Paris, mai 1610
Trois heures venaient de sonner à l'église Saint Jacques de la Boucherie. La porte de l'appentis où logeait François s'ouvrit brusquement.
-François ! Mon porte manteau ! Nous partons !
-Mais... Il fait nuit noire, ne pouvons nous attendre l'aube ?
-Tais-toi et fais ce que je dis, prépare ma malle, fais ton baluchon, nous partons maintenant.
Ils sortirent de Paris au petit matin par la porte saint Martin. Les sentinelles les laissèrent passer sans problème... Lorsqu'ils furent assez loin de la ville, le cocher demanda :
-Où allons nous maître ?
-Nous allons à Amiens, en Picardie. J'y ai des amis et la frontière avec les Pays Bas Espagnols n'est qu'à dix lieues de la ville, si d'aventure nous devons fuir le royaume...
François regarda son maître.
-Fuir ? Mais pourquoi donc ?
-Tu as certainement entendu parler de ce lâche attentat commis contre notre roi Henri le quatrième ? Il se trouve que le régicide a été hébergé par notre protectrice, Charlotte du Tillet. J'ai conversé avec ce Ravaillac... Et je crains qu'il n'ait mal interprété certains de mes propos hostiles à l'égard de notre souverain... Et Dieu sait ce qu'il risque de dire s'il est soumis à la question. On dit que le prévôt de Paris lui a écrasé les pouces avec d'un rouet d'arquebuse pour lui faire avouer qui étaient ses complices !
Les années qui suivirent, Léandre et ses serviteurs habitèrent dans une ferme, hors les murs, au nord d'Amiens. Il s'agissait de ne pas se retrouver enfermé dans la ville, si d'aventure on devait fuir vers les Flandres. Le chirurgien s'était fait une petite clientèle de bourgeois, mais soignait à l'occasion les gueux qui en avaient besoin. Lorsqu'un de ces bourgeois s'en offusquait, Léandre lui remémorait l'échange verbal entre Charles IX et Ambroise Paré :
-J'espère bien que tu vas mieux soigner les rois que les pauvres ?
- Non Sire, c'est impossible.
- Et pourquoi ?
-Parce que je soigne les pauvres comme des rois.
François avait eu du mal à s'habituer au langage rude des habitants du cru, mais il aimait cette ville où, dit-on, Saint Martin partagea son manteau avec un pauvre. mais l'endroit qu'il appréciait par dessus tout, c'était la cathédrale où il passait son temps à rêver devant les stalles décorées.Il envisageait sans problème passer sa vie ici, sous les ordres de Maître Petit (le chirurgien avait raccourci son nom par souci de discrétion) à combattre le Mal en soulageant les souffrances des hommes, éprouvés par les maladies, les épidémies, les guerres...
Amiens, août 1611
Il était tard et la nuit était tombée, lorsqu'un des sergents du guet vint frapper chez le chirurgien. Pierre, l'ancien soldat, était caché derrière la porte, la rapière hors du fourreau, mais le visiteur n'était pas là pour eux, du moins pas pour ce qu'ils craignaient.
-Maître Petit, venez vite ! C'est Julien. On a besoin de vous ! Ma nièce ! Elle est en mal d'enfantement...
Le chirurgien, intrigué s'avança vers la porte.
-Que me dis tu là ? C'est l'affaire des matrones, ou alors c'est que ta nièce est à l'article de la mort...
-L'accouchement se passe mal... Les matrones ont essayé tous leurs tours de sorcières, mais l'enfant se présente mal...
-Bien, guide nous jusqu'à sa maison... François ! La lanterne !
Ils suivirent le sergent du guet jusqu'à la porte nord de la ville. Après les formalités d'usage, ils passèrent la herse et s'enfoncèrent dans les méandres du quartier Saint Leu jusqu'à une maison d'où provenaient les cris de la parturiente. Une grosse paysanne au teint rougeaud ouvrit la porte.
-Qu'o voulez ? 'O savez bin qu'chés hommes n'rintent mie dins l'maison d'eine femme in travaille d'éfant.
-Je suis le chirurgien, J'ai été mandé par l'oncle de la parturiente.
-Bin rinte alors min fiu, mais chés z'aut' y restent dehors.
-Bien, J'aurai besoin de mon apprenti, mais pour l'heure, François, tu vas aller trouver l'apothicaire. Tu me ramèneras du laudanum, de l'huile de violette et de laurier et du fil de soie s'il en a. Pierre, tu montes la garde devant la maison. Quant à vous l'oncle, courez jusqu'à la cathédrale et priez pour votre nièce.
François courut à toutes jambes chez l'apothicaire. S'il connaissait bien l'emplacement de la boutique, réveiller ce vieux ronchon de maître Roncelin n'était pas gagné d'avance. Il avait tambouriné à la porte et crié si fort qu'il était sûr d'avoir réveillé tout le quartier, mais ce vieux coquin d'apothicaire ne voulait pas montrer son vilain museau. Comme il aurait aimé échanger à ce moment tous ses pouvoirs contre celui de passe muraille. Enfin, la porte s'ouvrit, et après une transaction et un coup de pied dans les côtes pour son insolence, François fit le chemin en sens inverse, son paquet sous le bras.
-Pierre ? Pierrot ? Où es-tu ?
François se posait des questions... Jamais il n'avait vu Pierre quitter son poste, et pourtant, l'ancien narquois n'était pas là. Il se décida à entrer dans la maison, tous les sens aux aguets. Dans la pénombre, l'apprenti vit les matrones au rez-de-chaussée, l'une était endormie sur une chaise, et l'autre allongée sur un banc.
Bon, se dit il, l'accouchement est fini, les matrones prennent un repos bien mérité, et mon maître est rentré à la ferme avec Pierre. C'était bien la peine de réveiller toute la ville... Mais attends... L'l'apothicaire a beau avoir été le dernier des lambins, ce n'est pas possible que ce soit déjà fini... Et après l'accouchement on boit un coup, non ? Je boirais bien un peu de ce petit vin des coteaux de Saint Pierre...
Alors que François réfléchit intensément, un cri parvient du premier étage.
-Noooon ! Pas mon enfant ! Sainte Catherine, aidez moi !
-Ah ! Si on invoque Catherine, faut y aller... C'est pas vraiment ma supérieure, mais je suis dans un bon jour...
En arrivant en haut de l'escalier, François voit son maître, dans un coin de la pièce, la tête en sang. Le coupable n'est certainement autre que l'homme qui se tient devant le lit de l'accouchée, menaçant d'une masse d'arme le nouveau né qu'elle tient dans ses bras.
-Donne moi cet enfant, catin, que je lui fasse un sort ! Je ne veux pas d'un bâtard qui pourrait affaiblir le sang de ma famille !
-Non ! Pitié messire Gontran ! Sainte Catherine, à moi !
Toujours prêt à défendre la veuve et l'orphelin, François apostrophe l'homme...
Holà, faquin ! Si tu ne souhaitais pas d'héritier, il fallait te faire nouer l'aiguillette...
L'homme se tourne vers François et tente de lui asséner un coup de masse. L'apprenti esquive, mais en reculant, glisse dans un liquide visqueux répandu sur le plancher de la chambre et se retrouve en bas de l'escalier plus vite qu'il ne l'aurait voulu.
Tu ne sauras donc jamais garder ta bouche ! Jure t-il contre lui même.
Messire Gontran descend l'escalier, prêt à punir François pour son audace. Bon point : il a lâché la mère et l'enfant...
François esquive une nouvelle fois un moulinet de masse et se réfugie sous la table. Là il trouve Pierre, victime aussi de la masse d'arme de messire Gontran, mal en point mais vivant... Il n'a même pas eu le temps de tirer sa rapière. François sort la lame de son fourreau et sort de sous la table. Le combat va être plus équilibré maintenant.
Voyant un enfant armé d'une épée, Messire Gontran se gausse :
-Range cette lame, goujat, tu vas te blesser !
L'apprenti ne répond même pas. En deux coups, la masse d'arme saute et messire Gontran se retrouve à sa merci. Cela fait une éternité que François n'a pas touché une épée... Emporté par sa fureur belliqueuse, il se prépare à couper son adversaire en deux, de la barbe aux génitailles. C'est Alors qu'il avise le chirurgien en haut de l'escalier. Il a le visage en sang mais il est debout. Ses paroles, méprisantes, frappent François comme un coup de fouet.
-Un Laurent sera toujours un Laurent !
Rassuré par l'intervention de son maître et refroidi par son commentaire, François jette l'épée, attrape la main de son adversaire, le regarde dans les yeux et se concentre. En un instant, Messire Gontran rejoint les bras de Morphée et s'écroule lourdement sur le plancher...
Un Laurent sera toujours un Laurent... Faut voir... J'ai tout mon temps, non ?
Trois heures venaient de sonner à l'église Saint Jacques de la Boucherie. La porte de l'appentis où logeait François s'ouvrit brusquement.
-François ! Mon porte manteau ! Nous partons !
-Mais... Il fait nuit noire, ne pouvons nous attendre l'aube ?
-Tais-toi et fais ce que je dis, prépare ma malle, fais ton baluchon, nous partons maintenant.
Ils sortirent de Paris au petit matin par la porte saint Martin. Les sentinelles les laissèrent passer sans problème... Lorsqu'ils furent assez loin de la ville, le cocher demanda :
-Où allons nous maître ?
-Nous allons à Amiens, en Picardie. J'y ai des amis et la frontière avec les Pays Bas Espagnols n'est qu'à dix lieues de la ville, si d'aventure nous devons fuir le royaume...
François regarda son maître.
-Fuir ? Mais pourquoi donc ?
-Tu as certainement entendu parler de ce lâche attentat commis contre notre roi Henri le quatrième ? Il se trouve que le régicide a été hébergé par notre protectrice, Charlotte du Tillet. J'ai conversé avec ce Ravaillac... Et je crains qu'il n'ait mal interprété certains de mes propos hostiles à l'égard de notre souverain... Et Dieu sait ce qu'il risque de dire s'il est soumis à la question. On dit que le prévôt de Paris lui a écrasé les pouces avec d'un rouet d'arquebuse pour lui faire avouer qui étaient ses complices !
Les années qui suivirent, Léandre et ses serviteurs habitèrent dans une ferme, hors les murs, au nord d'Amiens. Il s'agissait de ne pas se retrouver enfermé dans la ville, si d'aventure on devait fuir vers les Flandres. Le chirurgien s'était fait une petite clientèle de bourgeois, mais soignait à l'occasion les gueux qui en avaient besoin. Lorsqu'un de ces bourgeois s'en offusquait, Léandre lui remémorait l'échange verbal entre Charles IX et Ambroise Paré :
-J'espère bien que tu vas mieux soigner les rois que les pauvres ?
- Non Sire, c'est impossible.
- Et pourquoi ?
-Parce que je soigne les pauvres comme des rois.
François avait eu du mal à s'habituer au langage rude des habitants du cru, mais il aimait cette ville où, dit-on, Saint Martin partagea son manteau avec un pauvre. mais l'endroit qu'il appréciait par dessus tout, c'était la cathédrale où il passait son temps à rêver devant les stalles décorées.Il envisageait sans problème passer sa vie ici, sous les ordres de Maître Petit (le chirurgien avait raccourci son nom par souci de discrétion) à combattre le Mal en soulageant les souffrances des hommes, éprouvés par les maladies, les épidémies, les guerres...
Amiens, août 1611
Il était tard et la nuit était tombée, lorsqu'un des sergents du guet vint frapper chez le chirurgien. Pierre, l'ancien soldat, était caché derrière la porte, la rapière hors du fourreau, mais le visiteur n'était pas là pour eux, du moins pas pour ce qu'ils craignaient.
-Maître Petit, venez vite ! C'est Julien. On a besoin de vous ! Ma nièce ! Elle est en mal d'enfantement...
Le chirurgien, intrigué s'avança vers la porte.
-Que me dis tu là ? C'est l'affaire des matrones, ou alors c'est que ta nièce est à l'article de la mort...
-L'accouchement se passe mal... Les matrones ont essayé tous leurs tours de sorcières, mais l'enfant se présente mal...
-Bien, guide nous jusqu'à sa maison... François ! La lanterne !
Ils suivirent le sergent du guet jusqu'à la porte nord de la ville. Après les formalités d'usage, ils passèrent la herse et s'enfoncèrent dans les méandres du quartier Saint Leu jusqu'à une maison d'où provenaient les cris de la parturiente. Une grosse paysanne au teint rougeaud ouvrit la porte.
-Qu'o voulez ? 'O savez bin qu'chés hommes n'rintent mie dins l'maison d'eine femme in travaille d'éfant.
-Je suis le chirurgien, J'ai été mandé par l'oncle de la parturiente.
-Bin rinte alors min fiu, mais chés z'aut' y restent dehors.
-Bien, J'aurai besoin de mon apprenti, mais pour l'heure, François, tu vas aller trouver l'apothicaire. Tu me ramèneras du laudanum, de l'huile de violette et de laurier et du fil de soie s'il en a. Pierre, tu montes la garde devant la maison. Quant à vous l'oncle, courez jusqu'à la cathédrale et priez pour votre nièce.
François courut à toutes jambes chez l'apothicaire. S'il connaissait bien l'emplacement de la boutique, réveiller ce vieux ronchon de maître Roncelin n'était pas gagné d'avance. Il avait tambouriné à la porte et crié si fort qu'il était sûr d'avoir réveillé tout le quartier, mais ce vieux coquin d'apothicaire ne voulait pas montrer son vilain museau. Comme il aurait aimé échanger à ce moment tous ses pouvoirs contre celui de passe muraille. Enfin, la porte s'ouvrit, et après une transaction et un coup de pied dans les côtes pour son insolence, François fit le chemin en sens inverse, son paquet sous le bras.
-Pierre ? Pierrot ? Où es-tu ?
François se posait des questions... Jamais il n'avait vu Pierre quitter son poste, et pourtant, l'ancien narquois n'était pas là. Il se décida à entrer dans la maison, tous les sens aux aguets. Dans la pénombre, l'apprenti vit les matrones au rez-de-chaussée, l'une était endormie sur une chaise, et l'autre allongée sur un banc.
Bon, se dit il, l'accouchement est fini, les matrones prennent un repos bien mérité, et mon maître est rentré à la ferme avec Pierre. C'était bien la peine de réveiller toute la ville... Mais attends... L'l'apothicaire a beau avoir été le dernier des lambins, ce n'est pas possible que ce soit déjà fini... Et après l'accouchement on boit un coup, non ? Je boirais bien un peu de ce petit vin des coteaux de Saint Pierre...
Alors que François réfléchit intensément, un cri parvient du premier étage.
-Noooon ! Pas mon enfant ! Sainte Catherine, aidez moi !
-Ah ! Si on invoque Catherine, faut y aller... C'est pas vraiment ma supérieure, mais je suis dans un bon jour...
En arrivant en haut de l'escalier, François voit son maître, dans un coin de la pièce, la tête en sang. Le coupable n'est certainement autre que l'homme qui se tient devant le lit de l'accouchée, menaçant d'une masse d'arme le nouveau né qu'elle tient dans ses bras.
-Donne moi cet enfant, catin, que je lui fasse un sort ! Je ne veux pas d'un bâtard qui pourrait affaiblir le sang de ma famille !
-Non ! Pitié messire Gontran ! Sainte Catherine, à moi !
Toujours prêt à défendre la veuve et l'orphelin, François apostrophe l'homme...
Holà, faquin ! Si tu ne souhaitais pas d'héritier, il fallait te faire nouer l'aiguillette...
L'homme se tourne vers François et tente de lui asséner un coup de masse. L'apprenti esquive, mais en reculant, glisse dans un liquide visqueux répandu sur le plancher de la chambre et se retrouve en bas de l'escalier plus vite qu'il ne l'aurait voulu.
Tu ne sauras donc jamais garder ta bouche ! Jure t-il contre lui même.
Messire Gontran descend l'escalier, prêt à punir François pour son audace. Bon point : il a lâché la mère et l'enfant...
François esquive une nouvelle fois un moulinet de masse et se réfugie sous la table. Là il trouve Pierre, victime aussi de la masse d'arme de messire Gontran, mal en point mais vivant... Il n'a même pas eu le temps de tirer sa rapière. François sort la lame de son fourreau et sort de sous la table. Le combat va être plus équilibré maintenant.
Voyant un enfant armé d'une épée, Messire Gontran se gausse :
-Range cette lame, goujat, tu vas te blesser !
L'apprenti ne répond même pas. En deux coups, la masse d'arme saute et messire Gontran se retrouve à sa merci. Cela fait une éternité que François n'a pas touché une épée... Emporté par sa fureur belliqueuse, il se prépare à couper son adversaire en deux, de la barbe aux génitailles. C'est Alors qu'il avise le chirurgien en haut de l'escalier. Il a le visage en sang mais il est debout. Ses paroles, méprisantes, frappent François comme un coup de fouet.
-Un Laurent sera toujours un Laurent !
Rassuré par l'intervention de son maître et refroidi par son commentaire, François jette l'épée, attrape la main de son adversaire, le regarde dans les yeux et se concentre. En un instant, Messire Gontran rejoint les bras de Morphée et s'écroule lourdement sur le plancher...
Un Laurent sera toujours un Laurent... Faut voir... J'ai tout mon temps, non ?