11-26-2011, 11:27 PM
Ces deux dernières semaines, Amako les avait passées dans la case proche de celle du wali, un peu à l'écart des autres habitations. Il avait peu vu celui-ci, qui avait délégué une bonne part de son travail à son apprenti, ce jeune homme qui s'était penché sur lui et veillait désormais à ses soins. Il était moins âgé qu'il lui avait semblé au départ, plus un garçon encore qu'un jeune homme, bien que la distinction soit parfois difficile quand, entre deux âges, c'était l'esprit qui faisait la différence. Une jeune femme, Kassi, s'occupait aussi de lui, ainsi que Yatane, l'une des épouses influentes du village. A voir son port fier, Amako n'avait pas été surpris d'entendre sa voix mêlée aux disputes qui éclataient de plus en plus fréquemment. Kassi avait disparu au bout de quelques jours.
Le temps s'étirait en longueur. Parfois, le convalescent se réveillait avec l'impression qu'on venait le chercher. Il ne bougeait pas, se forçant à écouter le silence avant de tenter quoi que ce soit. Invariablement, les bruits de la nuit emplissaient à nouveau ses oreilles, ses yeux accoutumés à l'obscurité percevaient la solitude de la case et il finissait par se détendre. Il y avait aussi les cauchemars, qui ne voulaient pas le lâcher et duraient, duraient, jusqu'à ce qu'une intervention extérieur l'extirpe de leur gangue malsaine. Amako craignait alors le sommeil et les heures recommençaient à s'égrainer, lentement.
Sa première sortie, Amako l'avait accueillie avec soulagement, même s'il n'avait pas eu le droit de se lever car l'apprenti avait décidé qu'il était trop tôt pour solliciter ses jambes. Deux jours auparavant, on lui avait annoncé la mort de Diawara. Un vent glacé s'était coulé le long de son dos, il avait senti tous ses muscles se raidir et ne devait qu'à sa forte volonté de ne pas avoir sauté sur Yatane pour s'enfuir. Mais il savait que cet instinct était mortel. Il fallait attendre. Maintenant, il voyait qu'il avait eu raison.
Le soir tombait rapidement sur le village du Flamboyant et il n'y avait plus grand-chose pour le distraire autour de la litière posée sous l'arbre-à-palabres. Amako entendait au loin des éclats de voix sans parvenir à savoir sur quoi portait cette nouvelle discussion houleuse. Pour tromper l'ennui, il avait ramassé une petite branche sèche, un rameau fendillé qui supportait mal la sécheresse. Sur le sol, d'autres brindilles éparses ainsi que des feuilles jaunies qui craquaient sous les pieds. De place en place, des fleurs rouges ajoutaient un peu de gaieté aux débris, mais rien ne pouvait désormais camoufler les fissures qui s'ouvraient dans la terre, même à l'ombre. L'homme passait et repassait son bâton dans certaines de ces craquelures, ressassant les derniers événements.
Quelques cris le sortirent de sa torpeur. Il leva le nez des gribouillis qu'il traçait dans la poussière pour voir une enfant arriver en courant. Hésitante, la gamine s'arrêta, jeta un regard dans sa direction et repris sa course vers les habitations. Comme le bruit de ses pas s'éloignait, Amako se remémora tous les moments de tension qu'il avait perçus chez les gens du Flamboyant, toutes les dissensions qui se faisaient jour. Leur wali était toujours debout, mais ça ne durerait pas. Bientôt il allait devoir repartir.
Yatimè courait. Elle devait trouver Amonou ou non, mieux, Camara, Namory ou même Sekou. Amonou serait trop vieux pour les arrêter. Elle dépassa l'arbre-à-palabres et le malade. Elle arriva près des cases. Ses amies la hélèrent mais elle continua. Ses pieds foulaient la terre, la poussière et le sable. Elle ne sentait pas les cailloux, les épines et les échardes. Dans sa poitrine, son cœur battait à tout va. L'air qui entrait dans ses poumons n'était plus que chaleur. Là ! Près des poteries !
- NAMORY ! cria Yatimè en s'agrippant à la jambe de son cousin. Viens vite ! Papa et Diabo, ils... ils vont se tuer, vieeens, sanglota-t-elle en tirant, tirant aussi fort qu'elle pouvait.
Namory détacha tant bien que mal les petites mains de sa cuisse et s'accroupit.
- Où sont-ils, qu'est-ce que tu as vu ?
- Aux greniers, viens ! Papa a un couteau. Ils se disputaient et là, un coup, pleins de coups, je sais pas pourquoi, viens Namoryyy.
Conscient qu'il se passait quelque chose de grave, l'homme se releva et tenta de voir qui pouvait se trouver par là. Dans la pénombre, les autres écoutaient et certains s'avancèrent pour être reconnus à la lueur de la torche du cousin de Yatimè.
- Conduis-nous, petite, intima Ogobara, l'un des plus grands chasseurs du village.
Namory hocha la tête et se saisit d'une perche appuyée contre le mur de sa case. Il souleva sa cousine et l'installa d'un seul mouvement ample sur ses épaules.
- Yaya, tu viens avec nous aussi. Les autres, allez prévenir Amonou.
Une larme de Yatimè mouilla son cou. Le jeune homme tapota le genou de l'enfant et partit au petit trot, suivi d'Ogobara et Yaya.
Diabo faiblissait. Il avait plus d'allonge avec son bâton mais Eriko était en meilleur condition. Il feintait, se baissait, accélérait soudainement, submergeait Diabo sur son mauvais côté. Furieux de cela, l'aîné chargea et abattit sa gaule, encore et encore. Il savait qu'Eriko ne voulait pas aller plus loin que l'humiliation mais rien ne l'obligerait à baisser la tête devant cet impertinent. Le plus jeune partit d'un rire guttural, rejetant la tête en arrière dans une démonstration de mépris qui insupporta Diabo. Le bâton fendit l'air mais ne trouva que l'épaule bien musclée de l'adversaire, qui ne broncha pas et sourit encore, tentant de trouver l'ouverture. L'aîné recula prestement, presqu'acculé au mur d'un grenier.
Haletant, les membres souffrant de plus en plus sous l'effort, Diabo regarda de tous côtés. Il lui sembla voir des silhouettes au delà du cercle éclairé par la torche contre le mur, mais il cligna des yeux pour chasser ces hallucinations. Eriko le tenait et triomphait déjà, le couteau pointé sur sa poitrine.
- Tu vas reconnaître que tu n'es qu'un imbécile, articula calmement le jeune homme.
Diabo cracha un peu de salive et de sang aux pieds de son neveu.
- Tu ne mérites pas de porter le nom des Kodio si tu ne respectes pas tes aînés, renchérit-il sans céder quoi que ce soit.
Diabo savait ce qu'il devait faire. Poussant un cri de guerre, il s'élança sur le côté.
Le temps s'étirait en longueur. Parfois, le convalescent se réveillait avec l'impression qu'on venait le chercher. Il ne bougeait pas, se forçant à écouter le silence avant de tenter quoi que ce soit. Invariablement, les bruits de la nuit emplissaient à nouveau ses oreilles, ses yeux accoutumés à l'obscurité percevaient la solitude de la case et il finissait par se détendre. Il y avait aussi les cauchemars, qui ne voulaient pas le lâcher et duraient, duraient, jusqu'à ce qu'une intervention extérieur l'extirpe de leur gangue malsaine. Amako craignait alors le sommeil et les heures recommençaient à s'égrainer, lentement.
Sa première sortie, Amako l'avait accueillie avec soulagement, même s'il n'avait pas eu le droit de se lever car l'apprenti avait décidé qu'il était trop tôt pour solliciter ses jambes. Deux jours auparavant, on lui avait annoncé la mort de Diawara. Un vent glacé s'était coulé le long de son dos, il avait senti tous ses muscles se raidir et ne devait qu'à sa forte volonté de ne pas avoir sauté sur Yatane pour s'enfuir. Mais il savait que cet instinct était mortel. Il fallait attendre. Maintenant, il voyait qu'il avait eu raison.
Le soir tombait rapidement sur le village du Flamboyant et il n'y avait plus grand-chose pour le distraire autour de la litière posée sous l'arbre-à-palabres. Amako entendait au loin des éclats de voix sans parvenir à savoir sur quoi portait cette nouvelle discussion houleuse. Pour tromper l'ennui, il avait ramassé une petite branche sèche, un rameau fendillé qui supportait mal la sécheresse. Sur le sol, d'autres brindilles éparses ainsi que des feuilles jaunies qui craquaient sous les pieds. De place en place, des fleurs rouges ajoutaient un peu de gaieté aux débris, mais rien ne pouvait désormais camoufler les fissures qui s'ouvraient dans la terre, même à l'ombre. L'homme passait et repassait son bâton dans certaines de ces craquelures, ressassant les derniers événements.
Quelques cris le sortirent de sa torpeur. Il leva le nez des gribouillis qu'il traçait dans la poussière pour voir une enfant arriver en courant. Hésitante, la gamine s'arrêta, jeta un regard dans sa direction et repris sa course vers les habitations. Comme le bruit de ses pas s'éloignait, Amako se remémora tous les moments de tension qu'il avait perçus chez les gens du Flamboyant, toutes les dissensions qui se faisaient jour. Leur wali était toujours debout, mais ça ne durerait pas. Bientôt il allait devoir repartir.
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Yatimè courait. Elle devait trouver Amonou ou non, mieux, Camara, Namory ou même Sekou. Amonou serait trop vieux pour les arrêter. Elle dépassa l'arbre-à-palabres et le malade. Elle arriva près des cases. Ses amies la hélèrent mais elle continua. Ses pieds foulaient la terre, la poussière et le sable. Elle ne sentait pas les cailloux, les épines et les échardes. Dans sa poitrine, son cœur battait à tout va. L'air qui entrait dans ses poumons n'était plus que chaleur. Là ! Près des poteries !
- NAMORY ! cria Yatimè en s'agrippant à la jambe de son cousin. Viens vite ! Papa et Diabo, ils... ils vont se tuer, vieeens, sanglota-t-elle en tirant, tirant aussi fort qu'elle pouvait.
Namory détacha tant bien que mal les petites mains de sa cuisse et s'accroupit.
- Où sont-ils, qu'est-ce que tu as vu ?
- Aux greniers, viens ! Papa a un couteau. Ils se disputaient et là, un coup, pleins de coups, je sais pas pourquoi, viens Namoryyy.
Conscient qu'il se passait quelque chose de grave, l'homme se releva et tenta de voir qui pouvait se trouver par là. Dans la pénombre, les autres écoutaient et certains s'avancèrent pour être reconnus à la lueur de la torche du cousin de Yatimè.
- Conduis-nous, petite, intima Ogobara, l'un des plus grands chasseurs du village.
Namory hocha la tête et se saisit d'une perche appuyée contre le mur de sa case. Il souleva sa cousine et l'installa d'un seul mouvement ample sur ses épaules.
- Yaya, tu viens avec nous aussi. Les autres, allez prévenir Amonou.
Une larme de Yatimè mouilla son cou. Le jeune homme tapota le genou de l'enfant et partit au petit trot, suivi d'Ogobara et Yaya.
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Diabo faiblissait. Il avait plus d'allonge avec son bâton mais Eriko était en meilleur condition. Il feintait, se baissait, accélérait soudainement, submergeait Diabo sur son mauvais côté. Furieux de cela, l'aîné chargea et abattit sa gaule, encore et encore. Il savait qu'Eriko ne voulait pas aller plus loin que l'humiliation mais rien ne l'obligerait à baisser la tête devant cet impertinent. Le plus jeune partit d'un rire guttural, rejetant la tête en arrière dans une démonstration de mépris qui insupporta Diabo. Le bâton fendit l'air mais ne trouva que l'épaule bien musclée de l'adversaire, qui ne broncha pas et sourit encore, tentant de trouver l'ouverture. L'aîné recula prestement, presqu'acculé au mur d'un grenier.
Haletant, les membres souffrant de plus en plus sous l'effort, Diabo regarda de tous côtés. Il lui sembla voir des silhouettes au delà du cercle éclairé par la torche contre le mur, mais il cligna des yeux pour chasser ces hallucinations. Eriko le tenait et triomphait déjà, le couteau pointé sur sa poitrine.
- Tu vas reconnaître que tu n'es qu'un imbécile, articula calmement le jeune homme.
Diabo cracha un peu de salive et de sang aux pieds de son neveu.
- Tu ne mérites pas de porter le nom des Kodio si tu ne respectes pas tes aînés, renchérit-il sans céder quoi que ce soit.
Diabo savait ce qu'il devait faire. Poussant un cri de guerre, il s'élança sur le côté.