12-17-2011, 12:52 AM
En sortant de la case ce matin là, Abojo avait trouvé une fleur, abandonnée contre le mur par le vent. Son rouge s'était terni dans la poussière que les rafales charriaient et, ironie du sort ou volonté des esprits, elle avait échouée ici comme un rappel criant de l'agonie de son père. Le wali l'avait rentrée et posée sur une natte, puis il avait réveillé son apprenti en le poussant deux ou trois fois du bout du pied, lui flanquant au passage un coup de palme sur la tête. Le résultat ne s'était guère fait attendre et il avait pu s'asseoir pour réfléchir tranquillement tandis que le gamin vaquait aux préparatifs matinaux.
Les signes ne pouvaient plus tromper. Un mal insidieux rongeait les hommes et les terres. Des esprits mauvais avaient pris la région pour cible et il ne pouvait que faire appel aux ancêtres ou aux esprits protecteurs pour protéger le village de la désolation. Quand il en avait eu l'occasion, Abojo avait interrogé ceux qui fuyaient, surtout les quelques collègues qu'il avait pu rencontrer. Mais ceux-ci étaient bien rares parmi les migrants car – et ce n'était guère étonnant au vu de leur tâche et de leur accointance avec les forces invisibles – ils étaient de ceux qui avaient disparu plus vite que les autres.
Ce mal, s'il n'était pas encore assez puissant pour chasser les villageois, grandissait de jour en jour sous les branches du Flamboyant. Le wali jeta un coup d'œil vers son apprenti. Il avait une intuition encore intacte ou presque, ce petit. La fleur était là pour le prouver. Ses mains serrées sur ses genoux pour empêcher les tremblements de s'étendre, Abojo attendait le bon moment pour appeler le gamin. Ses yeux perçants restaient fixés sur son successeur, guettant les signes de rêverie qui ne manquaient jamais de se manifester.
Depuis la veille pourtant, le vieil homme avait noté une différence, subtile certes, mais une différence tout de même. Le visage de Gelilaa ne se tournait plus toujours vers le ciel et les esprits lors de ses errances, mais aussi vers la terre et les hommes. Cela ne dérangeait pas Abojo. Certaines choses devaient se rencontrer, se défier, pour que l'âme se forge à jamais âme de wali. Il serait là pour voir et guider, ainsi qu'il le faisait en cultivant les rêves du garçon tout en lui apprenant à les dompter. Le regard noir dans lequel le ciel se reflétait si bien baissait déjà. Une ombre ou deux passèrent, les ombres du renard et du faucon qui dansaient sur les traits de son apprenti.
Quelques minutes s'échappèrent pendant lesquels Gelilaa disposa un kanoun et des récipients dans un coin. Il préparait le nécessaire pour la transe bien qu'Abojo ne lui ait rien dit, réagissant certainement à toutes sortes de détails qu'il avait assimilés sans s'en apercevoir. Mais sa concentration baissait et il finit par s'interrompre dans sa tâche, ses pensées dérivant avec les souffles du vent. Quand le wali se décida à le réveiller un peu, des voix et des bruits de pas précipités se firent entendre à l'extérieur. D'un même mouvement, maître et apprenti se tournèrent l'un vers l'autre et le plus jeune sauta sur ses pieds pour accueillir les visiteurs.
A l'extérieur, Gelilaa plissa les yeux. Le passage de la pénombre à la lumière vive du matin le gênait et il ne distinguait pas encore très bien ceux qui arrivaient en devisant de façon inquiète. Enfin, Sekou et Setou furent près de la case. Le frère et la sœur affichaient une mine défaite et paraissaient très pressés.
- Où est le wali ? Nous avons besoin de lui.
- Sinjèrè est peut-être mort. Il a... il a été mangé !
- Vite, petit, le wali !
- C'est une question de temps, dépêche-toi.
Setou se tordait les mains, désespérée, Sekou parlait fort et trop vite. Insondable, Gelilaa posa son regard sur l'un et sur l'autre puis se retourna pour chercher son maître. Celui-ci était déjà à la porte, sourcils froncés. Il passa à côté de son apprenti, lui posa une main sur l'épaule et demanda avant de suivre les autres :
- Prépare ce qu'il faut et rejoins-nous dès que tu peux.
Amako fixait le groupe autour du blessé. Tout le monde s'affairait ou se donnait un air affairé. On courrait, on criait, on brassait de l'air et des conseils idiots. Deux jeunes partirent chercher le wali tandis que Yatane houspillait les badauds pour qu'ils reculent. Il y avait une odeur doucereuse qui emplissait l'air et menaçait de faire remonter le repas de l'ancien malade. Sans demander son reste, celui-ci s'éloigna. Il savait que ce ne serait pas beau avec les fauves, il ne souhaitait pas voir les dommages et ne voulait pas non plus croiser le sorcier du coin. De temps à autres, il regardait par dessus son épaule avec l'impression d'être suivi. Peu importe la façon dont il s'y prenait, il ne voyait jamais rien de plus qu'un chevreau égaré.
Quand il se fut rendu machinalement à la première case qu'il avait connu dans ce village, Amako inspecta les environs. Rien. Il avait encore rêvé, à moins qu'on ne se soit lassé. Autour de lui, il n'y avait pas beaucoup de constructions. Un séchoir, trois cases dont celles de convalescence, une petite remise. Des rafales de vent sec balayaient le coin, emportant parfois quelques feuilles et de la poussière qui se coinçaient dans des fourrés non moins secs. A la dernière extrémité du monde habité, la case du wali était abandonnée. Ou presque. Le jeune apprenti passa le rideau de perles en courant, portant dans ses bras des pots et d'autres objets divers. Cette fois, elle était vide. Amako resta figé un moment. Par réflexe, il regarda tout autour de lui puis parti vers l'habitation. Un dernier coup d'œil avant de passer la porte. Personne. Aussi léger que le vent, il se faufila à l'intérieur.
Il mit un peu de temps à s'habituer au manque de lumière. Les contours des bocaux et de boîtes en bois apparurent progressivement. Des émanations variées agressaient les narines ou adoucissaient l'air ; dans les bacs de rangement, Amako découvrit des poudres, des pâtes, des feuilles séchées. Il en renifla plusieurs qu'il mit de côté. Des pièces de fibres tissées attirèrent son attention. Il en saisit quelques unes et les ajouta à ses trouvailles. Laissant tout cela près de la sortie, il commença à fouiller plus avant, cherchant tout ce qui pouvait expliquer la longévité du wali en ces temps mauvais pour tous et surtout pour eux, ainsi que les regards soupçonneux que celui-ci lui jetait fréquemment.
Dehors, le vent brûlant l'attendait. Et avec lui, les guetteurs invisibles.
Les signes ne pouvaient plus tromper. Un mal insidieux rongeait les hommes et les terres. Des esprits mauvais avaient pris la région pour cible et il ne pouvait que faire appel aux ancêtres ou aux esprits protecteurs pour protéger le village de la désolation. Quand il en avait eu l'occasion, Abojo avait interrogé ceux qui fuyaient, surtout les quelques collègues qu'il avait pu rencontrer. Mais ceux-ci étaient bien rares parmi les migrants car – et ce n'était guère étonnant au vu de leur tâche et de leur accointance avec les forces invisibles – ils étaient de ceux qui avaient disparu plus vite que les autres.
Ce mal, s'il n'était pas encore assez puissant pour chasser les villageois, grandissait de jour en jour sous les branches du Flamboyant. Le wali jeta un coup d'œil vers son apprenti. Il avait une intuition encore intacte ou presque, ce petit. La fleur était là pour le prouver. Ses mains serrées sur ses genoux pour empêcher les tremblements de s'étendre, Abojo attendait le bon moment pour appeler le gamin. Ses yeux perçants restaient fixés sur son successeur, guettant les signes de rêverie qui ne manquaient jamais de se manifester.
Depuis la veille pourtant, le vieil homme avait noté une différence, subtile certes, mais une différence tout de même. Le visage de Gelilaa ne se tournait plus toujours vers le ciel et les esprits lors de ses errances, mais aussi vers la terre et les hommes. Cela ne dérangeait pas Abojo. Certaines choses devaient se rencontrer, se défier, pour que l'âme se forge à jamais âme de wali. Il serait là pour voir et guider, ainsi qu'il le faisait en cultivant les rêves du garçon tout en lui apprenant à les dompter. Le regard noir dans lequel le ciel se reflétait si bien baissait déjà. Une ombre ou deux passèrent, les ombres du renard et du faucon qui dansaient sur les traits de son apprenti.
Quelques minutes s'échappèrent pendant lesquels Gelilaa disposa un kanoun et des récipients dans un coin. Il préparait le nécessaire pour la transe bien qu'Abojo ne lui ait rien dit, réagissant certainement à toutes sortes de détails qu'il avait assimilés sans s'en apercevoir. Mais sa concentration baissait et il finit par s'interrompre dans sa tâche, ses pensées dérivant avec les souffles du vent. Quand le wali se décida à le réveiller un peu, des voix et des bruits de pas précipités se firent entendre à l'extérieur. D'un même mouvement, maître et apprenti se tournèrent l'un vers l'autre et le plus jeune sauta sur ses pieds pour accueillir les visiteurs.
A l'extérieur, Gelilaa plissa les yeux. Le passage de la pénombre à la lumière vive du matin le gênait et il ne distinguait pas encore très bien ceux qui arrivaient en devisant de façon inquiète. Enfin, Sekou et Setou furent près de la case. Le frère et la sœur affichaient une mine défaite et paraissaient très pressés.
- Où est le wali ? Nous avons besoin de lui.
- Sinjèrè est peut-être mort. Il a... il a été mangé !
- Vite, petit, le wali !
- C'est une question de temps, dépêche-toi.
Setou se tordait les mains, désespérée, Sekou parlait fort et trop vite. Insondable, Gelilaa posa son regard sur l'un et sur l'autre puis se retourna pour chercher son maître. Celui-ci était déjà à la porte, sourcils froncés. Il passa à côté de son apprenti, lui posa une main sur l'épaule et demanda avant de suivre les autres :
- Prépare ce qu'il faut et rejoins-nous dès que tu peux.
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Amako fixait le groupe autour du blessé. Tout le monde s'affairait ou se donnait un air affairé. On courrait, on criait, on brassait de l'air et des conseils idiots. Deux jeunes partirent chercher le wali tandis que Yatane houspillait les badauds pour qu'ils reculent. Il y avait une odeur doucereuse qui emplissait l'air et menaçait de faire remonter le repas de l'ancien malade. Sans demander son reste, celui-ci s'éloigna. Il savait que ce ne serait pas beau avec les fauves, il ne souhaitait pas voir les dommages et ne voulait pas non plus croiser le sorcier du coin. De temps à autres, il regardait par dessus son épaule avec l'impression d'être suivi. Peu importe la façon dont il s'y prenait, il ne voyait jamais rien de plus qu'un chevreau égaré.
Quand il se fut rendu machinalement à la première case qu'il avait connu dans ce village, Amako inspecta les environs. Rien. Il avait encore rêvé, à moins qu'on ne se soit lassé. Autour de lui, il n'y avait pas beaucoup de constructions. Un séchoir, trois cases dont celles de convalescence, une petite remise. Des rafales de vent sec balayaient le coin, emportant parfois quelques feuilles et de la poussière qui se coinçaient dans des fourrés non moins secs. A la dernière extrémité du monde habité, la case du wali était abandonnée. Ou presque. Le jeune apprenti passa le rideau de perles en courant, portant dans ses bras des pots et d'autres objets divers. Cette fois, elle était vide. Amako resta figé un moment. Par réflexe, il regarda tout autour de lui puis parti vers l'habitation. Un dernier coup d'œil avant de passer la porte. Personne. Aussi léger que le vent, il se faufila à l'intérieur.
Il mit un peu de temps à s'habituer au manque de lumière. Les contours des bocaux et de boîtes en bois apparurent progressivement. Des émanations variées agressaient les narines ou adoucissaient l'air ; dans les bacs de rangement, Amako découvrit des poudres, des pâtes, des feuilles séchées. Il en renifla plusieurs qu'il mit de côté. Des pièces de fibres tissées attirèrent son attention. Il en saisit quelques unes et les ajouta à ses trouvailles. Laissant tout cela près de la sortie, il commença à fouiller plus avant, cherchant tout ce qui pouvait expliquer la longévité du wali en ces temps mauvais pour tous et surtout pour eux, ainsi que les regards soupçonneux que celui-ci lui jetait fréquemment.
Dehors, le vent brûlant l'attendait. Et avec lui, les guetteurs invisibles.