09-19-2010, 02:41 PM
La musique...
Quote:Dans ce hangar perdu au milieu de nulle part, la Nuit semblait figée pour toujours, le Temps avait suspendu son envol.
Seuls les hurlements du démon que je torturais brisaient le silence pesant.
Les pouvoirs de régénération de ce démon m'empêchaient de le tuer par inadvertance, et ce qui avait du être un avantage considérable pour lui se révélait être la pire des malédictions.
Essoufflée, je m'écartais de ma victime, pour contempler mon œuvre de vengeance.
Le corps qui me faisait face n'était plus qu'une plaie suintante de douleur palpable dans l'air chargé des effluves à la fois entêtantes et dégoutantes du sang qui séchait sur le sol.
Je restais fascinée par la capacité de régénération de ce corps possédé, mon couteau de combat poisseux et gluant à la main. Je regardais avec ce qui pourrait être de l'horreur les lèvres des plaies que j'avais moi même dessinées dans son corps se refermer lentement.
Un corps capable de se régénérer bien plus rapidement que le mien. Capable d'endurer bien plus de douleur que je ne le pourrais jamais.
Ce tas de viande putrescente qui se balançait, suspendu par deux crochets de boucher plantés sous les omoplates et dont les boyaux pendaient au sol me fit vomir. Cette torture qui au départ m'avait tant et tant libérée m'était devenue insupportable, une torture pour moi même.
Quelque part au fond de moi, il restait une part de sensibilité, de faiblesse, peut être, mais qui me permettait de me sentir encore un peu humaine.
La compassion que j'éprouvais pour ce démon me fit douter, une fois de plus, du bien fondé de mes actions. Je rêvais de le décrocher, de le serrer contre moi, d'embrasser chacune de ses plaies.
Je secouais la tête, chassant de mon esprit ces pensées perverses. Il savait, comme moi, que c'était la dernière arme qui lui restait. Mais comment pervertir plus une âme déjà corrompue jusqu'à l'anéantir complètement?
Je lâchais mon couteau sur le sol, épuisée mentalement par les tortures que je lui avais fait subir. Le couteau avait rejoint le chalumeau qui m'avait été inutile, ainsi que la tronçonneuse et les câbles électriques.
Lorsque j'avais utilisé le chalumeau, il avait rit, malgré la douleur de ses côtes ravagées par les crochets. Immunisé au feu, il s'était largement moqué de moi, qui ne savait rien de lui, pas même son nom.
D'un air de défi, il m'avait craché un caillot de sang au visage en même temps que son nom démoniaque. Semaëlon... Il avait cependant moins rit lorsque j'avais lâché le chalumeau pour la tronçonneuse...
Le démon que j'avais face à moi aurait pu être mon frère jumeau, tant je savais ce qu'il pensait, ce qu'il était, ce dont il était capable.
Ses pouvoirs, comme les miens, étaient tournés vers la survie, subtils et suscitant attirance et sympathie de la part de ses victimes.
Pourtant, à la différence de cet être abject, j'avais conservé en moi une part de celle que j'étais avant de devenir cette... chose... infernale.
Semaëlon gémit, au bord de l'inconscience. Son corps aurait guéri avant la fin de la journée, sans avoir besoin d'eau, de nourriture, ni même d'air.
Un corps préparé pour la survie, comme s'il avait eu peur de devoir abandonner la vie à nouveau. Ses pouvoirs, si durement acquis depuis tant de décennies, devenus paradoxalement sa perte.
Je fis tomber ce démon au sol, défaisant les chaînes, qui crissèrent et cliquetèrent dans la poulie dix mètres plus haut. Le choc fut sourd, net, humide.
Semaëlon rampait au sol, cherchant désespérément à atteindre les crochets dans son dos, avec ce qui lui restait de ses mains.
Étalé au milieu de ses boyaux baignant dans une mare de sang, il essayait encore de lutter pour survivre et s'enfuir. Mais j'avais tout préparé avec minutie.
Je n'avais plus aucun plaisir à torturer cette créature, mais je voulais continuer. Ma Haine envolée, assouvie, ne m'était plus d'aucune aide. Mais il fallait que je l'achève, pour que jamais il ne puisse parler, me dénoncer.
Je le tirais par les cheveux jusque dans la fosse qui servait à vidanger les véhicules agricoles, et l'y précipitais. Sans savoir pourquoi, je pensais à Lucifer et à Dieu, le précipitant dans l'Abîme...
Les gémissements qui provenaient de deux mètres plus bas me firent pleurer, m'aveuglèrent jusqu'à ce qu'enfin, les larmes se mettent à couler. Je n'avais plus qu'un levier à abaisser, et tout serait fini.
Le remord rongeait déjà mon esprit, à l'idée de ce qu'il allait endurer. Peut être mourrait-il dans les minutes, les heures, les jours qui allaient suivre. Peut être vivrait il là dessous pour l'éternité, enfermé à jamais.
La douleur que j'avais ressenti, celle de mes proche, valait elle celle que je lui réservais?
En repensant au visage d'Elyse, ma petite sœur, et à toutes ses victimes innocentes, je fus prise de vertige, de nausée, secouée par des spasmes nerveux. Je vomis plusieurs fois...
Abattue par la douleur et la fatigue, je cherchais un appui, sans voir où je mettais les mains. Caprice divin ou du Destin, ma main se posa sur le levier qui commandait le mécanisme de déversement du béton qui tournait dans la bétonnière depuis déjà des heures au bord de la fosse.
Sans que je ne puisse rien y faire, je regardais avec horreur les quatre mètres cubes de ce qui allait devenir une pierre aussi dure que le granit engloutir la pauvre créature en contrebas, l'écrasant sous son poids.
Je m'effondrais sur le sol, le long d'un pilier, hébétée. Je ne sais combien de temps je restais là, sans penser à rien, choquée.
Le ciment avait assez durci pour que je marche dessus lorsque je quittais les lieux, abandonnant tout ce que j'avais préparé depuis une semaine.
Je devais encore me débarrasser de la bétonnière en la précipitant dans le port.
Ce n'est qu'alors que mon corps me trahit, que les courbatures de tous ces efforts se firent ressentir.
Dans les journaux, ils parleraient d'une agression au domicile d'un jeune homme, alors qu'il était accompagné d'une adolescente fugueuse.
D'un jeune homme qui avait disparu depuis lors, et que l'on recherchait activement après avoir découvert chez lui un coffre rempli d'effets personnels appartenant à des adolescentes décédées au cours des deux dernières décennies.
Dans la gazette locale, on pourrait aussi lire le récit d'un entrepreneur de travaux publics au bord du gouffre financier, après la disparition d'une bétonnière chargée, destinée à un chantier de rénovation et de consolidation de la vieille ville d'Immac-sur-Sable qui avait déjà pris beaucoup de retard.
Mais jamais personne ne saurait que quelque part en Enfer, on déclarerait renégat le démon Semaëlon, chevalier d'Andréalphus, pour absence du service actif et désertion.
Personne, sauf moi, seule à connaître l'endroit où il reposait pour toujours, prisonnier d'un bloc de béton. J'étais enfin vengée, et avec moi, toutes ses victimes.
Une vengeance au goût amer, au sentiment d'inachevé.
Ce soir là, c'est une coquille vide qui rentra à Immac, et resta deux heures sous la douche, comme pour que l'eau emporte avec elle cette vie qui désormais n'avait plus lieu d'exister.
Enfin, Valentine pouvait reposer en paix... Peut être.
Seule restait [shadow=red,left][glow=red,2,300]Valkyrja[/glow][/shadow].