09-26-2010, 03:55 PM
Musique! [sub](non mais arrêtez, c'est vraiment haram quoi)[/sub]
Quote:Dix novembre deux mille huit, Bagdad.
Vingt-huit morts, soixante-huit blessés.
J'ai tout vu. J'étais là. Les deux voitures explosant au centre-ville, les cris d'agonie, de douleur, la panique, la peur, l'odeur du sang, de la poussière, des corps déchiquetés. Le courage, aussi, de ceux qui tentent de venir en aide aux victimes.
La dévastation était terrible, mais j'étais animée par l'excitation de la [i]première fois. Nous avions réussi notre attaque, tout se passait sans aucun accroc, et nous serions félicités à notre retour auprès des nôtres.
Abdul et Hakim se congratulèrent, et louèrent Allah pour ses bienfaits. Nous observions la scène, essayant de deviner combien de victimes nos bombes avaient pu faire, bien à l'abri sur le toit d'une maison à deux cent mètres de là. J'avais le sourire aux lèvres, et je lâchais un "Allah Ackbar!" sans m'en rendre vraiment compte, repris en chœur par mes deux complices.
Comme pour souligner notre louange, une troisième explosion retentit au milieu de la foule venue s'occuper des blessés. De simples passants, des policiers, des ambulanciers, massés pour tenter d'apporter leur aide, sans rien demander en retour.
Cette troisième attaque nous surprit tous les trois. Elle n'était absolument pas prévue, n'était même pas sensée arriver. Un acte dont l'horreur était indicible. C'était là la véritable attaque du jour, nos deux voitures piégées n'ayant pour fonction que d'attirer les secours et la police sur place. Nous n'avions été que des pions, préparant sans le savoir une attaque suicide...
J'étais choquée, abrutie par tant d'horreur. Moi qui me voyais comme une créature ignoble, démoniaque, j'étais violemment remise à ma place. J'étais surclassée par ceux qui dirigeaient ces opérations, je me sentais comme une petite fille face à un chien enragé. Je n'étais pas venue pour ce genre d'actes ignobles. On ne tire pas sur les ambulances.
Hakim m'entraîna à sa suite, Abdul démarrant déjà la camionnette pour nous ramener à la Base, un sous-sol dans une ruine en bordure du désert. Je n'arrivais plus à parler, j'étais en état de choc. Les corps projetés à plusieurs dizaines de mètres autour du Fedayin, démembrés, désarticulés, retombant comme des poupées de chiffon où l'étincelle de vie s'était éteinte... Cette vision hantait mon esprit.
Rentrés à la Base, nous trouvâmes une deuxième équipe en pleine liesse. Leur opération aussi avait été un succès. Je savais qu'ils visaient un check-point américain à Baquba. La radio venait d'annoncer le bilan provisoire des deux opérations. Quatre morts et dix-huit blessés pour eux. Je les félicitais machinalement, avec un sourire de façade. Eux, au moins, avaient pris pour cible des soldats...
Aziz, le leader de leur équipe, prononça un éloge funèbre pour leur Fedayin, martyr de l'Islam au nom de la lutte contre l'occupant infidèle. Je ne prêtais qu'une oreille distraite à son discours, ayant entendu plusieurs fois ce genre de discours au cours des mois passés au Mashrek.
Pourtant, en entendant la plaisanterie de l'un des hommes de son équipe, je sentis la rage monter en moi.
"Les filles peuvent servir à autre chose qu'à être mariées, finalement".
Leur Fedayin était une jeune fille de treize ans à peine. Elle n'avait pas eu son mot à dire: sa ceinture d'explosifs avait été déclenchée à distance, par Aziz lui-même.
J'eus envie de vomir toutes mes tripes. Je pouvais sans problème supporter le fait que nous tuions des innocents, même avec des explosifs, même avec des Fedayin, que l'Occident nommait "Kamikaze", incapable de saisir la richesse et la beauté de l'Islam et de ses traditions.
Envoyer des petites filles exploser comme de vulgaires bombes téléguidées, faire exploser quelqu'un au milieu des secours et des blessés... Cela allait à l'encontre de mes principes.
Je me sentais ridicule, je servais le Mal, après tout. Mais cela... C'était trop. Il n'y avait aucune joie à tirer de ces actes, aucun honneur à retirer. J'avais beau comprendre tous les enjeux du combat qui se déroulait, la psychologie qui s'était mise en place au cours du conflit, je ne pouvais pas supporter cela.
Le Grand Jeu ne justifiait aucunement ces souffrances inutiles. Je ne comprenais même pas comment elles pouvaient être compatibles avec lui. Et pourtant...
L'imam Farid al-Qaradawi, mon tuteur des services de Ouikka, me félicita pour le succès de notre opération à Bagdad. Il m'encouragea à continuer, à persévérer dans cette voie, comme lui l'avait fait avant de devenir le Chevalier Ras-al-Ghul. Il parlerait de moi à ses supérieurs, appuierait ma demande de mutation à son service, si j'acceptais de prendre à ma charge une escouade de Moudjahidin pour aller assassiner des personnalités qu'on nous désignerait.
Je n'avais guère le choix, j'acceptais sans condition. Attiser la haine intercommunautaire en assassinant des gens au hasard me paraissait bien plus indiqué que de faire sauter des gamines au milieu d'innocents.
Ras-al-Ghul parut satisfait, souriant de toutes ses dents. Il se pencha dans une caisse, en sortit une bois en bois, me l'offrit.
Elle contenait l'arme qui n'allait plus jamais me quitter.
Un colt Single Action Army. L'Amérique par excellence... [/i]