Sewers

[Philibert]

Se porter volontaire pour être éclaireur c'est comme sauter en parachute.

D'abord on clame que, ouais tranquille, on va le faire sans problème et d'ailleurs sur le coup on y croit et on frime grave, on se la joue rebel trompe-la-mort, une pure star couvée de regards à la fois apeurés et admiratifs, certains audacieux pourront même tirer leur coup en prétextant que si demain je meurs je ne veux avoir aucun regret.
Naifs petits scarabées...
Car on a beau espérer le contraire de tout son coeur, arrive toujours cet horrible moment où l'on doit assumer ses paroles et les transformer en actes. Et là, mieux vaut avoir pris ses précautions avant de se lancer dans le vide, de s'élancer vers un inconnu qu'au fond et bien, on a pas vraiment envie de connaître. Alors on a plus qu'à serrer les dents et prier pour que ça passe, vite. Bien aussi. Mais surtout, vite.

Philibert commençait donc à avoir des crampes à la mâchoire : ça faisait maintenant deux bonnes grosses minutes qu'il avait devancé le Père Fritz. Il transpirait abondamment, chacun de ses pas lui faisant l'effet d'une chute vertigineuse vers...vers un autre pas et sa propre chute, inexorable descente aux enfers enrobées dans un ensemble de bruits plus crispants les uns que les autres.

Et puis parfois, au détour du complexe d'échelles, chaînes, valves, machines et tout un tas de bordel métallique du même acabit on tombait sur un simple couloir dallé à peine éclairé par une lampiotte en son fond. Le vacarme s'estompait et, pour un temps du moins, le monde extérieur n'était plus rythmé que par le souffle d'une respiration lente et profonde.
Et l'on se sentait seul.
Seul !
Terriblement SEUL !



L'ange s'accrochait à l'unique source de réconfort qu'il put trouver dans ces souterrains : son vieux pote le flingue. A chaque instant il imaginait voir surgir la bête qui s'était attaquée à Ian et l'avait si brutalement lacéré, ce salopard devait certainement être encore dans les parages en attendant son heure, en attendant sa proie. Mais qui serait le véritable chasseur cette fois ?
Perdu dans ses pensées predatoresques, Philibert en oublia paradoxalement de checker le plafond au dessus de la passerelle qu'il venait d'emprunter et il crut un instant qu'un pigeon venait de lui chier sur la tête.

"Bordel, garde ça pour les gars d'en face que je chair-en-pierrise espèce de volatile à la c..."

Non, l'idée qu'un oiseau puisse vivre dans un endroit pareil ne le fit pas tiquer une seule seconde, mais le cadavre qu'il découvrit lorsqu'il leva les yeux le fit tout de même s'arrêter net.
Le mec semblait avoir servi de casse croûte géant à une quelconque race de bestiole infernale dont la dernière mode serait de se parer de belles boots en peau d'humain.
Philibert contempla le machin pendouiller pendant un temps puis il leva le bras pour essayer de l'attraper lorsque, du coin de l'oeil, il vit une ombre bouger et -sa vivacité d'esprit devant être fortement sélective- il tira aussitôt plusieurs fois dans sa direction tout en reculant pour retrouver Fritz qui ne devait plus être très loin à présent.

"MON PERE ! RAMENEZ VOS SAINTES MICHES DANS LE SECTEUR ON A UN INDESIRABLE !"

Le Daniel fit un clin d'oeil à son collègue : y'allait avoir de l'action