11-07-2011, 12:42 AM
Le jeune apprenti trouvait qu'il y avait trop de bruit sous l'arbre pour entendre le souffle des blessés. Yatane pleurait en tenant son mari par le bras ; Dalo et Sidy, un autre patriarche, écoutaient les épargnés qui cherchaient tous à se faire comprendre en même temps ; deux femmes criaient pour donner des consignes à un groupe d'adolescents et les enfants qui n'avaient pas de lien avec les mutilés piaillaient dans l'excitation du moment, énervés par la frayeur des adultes et l'odeur du sang, ne comprenant qu'à peine la gravité des choses. Tout ce monde gravitait autour du puits dont les abords accueillaient les civières improvisées et ceux qui n'avaient que des blessures légères.
Dans les yeux des hommes et des jeunes femmes qui revenaient, la colère et l'incompréhension prenaient le pas sur la douleur. De sa place excentrée, Gelilaa observait quand le wali n'avait pas besoin de son aide, écoutant tout ce qu'il pouvait comprendre au milieu du tumulte. Les gémissements lui serraient le cœur, les visages contractés d'indignation glissaient un lacet froid le long de son dos et la lente compréhension des événements comprimait sa poitrine. Ici, il y avait une large entaille sur la poitrine, là une jambe brisée, plus loin un œil crevé, et encore des mains déchirées, des estafilades, un coup de lance mal placé, une épaule démise... L'apprenti suivait du mieux qu'il pouvait tout en surveillant les mains d'Abojo.
- Encore en pleine concentration, Ge ?
Accaparé par les soins et ce qu'il entendait, Gelilaa sursauta au son de cette voix rieuse autant qu'à la main qui se posa sur son épaule. A droite, Momô, à gauche, Gajube.
- Alors petit frère, toujours sérieux, hein ? continua Momô avec malice.
- Il joue au grand, renchérit leur ami.
Le futur wali sourit aux deux arrivants.
- Je n'ai qu'un été de moins que toi, Gajube.
- Oui, je sais, et "tu n'es pas petit pour ton âge", répondit ce dernier en singeant la mère des deux autres.
Malgré l'heure sombre, Gelilaa ne put s'empêcher de rire. Mais l'instant léger ne dura guère, s'envolant à un éclat de voix telle une aigrette apeurée. Les trois jeunes gens tournèrent la tête en même temps, vers Dalo des Kamale, vers Amoila le Rapide qui élevait la voix contre son patriarche, vers un spectre encore informe et intangible que l'apprenti senti plus qu'il ne le vit, mais dont la simple suspicion le fit frissonner.
- Et ça, tonnait Amoila en montrant un bras recouvert de sang entaillé profondément. Ça, disait-il en désignant la jambe de sa fille aînée qui ne pourrait peut-être jamais plus marcher sans boiter. Cela n'appelle-t-il pas à la vengeance ? Depuis quand devons-nous baisser les yeux quand d'autres hommes nous prennent pour leur gibier ?
- Suffit, mon fils. Tu ne demandes rien moins qu'une expédition punitive, sans rien savoir de la situation chez nos voisins, sans réfléchir aux conséquences.
Bien que Dalo paraissait furieux de se voir remis en question, il contenait ses paroles et sa voix. Sa colère était pourtant la même que celle d'Amoila et Gelilaa se détourna, un peu gêné. Son regard, libre d'errer de rayon de soleil en tache d'ombre, sautilla d'un homme et d'une femme à l'autre pour ne pas se fixer, redoutant ce qu'il pourrait lire. Il y avait encore des plaintes qu'ils n'avaient su faire cesser, Abojo et lui, des crispations de tous côtés... Les yeux de l'apprenti s'arrêtèrent puis repartirent en arrière, délaissant l'indistinct pour se concentrer. Au milieu de tous, il vit alors ce qu'il avait manqué plus tôt. Parmi les blessés, deux hommes lui étaient inconnus. Deux hommes qu'il avait aidé à soigner et l'un dont le wali n'était pas sûr qu'il survive.
- Ce sont nos frères avant toute chose, martelait Dalo, face à sa chair.
- Des frères ? s'indignait Amoila en s'énervant tant qu'il manqua retirer son bras des mains de sa femme qui le soignait. Où vois-tu des frères ? Pour moi, un homme qui est capable de t'arracher un membre ne mérite pas le nom de frère.
Jetant un regard d'excuse à ses camarades, Gelilaa rejoignit son maître qui s'était redressé suite à l'altercation. Ses traits étaient graves et des gouttes de sueur perlaient sur son front. L'apprenti posa une main sèche et légère sur son bras pour signaler sa présence et désigna du doigt l'étranger qui gisait à leur pieds.
- Que s'est-il passé ? demanda-t-il simplement.
- Les esprits auront peut-être la réponse à cela, répondit le wali. Amène-le moi à la case, c'est le plus touché.
Le corps était affaibli, relevant à peine de blessure et en subissant de nouvelles. La fièvre rendait les yeux de l'homme brillants et son souffle court, il tremblait de manière irrépressible en les fixant avec une muette supplication. Gelilaa s'agenouilla près de lui, le regardant avec beaucoup de douceur et de compassion. Sans lui faire plus de mal, il lui humecta les lèvres avec un peu d'eau, rectifia un peu sa pose pour soulager certains muscles ; il prit aussi sa main valide dans les siennes et lui sourit, tandis que son maître partait faire les préparatifs. Penché sur le blessé, l'apprenti répéta sa question en chuchotant :
- Que s'est-il passé ?
Dans les yeux des hommes et des jeunes femmes qui revenaient, la colère et l'incompréhension prenaient le pas sur la douleur. De sa place excentrée, Gelilaa observait quand le wali n'avait pas besoin de son aide, écoutant tout ce qu'il pouvait comprendre au milieu du tumulte. Les gémissements lui serraient le cœur, les visages contractés d'indignation glissaient un lacet froid le long de son dos et la lente compréhension des événements comprimait sa poitrine. Ici, il y avait une large entaille sur la poitrine, là une jambe brisée, plus loin un œil crevé, et encore des mains déchirées, des estafilades, un coup de lance mal placé, une épaule démise... L'apprenti suivait du mieux qu'il pouvait tout en surveillant les mains d'Abojo.
- Encore en pleine concentration, Ge ?
Accaparé par les soins et ce qu'il entendait, Gelilaa sursauta au son de cette voix rieuse autant qu'à la main qui se posa sur son épaule. A droite, Momô, à gauche, Gajube.
- Alors petit frère, toujours sérieux, hein ? continua Momô avec malice.
- Il joue au grand, renchérit leur ami.
Le futur wali sourit aux deux arrivants.
- Je n'ai qu'un été de moins que toi, Gajube.
- Oui, je sais, et "tu n'es pas petit pour ton âge", répondit ce dernier en singeant la mère des deux autres.
Malgré l'heure sombre, Gelilaa ne put s'empêcher de rire. Mais l'instant léger ne dura guère, s'envolant à un éclat de voix telle une aigrette apeurée. Les trois jeunes gens tournèrent la tête en même temps, vers Dalo des Kamale, vers Amoila le Rapide qui élevait la voix contre son patriarche, vers un spectre encore informe et intangible que l'apprenti senti plus qu'il ne le vit, mais dont la simple suspicion le fit frissonner.
- Et ça, tonnait Amoila en montrant un bras recouvert de sang entaillé profondément. Ça, disait-il en désignant la jambe de sa fille aînée qui ne pourrait peut-être jamais plus marcher sans boiter. Cela n'appelle-t-il pas à la vengeance ? Depuis quand devons-nous baisser les yeux quand d'autres hommes nous prennent pour leur gibier ?
- Suffit, mon fils. Tu ne demandes rien moins qu'une expédition punitive, sans rien savoir de la situation chez nos voisins, sans réfléchir aux conséquences.
Bien que Dalo paraissait furieux de se voir remis en question, il contenait ses paroles et sa voix. Sa colère était pourtant la même que celle d'Amoila et Gelilaa se détourna, un peu gêné. Son regard, libre d'errer de rayon de soleil en tache d'ombre, sautilla d'un homme et d'une femme à l'autre pour ne pas se fixer, redoutant ce qu'il pourrait lire. Il y avait encore des plaintes qu'ils n'avaient su faire cesser, Abojo et lui, des crispations de tous côtés... Les yeux de l'apprenti s'arrêtèrent puis repartirent en arrière, délaissant l'indistinct pour se concentrer. Au milieu de tous, il vit alors ce qu'il avait manqué plus tôt. Parmi les blessés, deux hommes lui étaient inconnus. Deux hommes qu'il avait aidé à soigner et l'un dont le wali n'était pas sûr qu'il survive.
- Ce sont nos frères avant toute chose, martelait Dalo, face à sa chair.
- Des frères ? s'indignait Amoila en s'énervant tant qu'il manqua retirer son bras des mains de sa femme qui le soignait. Où vois-tu des frères ? Pour moi, un homme qui est capable de t'arracher un membre ne mérite pas le nom de frère.
Jetant un regard d'excuse à ses camarades, Gelilaa rejoignit son maître qui s'était redressé suite à l'altercation. Ses traits étaient graves et des gouttes de sueur perlaient sur son front. L'apprenti posa une main sèche et légère sur son bras pour signaler sa présence et désigna du doigt l'étranger qui gisait à leur pieds.
- Que s'est-il passé ? demanda-t-il simplement.
- Les esprits auront peut-être la réponse à cela, répondit le wali. Amène-le moi à la case, c'est le plus touché.
Le corps était affaibli, relevant à peine de blessure et en subissant de nouvelles. La fièvre rendait les yeux de l'homme brillants et son souffle court, il tremblait de manière irrépressible en les fixant avec une muette supplication. Gelilaa s'agenouilla près de lui, le regardant avec beaucoup de douceur et de compassion. Sans lui faire plus de mal, il lui humecta les lèvres avec un peu d'eau, rectifia un peu sa pose pour soulager certains muscles ; il prit aussi sa main valide dans les siennes et lui sourit, tandis que son maître partait faire les préparatifs. Penché sur le blessé, l'apprenti répéta sa question en chuchotant :
- Que s'est-il passé ?