Paris, mars 1610
François précédait son maître dans les rues sombres et malodorantes du vieux Paris, en levant sa lanterne bien haut pour bien voir les obstacles. De temps en temps, un grincement trahissait l'ouverture d'une fenêtre, et il fallait vite s'éloigner avant d'entendre le cri de "Gardez l'eau", qui annonçait une pluie malodorante. Léandre Petitpas grommelait dans sa barbe :
-Des siècles de civilisation et ils continuent à jeter leurs excréments dans la rue comme au temps des romains...
Ils passèrent dans de petites rues étroites et tortueuses, puis descendirent une longue pente boueuse et mal pavée.
-Où sommes nous, maître ?
-Rue de la Mortellerie, maintenant tourne à gauche et tais-toi...
Ils s'engagèrent dans une ruelle si exiguë que les maisons semblaient se toucher de chaque côté de la rue, et suivant un boyau obscur,ils débouchèrent sur une place d'une grandeur très considérable où se trouvaient les maisons les plus misérables et les plus branlantes que François ait jamais vues de sa vie.
Au centre de la place, des bohémiens dansaient autour d'un feu de camp. Ici et là, des mendiants, des coquillards, des estropiés... La cour des miracles ! Son maître s'était jeté dans le pire coupe-gorge de Paris ! Quatre narquois -faux soldats prétendant avoir été blessés au service du roi de France et demandant l'aumône, la main sur l'épée- bavardaient, appuyés contre une porte. Avisant la présence de Léandre et du gamin, ils se dirigèrent vers eux. François porta sa main droite au côté gauche par réflexe, avant de se souvenir qu'il n'était pas armé.
-Maître, ils viennent vers nous ! Il nous faut fuir !
Pour toute réponse, le chirurgien posa sa main sur l'épaule de François.
Lorsque les narquois se placèrent autour d'eux, Léandre leur adressa la parole :
-Simon le [abbr=souteneur]marjaud[/abbr] a besoin de mes services
Celui qui semblait être le chef des narquois lui répondit :
-Si fait, le [abbr=roi de la cour des miracles]Grand Coësre [/abbr] nous a prévenus, Pierre te mènera à lui...
Ledit Pierre fit signe au chirurgien et à son valet de les suivre. Il les guida dans un labyrinthe d'escaliers, de couloirs et d'arrière-cours, jusqu'à une porte dont il manœuvra le heurtoir. Lorsque la porte s'ouvrit dans un grincement, François poussa un cri d'horreur. Il se trouvait face à son pire cauchemar. Sous une capuche un visage jaunâtre, maigre, aux yeux exorbités, dépourvu de nez et de lèvres lui souriait de toutes ses dents. François se sauva à toutes jambes, mais fut rattrapé dans l'escalier par Pierre qui le ramena auprès de son maître.
-Eh bien François... On dirait que tu n'as jamais vu un lépreux... Gageons qu'il n'y a pas meilleur huissier... Personne n'oserait entrer ici sans l'accord de son maître...
Ils entrèrent dans la pièce, François continuant à surveiller le pseudo mort-vivant du coin de l'oeil. Dans un coin, un homme présentant de nombreuses blessures, ulcères et escarres était allongé à même le sol.
-Est-ce cet homme qui a besoin de vos soins, maître ?
-Non, celui là est un Malingreux, un simulateur. Il demande l'aumône dans les églises, en prétendant réunir la somme nécessaire pour entreprendre le pèlerinage qui doit le guérir.
Le médecin s'avança plus avant dans la pièce et ouvrit une autre porte. Dans la pénombre, on pouvait deviner une forme gisant sur un grabat. François approcha sa lanterne, et recula d'un pas, la main devant la bouche : la jambe du blessé grouillait de vers...
-Maître ! C'est horrible ! La blessure est pleine de vermine. Il faut lui couper la jambe !
-Oui, bien sûr... Et aussi tremper le moignon dans l'huile bouillante pour cautériser... Apprends, disciple, que ce que tu appelles vermine, sont des asticots de la mouche verte et qu'ils vont soigner cet homme mieux que ne le ferait un chirurgien.
-vous plaisantez ?
-Que nenni, cet homme s'est jeté du haut des remparts pour échapper aux sergents du guet et s'est brisé la jambe de telle façon que l'os sortait de la blessure. J'ai réduit la fracture et nos amis les asticots sont en train de le soigner... Il semblerait qu'ils aident à la cicatrisation en détruisant les chairs mortes et en protégeant la victime de l'infection tel que l'a observé mon maître, Ambroise Paré, Lors du siège de Saint Quentin en 1557. On dit que c'est au siège de cette ville, justement, que Philippe II d’Espagne, prit conscience des souffrances que la guerre fait endurer aux hommes.
[i]Les voies du Seigneur sont impénétrables...[i]
François précédait son maître dans les rues sombres et malodorantes du vieux Paris, en levant sa lanterne bien haut pour bien voir les obstacles. De temps en temps, un grincement trahissait l'ouverture d'une fenêtre, et il fallait vite s'éloigner avant d'entendre le cri de "Gardez l'eau", qui annonçait une pluie malodorante. Léandre Petitpas grommelait dans sa barbe :
-Des siècles de civilisation et ils continuent à jeter leurs excréments dans la rue comme au temps des romains...
Ils passèrent dans de petites rues étroites et tortueuses, puis descendirent une longue pente boueuse et mal pavée.
-Où sommes nous, maître ?
-Rue de la Mortellerie, maintenant tourne à gauche et tais-toi...
Ils s'engagèrent dans une ruelle si exiguë que les maisons semblaient se toucher de chaque côté de la rue, et suivant un boyau obscur,ils débouchèrent sur une place d'une grandeur très considérable où se trouvaient les maisons les plus misérables et les plus branlantes que François ait jamais vues de sa vie.
Au centre de la place, des bohémiens dansaient autour d'un feu de camp. Ici et là, des mendiants, des coquillards, des estropiés... La cour des miracles ! Son maître s'était jeté dans le pire coupe-gorge de Paris ! Quatre narquois -faux soldats prétendant avoir été blessés au service du roi de France et demandant l'aumône, la main sur l'épée- bavardaient, appuyés contre une porte. Avisant la présence de Léandre et du gamin, ils se dirigèrent vers eux. François porta sa main droite au côté gauche par réflexe, avant de se souvenir qu'il n'était pas armé.
-Maître, ils viennent vers nous ! Il nous faut fuir !
Pour toute réponse, le chirurgien posa sa main sur l'épaule de François.
Lorsque les narquois se placèrent autour d'eux, Léandre leur adressa la parole :
-Simon le [abbr=souteneur]marjaud[/abbr] a besoin de mes services
Celui qui semblait être le chef des narquois lui répondit :
-Si fait, le [abbr=roi de la cour des miracles]Grand Coësre [/abbr] nous a prévenus, Pierre te mènera à lui...
Ledit Pierre fit signe au chirurgien et à son valet de les suivre. Il les guida dans un labyrinthe d'escaliers, de couloirs et d'arrière-cours, jusqu'à une porte dont il manœuvra le heurtoir. Lorsque la porte s'ouvrit dans un grincement, François poussa un cri d'horreur. Il se trouvait face à son pire cauchemar. Sous une capuche un visage jaunâtre, maigre, aux yeux exorbités, dépourvu de nez et de lèvres lui souriait de toutes ses dents. François se sauva à toutes jambes, mais fut rattrapé dans l'escalier par Pierre qui le ramena auprès de son maître.
-Eh bien François... On dirait que tu n'as jamais vu un lépreux... Gageons qu'il n'y a pas meilleur huissier... Personne n'oserait entrer ici sans l'accord de son maître...
Ils entrèrent dans la pièce, François continuant à surveiller le pseudo mort-vivant du coin de l'oeil. Dans un coin, un homme présentant de nombreuses blessures, ulcères et escarres était allongé à même le sol.
-Est-ce cet homme qui a besoin de vos soins, maître ?
-Non, celui là est un Malingreux, un simulateur. Il demande l'aumône dans les églises, en prétendant réunir la somme nécessaire pour entreprendre le pèlerinage qui doit le guérir.
Le médecin s'avança plus avant dans la pièce et ouvrit une autre porte. Dans la pénombre, on pouvait deviner une forme gisant sur un grabat. François approcha sa lanterne, et recula d'un pas, la main devant la bouche : la jambe du blessé grouillait de vers...
-Maître ! C'est horrible ! La blessure est pleine de vermine. Il faut lui couper la jambe !
-Oui, bien sûr... Et aussi tremper le moignon dans l'huile bouillante pour cautériser... Apprends, disciple, que ce que tu appelles vermine, sont des asticots de la mouche verte et qu'ils vont soigner cet homme mieux que ne le ferait un chirurgien.
-vous plaisantez ?
-Que nenni, cet homme s'est jeté du haut des remparts pour échapper aux sergents du guet et s'est brisé la jambe de telle façon que l'os sortait de la blessure. J'ai réduit la fracture et nos amis les asticots sont en train de le soigner... Il semblerait qu'ils aident à la cicatrisation en détruisant les chairs mortes et en protégeant la victime de l'infection tel que l'a observé mon maître, Ambroise Paré, Lors du siège de Saint Quentin en 1557. On dit que c'est au siège de cette ville, justement, que Philippe II d’Espagne, prit conscience des souffrances que la guerre fait endurer aux hommes.
[i]Les voies du Seigneur sont impénétrables...[i]