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De l'ombre à la Lumière, un pas
#22
  Depuis que Gelilaa s'était relevé, après la transe, un goût amer restait sur sa langue et il avait l'impression d'évoluer dans un brouillard à la consistance pâteuse. Ses oreilles bourdonnaient de la rumeur omniprésente et insinuante, ses doigts fins jouaient nerveusement avec la moindre fibre qui dépassait de ses vêtements et les battements de son cœur, irréguliers, le faisaient parfois sursauter. Les bruits réels ne lui parvenaient que de façon diffuse, assourdis par le fracas de son propre effondrement. A l'annonce, à ce moment funeste entre tous, à la trahison qui lui avait permis de voir derrière le masque, de déceler le parasite dans sa cosse et de sentir la puanteur du charognard au-delà des parfums de la vie, à sa propre trahison plus terrible car impensable et pourtant si froidement consentie, sa conscience s'était brisée. Un coup sec, une fêlure qui file et se propage, s'étoile en avançant, jusqu'au bout des rêves, brisant jusqu'au disque du soleil du matin.
  De l'extérieur, point d'effondrement. Le rôle avait tenu la forme. Gelilaa bougeait, parlait, avançait comme un pantin de débris glissés dans une armature d'apprenti. Il avait donné son avis, envoyé les groupes chercher, consulté les esprits, redirigé les recherches, observé, discuté, fort ou moins fort, pour se faire entendre et appuyer son autorité. Il n'en voulait pas, mais comment être écouté si les autres vous oubliaient ? Le sens des choses restait et le guidait, l'espoir que tout ne soit pas perdu l'empêchait de sombrer. Si la belle entente des gens du Flamboyant semblait éteinte, les gens étaient toujours en vie et la flamme pouvait peut-être être ranimée.
  Guidé par cette pensée, en s'éloignant des futurs exilés Gelilaa avait suivi les lambeaux de ses rêveries, de ses remords et de ses regrets jusqu'à la place du village. Il voulait rejoindre le groupe qui ne tarderait pas à rentrer mais il fut arrêté par une sensation sournoise et glaçante. Chacun de ses pas se mit à lui coûter, ses pieds s'alourdissaient au contact fuyant des pétales écarlates qui jonchaient le sol, lui rappelant la pesanteur de sa trahison qui avait plombé son esprit. Il avançait à contre-courant, luttant contre l'écoulement irrésistible de tout ce qu'il voulait protéger. A chaque pas il se faisait plus lent, à chaque pas il sentait le flot le ralentir, le retenir, s'écouler un peu moins autour de lui, un peu plus de lui.
  A mi-chemin, au centre de la place, sous les branches squelettiques de l'arbre jadis si éclatant, l'apprenti tomba à genoux. Les mains dans les fleurs desséchées que personne n'osait plus fouler depuis des jours et des jours, les yeux noyés par la pluie qui ne venait pas et la poitrine écrasée par la touffeur ambiante, Gelilaa oublia un moment le futur et tout ce qu'il restait. D'abord le front collé à la terre, il roula sur le dos, inconscient de ses gestes et des secondes, des minutes qui s'égrainaient, du souffle brûlant du vent et de la poussière autour de lui, du sel sur ses paupières et sur ses joues, de la lumière crue, agressive malgré l'heure tardive, qui tombait sur lui, désormais maîtresse de tout le village.


  Une fleur encore là-haut.


  D'un bond il fut sur pieds, vacilla, lutta en serrant les dents. Traverser jusqu'à l'orée de la place fut aussi difficile que l'aller. Là, il ne s'arrêta pas pour reprendre sa respiration. Le soir allait tomber.
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Messages In This Thread
De l'ombre à la Lumière, un pas - by Galila - 10-29-2011, 09:07 PM
Re : De l'ombre à la Lumière, un pas - by Galila - 01-09-2012, 02:11 PM

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