, jeunes, vieux, hommes, femmes. Timides, quelques Kodio s'approchèrent, prêts à fuir, mais personne n'y prit garde : à un mouvement de l'oiseau lumineux, une simple pression sur son perchoir pour prendre son envol à jamais, l'apprenti glissa et sa main apparut, visible pour tous dans la luminosité qui finit par disparaître.
  Quelques-uns s'avancèrent alors et parmi eux, Abojo. Le vieux wali n'alla pas loin. Il tomba à genoux et resta les bras ballants, la respiration sifflante.


- Trop tard, il est parti avec son esprit protecteur, souffla-t-il avant de s'abattre sur le sol.

  On se précipita. Près de là, une silhouette plus jeune se pressait vers le tronc, affolée.

- Non, Gelilaa, non !

  Momô s'étira autant qu'il pouvait mais la main de son frère restait inaccessible.

- NON !!

  Il fit trois pas en arrière, incrédule. Et s'écroula lui aussi, comme foudroyé.

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  La douleur devenait lancinante. La Renarde ouvrit un chemin au milieu des animaux assemblés dans l'arbre, sur l'arbre, autour de l'apprenti. Elle était impuissante face à ce qu'il se passait et quelque chose en elle se serrait de n'avoir pu remercier le jeune homme avant qu'il ne soit trop tard. La flamme s'était presque intégralement consumée, n'émettant plus qu'une faible énergie tremblotante, et ses signaux d'alertes la pressait de faire vite. Pourtant, elle s'assit près de l'apprenti endormi et souleva doucement sa tête pour la poser sur ses genoux. Elle caressa le front, passa sa main dans les cheveux, tendrement. L'ébauche d'un sourire était sur les lèvres. De son pouce elle effleura celui-ci. La fin était là. Elle se pencha et déposa un baiser.

- Dors, mon ange. Un jour, je viendrai te chercher.

  Le rêve s'effaça dans la nuit.
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Messages In This Thread
De l'ombre à la Lumière, un pas - by Galila - 10-29-2011, 09:07 PM
Re : De l'ombre à la Lumière, un pas - by Galila - 01-13-2012, 09:31 PM

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