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Director's Cut
#1


Pendant que le corps frêle d’Ezialle reposait sous des draps, dans un recoin sombre du café des anges, son esprit naviguait, à nouveau, dans la Marche des Rêves.
Elle se sentait bien dans cet univers irréel, qui n’obéissait à aucune loi. Ici sa volonté pouvait créer, modifier, effacer comme bon lui semblait. Bien entendu la zone n’était pas sans danger, et chaque périple onirique était une nouvelle aventure. Mais chaque ange avait son devoir, ses dangers à affronter, et la servante de Blandine ne faisait pas exception.

Après s’être assurée que ses collègues angéliques étaient assoupis paisiblement et avoir effectué une sorte de ronde pour vérifier qu’il n’y avait nul assaut à craindre de la part des serviteurs de Beleth, Ezialle s’enfonça plus profondément dans la Marche.

Changeant de forme aux grés des caprices des rêveurs environnant, se fondant tel un caméléon dans leurs pensées les plus secrètes afin de ne pas les déranger, elle se dirigea vers un bâtiment cubique qui semblait gémir de douleur. L’hôpital d’Immac. Ezialle avait pris l’habitude de commencer ses explorations par ce lieu où les humains souffraient dans leur chair, tentant de soulager un court instant leurs peines par des images apaisantes d’un bonheur passé ou d’espoirs futurs.


Sans relâche elle s’affaira, essayant ici de gommer au mieux les traumas psychiques d’un grand brulé admis la veille, là de réconforter une femme victime d’un viol, là-bas encore d’accompagner les derniers instants d’un grand père que le cancer aurait emporté sans lui laissé le temps d’avoir revu sa famille, si Ezialle n’avait pas fouillé sa mémoire pour recréer virtuellement les êtres chers qui lui manquaient tant dans ses derniers instants.

L’énergie qu’elle avait déployée en quelques heures la laissait épuisée. Dire qu’à  la Cafétéria, on ne comprenait pas pourquoi elle se traînait toute la journée, sombrant dans de micro sommeil, oubliant ce qu’elle venait tout juste de dire ou se comportant de façon étrange. Ironiquement, servir Blandine n’était pas de tout repos, bien au contraire.

Elle ne vit pas la spirale mauve qui s’approchait d’elle en silence, et quand bien même elle l’aurait vue, elle n’aurait sans doute pas eu la force de lui résister…

La spirale l’emmena bien loin de ses repères habituels, la secouant dans tous les sens. Elle se retrouva dans une sorte de sphère quasi opaque, dont la seule source de lumière était une fenêtre, à défaut d’autre mot, qui lui montrait un homme  entre deux âges, couché et endormi. Repoussant les boucles rousses qui lui retombaient sur les yeux, elle mît quelques instant avant de le reconnaître. C’était le même homme qu’elle avait vu, il n’y a pas si longtemps, celui qui soit disant était son « joueur » , le rêve si étrange où elle n’était qu’un personnage de jeu vidéo parmi tant d’autres et non une angèle au service de l’Archange des Rèves.

Assise à même le sol, Ezialle reprenait son souffle. Puis, son instinct, ou ses sens aiguisés, l’avertirent qu’elle n’était plus seule. Alors qu’elle se redressait, cherchant à déterminer si la seconde personne était un adversaire ou un allié, une chaise la heurta par derrière et elle retomba dessus. Des liens de cuir l’immobilisèrent aussitôt alors qu’un projecteur était braqué sur son visage, l’aveuglant momentanément.
Lorsqu’elle put enfin y voir à nouveau, elle vit un homme accroupi devant elle, une machette ensanglantée posée au travers des cuisses. Une casquette américaine à l’envers sur le front, il lui souriait comme un chat ayant attrapé une proie particulièrement alléchante.

Salut Ezzy…. Je peux t’appeler Ezzy hein ? On se connait pas mais c’est pas grave…LUI il pointe de sa machette, qui laisse perler au sol quelques gouttes de sang, l’homme endormi nous connait.


Tu peux m’appeler Ezzy si tu veux. Mais moi je ne te connais pas. Tu es qui ? presque à regret elle ajouta un démon je suppose ?

Yep…C’est marrant, je te croyais plus jolie… attends, je vais arranger ça

Une violente gifle fit basculer Ezialle, qui cogna la tête en arrière sur sa chaise en bois. La joue rouge et meutrie, elle ne pût s’empêcher de laisser couler une larme, que le démon recueillit d’un doigt et goûta comme un nectar

Divin… rien de surprenant à ça. Tu l’as eu coco ou il faut faire une seconde prise?

Une  caméra flottant dans les airs s’abaissa d’un air grave, comme pour acquiescer.

Tu peux m’appeler le Réalisatueur. Je sers Nybbas, Prince des Médias. Ma spécialité c’est les films : gore, snuff movie, porno extreme…Je sens qu’on va bien s’amuser tous les deux… Ton agonie sera lente,  douloureuse, très douloureuse c’est vrai, et ma caméra va immortaliser tout ça.

Mais pourquoi ? Juste parce que je suis un ange ?

Bizarrement…non. Pas « juste parce que tu es un ange ». Vois tu, j’ai un peu hâte de m’incarner, d’arriver à Immac. Alors si je te découpe en petits morceaux, ici, sur la Marche des Rêves, pendant que Laurent rêve de toi… j’ai une chance d’être son prochain personnage. Le casting va changer, cocotte. Ras le bol de tes inepties. Déjà que certains anciens personnages dégoulinent sur toi parfois, sans que tu t’en rendes compte… Ca fait désordre. Et moi je suis plutôt du genre maniaque, tu vois. Genre « American Psycho ». T’as pas vu le film ? Lui l’a vu…. Sans doute son côté sombre qui ressort par moments.
Et puis, il faut bien mériter le titre de la chronique : « Director’s cut »… Le salaud, il t’a pas prévenu  quand il a commencé à écrire?


Le Réalisatueur s’approche d’Ezialle, un sourire mauvais aux lèvres et  l’attrape par les cheveux sans ménagement, lui soufflant dans l’oreille

Je crois que je vais couper court à ta participation dans ce film… mais merci d’avoir joué ton rôle!

La machette s’élève, éclaboussant le visage de la rouquine de quelques gouttes de sang éparses, et s’abat violemment sur son poignet alors qu’Ezialle crie d’horreur.


CLING

Un tintement métallique résonne dans la sphère

Pas ce soir, Joséphine.

La voix moqueuse, indéniablement féminine, fait ouvrir les grands yeux verts de l’ange de Blandine. Une épée a arrêté la course mortelle de la machette à quelques centimètres de sa chair.

Tu fais pas le poids, chéri. Et en plus t’as mis ta casquette à l’envers. Ou alors c’est ta tête qui est de travers ?

Une jeune femme court vétue , au sourire mutin et aux cheveux  bleus, repousse lentement la lame du Réalisatueur.

C’est pas funky de t’en prendre à plus faible que toi, mon chou. Heureusement que Tatie Lahmi passait dans les parages pour t’éviter de découper ma copine en ptites tranches, à la japonaise…
Elle adresse un clin d’œil à la prisonnière
Tout ça pour amener le jeu de mots suivant : « Ya pas d’sushis ! »

Non, tu n’avais pas le droit d’intervenir.. c’était mon heure…. Et ça peut encore l’être !

Pas le droit… eh, c’est son rêve à elle, moi j’y suis pour rien ! Ou alors parlons de droit d’ainesse, si tu y tiens ! Vu mon ancienneté, si Ezzy doit céder sa place, j’suis preums sur la liste !

Place aux jeunes plutôt. Tu as fait ton temps. Tôt ou tard, je m’incarnerai sur Immac.

Ce sera plutôt tard, alors. Vu que je sers Michel, même ici, à l’arme blanche je te nique ta truffe sans problème.

Toi et quelle armée ? Je ne suis pas le seul démon à errer dans les méandres de l’esprit de Laurent…

Venus de nulle part- avec la petite brume qui fait bien- d’autres sinistres silhouettes viennent se joindre au Réalisatueur. Si on reconnait aisément Pearson et Escharid, certains sont encore inconnus : un type massif en habits de rabbin, avec une étoile de David à moitié fondue dans les chairs boursouflées de son cou, une démone changeant d’apparence au fil des secondes, passant de la jeune fille à l’état de vieille édentée, puis redevenant une enfant. Les derniers arrivés ne parviennent plus à prendre une forme fixe, restant à l’état d’idée, de concept abstrait.

Un Bélial fou et une Kronos ? Mouais…. Tu remontes au score .

D’un geste vif, Lahmi fait glisser son épée le long des liens en cuir, libérant Ezialle

A toi de jouer cocotte…Bas le rappel des  Emplumés possibles!

Ezialle se concentre, la sueur glissant sur son front et la joue encore douloureuse.  Avec difficultés, une  forme prend place aux côtés des deux angèles : un Daniel plutôt ..court sur pattes, un nain pour tout dire, aux muscles saillants.
Et c’est tout.
Le reste n’apparait pas.


Salut Petit-Pierre. J’aurais du me doûter que la baston allait t’attirer. Mais t’es tout seul ?

Oï. Faut croire que notre joueur était en panne d’inspiration. Ou que la Belle Rêveuse
est encore plus crevée qu’on aurait cru. Mais à nous deux ça devrait suffire, d’autant qu’y a d’la défection en face.


Effectivement, Escharid s’écarte du lot de démons, son ravissant visage se dérobant derrière son éventail ancien.

Escharid n’est pas intéressée par vos vaines querelles. Son destin est d’être libre, et pas d’être enchaînée à Immac. Elle ne reviendra pas.

Pearson crache au sol
Moi j’pense pas revenir non plus… mais si j’peux faire cracher leurs dents aux emplumés, c’est pas d’refus.
Une carapace se forme sur le corps du démon de Valéfor alors que des étincelles crépitent sur ses doigts

Dites, on peut commencer à se battre ? J’ai des biscuits à la cannelle qui m’attendent moi !

A peine Lahmi a-t-elle fini sa phrase que l’assaut commence, dans une belle pagaille. Il faut dire que pour les démons, seule Ezialle représente une cible importante, mais qu’ils s’imaginent que celui qui la tuera gagnera le droit de s’incarner plus rapidement. Lahmi et Petit-Pierre repoussent tant bien que mal leurs adversaires, protégeant l’ange de Blandine de leur mieux. Les prouesses martiales de Lahmi lui permettent de faire jeu égal avec le Réalisatueur et le démon de Bélial, alors que Petit-Pierre et la démone de Kronos se neutralisent mutuellement et disparaissent sans laisser de traces. Pearson s’attaque à Ezialle, mais la rouquine l’endort d’un regard.
Enfin, Lahmi plonge son épée dans le corps du séide du Prince du Feu avant d’ôter des mains du Réalisatueur sa machette d’un revers de lame.

Murmurant de vagues et cruelles malédictions que l’auteur n’écrira pas ici par égard aux plus jeunes lecteurs, le démon de Nybbas s’efface lui aussi, ne laissant que les deux angèles.

Lahmi range son épée dans son baudrier et remet en place le mince crucifix  qui pend sur sa poitrine… avantageuse.

Ravie de t’avoir revue cocotte. Et de t’avoir sauvée des griffes du méchant, comme une vraie héroïne. Cela dit, si un de ses quatre tu veux prendre ta retraite, tu penseras à moi hein ? Si notre joueur veut me sortir de l’oubli… j’m’ennuie un peu toute seule. Et je te promets de squatter ta tête un peu moins souvent.

Hein ?

Ah t’es pas au courant ? Bon ben oublie ce que je viens de dire alors. Tu feras la bise à Shaggy et Sil’ de ma part steupl ? Je dois filer maintenant, et toi aussi, il se réveille….

Alors qu’Ezialle se retourne pour contempler une dernière fois cet étrange dormeur à qui, selon cette folle théorie, elle devrait son existence toute irréelle, Lahmi lui donne une tape sur les fesses et disparait avec un dernier clin d’œil complice et un dernier éclat de rire.

Ezialle reprend le chemin d’Immac, passant devant un immense miroir dans lequel elle se regarde un court instant, apercevant un reflet d’elle-même déformé, sombre et cruel, torturant les âmes des humains par des cauchemars impies… ce qu’elle pourrait elle aussi être si l’envie de faire le trajet inverse de l’ex Crocell….

Puis elle se réveille , dans son lit défait, le cœur battant la chamade…
Sur sa joue, la trace d’une gifle finit lentement de s’estomper.



























 



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Director's Cut - by Ezialle - 01-25-2011, 03:53 PM

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