02-01-2008, 02:50 AM
Main dans la main, ils se promènent.
Elle, Belle comme le jour, un éclat de perfection sous la pluie londonienne.
Lui, ce que la condition modeste produit de plus tendre. La simplicité et la sincérité d’un amour entier éduqué à coups naïfs de belles histoires matinées d’un désir palpable pour Elle.
Et comme le temps leur fait faux bond, il est déjà temps de se quitter.
Et comme il faut se déchirer par une étreinte aussi pudique que la douce guerre qu’ils se livrent l’un l’autre : ils se déchirent.
Sa main quitte la sienne.
Et à peine a-t-il tourner à l’angle de la rue, qu’elle baisse la tête. Et soupire.
Soudain…A son oreille revient cette vieille mélodie, ce rythme qui avait le goût de l’éternité, ce que ce prodige de mozart pouvait produire de plus éternel.
Elle ouvre le clapet de son portable avec dégoût. Cet appareil ne convient pas à sa nature ancrée profondément dans l’archaïsme.
- Alors ?
- Alors quoi ? répond-elle.
- Il te l’a donné ? dit l’inconnu à la voix tremblante au bout du fil.
- Jezzir, je vais être honnête avec toi mon poussin…Tu m’agaces. Depuis tout ce temps que tu me connais, tu crois vraiment que j’aurais pu échouer à ce jeu là ?
- Mince…
- Je te l’ai dis milles fois : ne paries pas avec moi. Tu sais que tu vas perdre.
- Attends ! Ca ne compte pas Isa’ ! Tu ne l’obtiendras que si il meurt. Et tu devais l’avoir avant minuit. Cette fois tu vas perdre !
- Je te téléphone à minuit.
Elle raccroche, le plus simplement du monde. Ouvrir le clapet pour répondre, le fermer pour couper la conversation.
Isaline se détourne finalement, pour arpenter les rues marchandes de Londres. Elle marche le long des vitrines, ne s’arrêtant que pour regarder une robe trop longue, ou trop chic, une robe trop bleue, une robe trop bête, son visage se juxtaposant par le jeu du reflet au niveau du col de ses mannequins préalablement décapités.
Elle sourit.
Il faut bien passer le temps.
Mais finalement, il lui faut plus de talent que jamais pour ne pas lasser, pour prolonger la partie, pour ne pas tomber dans la facilité, pour le frisson.
Elle regarde sa montre. Une vieille montre à gousset de style victorien, de l’ivoire et de l’argent mêlés avec une certaine habilité.
23H30.
Elle hèle un taxi, tout en l’interpellant de la main.
Montant dans l’engin, elle sourit, une vieille banquette de cuir, un système d’amortisseurs atroces.
- 43 Dillington street. annonce t-elle.
La voiture file à toute allure, dans les rues plus vides qu’à l’accoutumée. Plus vite. Encore plus vite. Elle regarde les lumières des lampadaires défilées, avec un sourire béa gravé sur le visage : la lumière l’émerveille. Et ce n’est pas là, le moindre de ses défauts.
Quand elle arrive, elle compulse de nouveau la montre : 23H45. Elle tend un billet pour la forme. Elle n’en connaît même pas le montant, mais ça devrait suffire.
- Gardez tout…
Elle ajuste son écharpe autour de son cou et regarde l’immeuble de condition modeste, quelques secondes avant de sonner à l’interphone.
- Oui. Dit-il.
- C’est moi. Répond-elle.
Tout se bouleverse dans sa tête. Elle est là. Ô mon amour…Mon bel amour. Son désir est là lui aussi. Et elle est là. Si tard.
Il ouvre.
Elle pousse la porte, et marque d’un bruit sourd le plancher de vieux bois de ses souliers d’écolière. Le quatrième étage.
Il lui faut monter vite. Plus vite. Encore plus vite.
Les escaliers en colimaçon, lui donne le tournis, et elle abat son maigre poing du peu de sa force sur le chêne de la porte, qui déjà s’ouvre.
Il la regarde, mais elle n’ose pas lui renvoyer son regard si lourd d’attentes. Un regard qui donne tant, réclame tellement, et cela lui est désagréable.
Ne voit-il rien venir !?
- Isabelle.
Elle pose une main sur sa bouche sans le regarder.
- Juste Isa. C’est plus honnête.
- Si tu veux.
Ils restent là, l’un et l’autre, avant qu’Isaline ne force le passage d’un coup d’épaule aussi chagrin que mystérieux.
23H50.
Elle se retourne vers lui quand elle est au centre du salon. Entre le canapé et la table basse.
- Ecoute, je…
Et elle lui parle. Elle lui dit les mots qu’il ne veut pas entendre. Jamais.
Il y a des mots orageux, des mots de colère, des insultes.
Et puis il y a les mots qu’elle emploie. Ceux là ne blessent pas. Ils tuent. Plus rien ne ressemble à rien. Quand tout s’écroule, quand tout ce qu’on pensait avoir construit s’effondre, quand on perd la tête, quand on déraisonne…Ces mots là pressent les pires plaies. Alors il repousse, et il hurle ! Et finalement, d’un mouvement trop brusque : il déchire sa robe. Sa belle robe, ni trop chic….Ni trop bleue.
Il n’y a pas d’homme en face d’Isaline, juste la silhouette d’un cliché qu’elle connaît, une figure qu’elle a sculpté pour en arriver à ce moment précis.
A ce 23H55.
A ce moment où il la gifle si fort qu’elle tombe, et qu’elle se cogne la tête sur la table basse en faisant éclater le verre de sa surface.
La folie passe, mais pas l’envoûtement.
Il pensait la perdre de temps en temps, mais jamais pour toujours ! Pas comme ça.
Pourtant voilà, elle ne respire plus. Elle ne bouge plus. Elle n’articule plus les mots les plus doux, et ses lèvres inaccessibles qui ont fait naître tant de souffrance sont déjà ternies par la mort.
Il n’a peur, quand on a tout perdu…Quand on pense avoir tout perdu, On ne connaît pas la peur. Ce qui disparaît c’est l’envie d’exister.
A 23H58…Il se tranche la gorge d’un éclat, d’un reste de cette tempête cristalline au centre de laquelle, elle repose.
Et avant 23H59…
Main dans la main, ils se promènent encore.
Ils se promènent sur ce chemin que l’on emprunte qu’une fois.
Elle, même brisée, reste plus radieuse que le plus beau des jours.
Lui, il a gardé son amour à l’expression si simple et si net. Ce sentiment profond et si envoûtant qui naît d’une condition modeste qui donne plus d’importance aux choses du cœur qu’à celle qu’on ne possède pas, faute de moyen.
Ô mon amour…Mon tendre amour.
Il l’aime encore.
Il l’aime quand son corps gisant, vide de vie est repoussé.
Il l’aime quand, contre nature, elle se redresse ivre d’existence dans un cadavre.
Il l’aime quand il s’écroule sur le tapis du salon, qu’il a tant maculé de son sang.
Elle expulse de ses cheveux les bouts de verre, avant de s’asseoir contre son corps.
Et finalement, Mozart donne une fois de plus toute la mesure de son génie.
- Allo ?
- Alors ?
- Avant minuit.
- Tu mens !
- On parie ?
Mais n’est ce pas le pire piège de vivre en paix pour des amants ? Jacques Brel. -La chanson des vieux amants-
Elle, Belle comme le jour, un éclat de perfection sous la pluie londonienne.
Lui, ce que la condition modeste produit de plus tendre. La simplicité et la sincérité d’un amour entier éduqué à coups naïfs de belles histoires matinées d’un désir palpable pour Elle.
Et comme le temps leur fait faux bond, il est déjà temps de se quitter.
Et comme il faut se déchirer par une étreinte aussi pudique que la douce guerre qu’ils se livrent l’un l’autre : ils se déchirent.
Sa main quitte la sienne.
Et à peine a-t-il tourner à l’angle de la rue, qu’elle baisse la tête. Et soupire.
Soudain…A son oreille revient cette vieille mélodie, ce rythme qui avait le goût de l’éternité, ce que ce prodige de mozart pouvait produire de plus éternel.
Elle ouvre le clapet de son portable avec dégoût. Cet appareil ne convient pas à sa nature ancrée profondément dans l’archaïsme.
- Alors ?
- Alors quoi ? répond-elle.
- Il te l’a donné ? dit l’inconnu à la voix tremblante au bout du fil.
- Jezzir, je vais être honnête avec toi mon poussin…Tu m’agaces. Depuis tout ce temps que tu me connais, tu crois vraiment que j’aurais pu échouer à ce jeu là ?
- Mince…
- Je te l’ai dis milles fois : ne paries pas avec moi. Tu sais que tu vas perdre.
- Attends ! Ca ne compte pas Isa’ ! Tu ne l’obtiendras que si il meurt. Et tu devais l’avoir avant minuit. Cette fois tu vas perdre !
- Je te téléphone à minuit.
Elle raccroche, le plus simplement du monde. Ouvrir le clapet pour répondre, le fermer pour couper la conversation.
Isaline se détourne finalement, pour arpenter les rues marchandes de Londres. Elle marche le long des vitrines, ne s’arrêtant que pour regarder une robe trop longue, ou trop chic, une robe trop bleue, une robe trop bête, son visage se juxtaposant par le jeu du reflet au niveau du col de ses mannequins préalablement décapités.
Elle sourit.
Il faut bien passer le temps.
Mais finalement, il lui faut plus de talent que jamais pour ne pas lasser, pour prolonger la partie, pour ne pas tomber dans la facilité, pour le frisson.
Elle regarde sa montre. Une vieille montre à gousset de style victorien, de l’ivoire et de l’argent mêlés avec une certaine habilité.
23H30.
Elle hèle un taxi, tout en l’interpellant de la main.
Montant dans l’engin, elle sourit, une vieille banquette de cuir, un système d’amortisseurs atroces.
- 43 Dillington street. annonce t-elle.
La voiture file à toute allure, dans les rues plus vides qu’à l’accoutumée. Plus vite. Encore plus vite. Elle regarde les lumières des lampadaires défilées, avec un sourire béa gravé sur le visage : la lumière l’émerveille. Et ce n’est pas là, le moindre de ses défauts.
Quand elle arrive, elle compulse de nouveau la montre : 23H45. Elle tend un billet pour la forme. Elle n’en connaît même pas le montant, mais ça devrait suffire.
- Gardez tout…
Elle ajuste son écharpe autour de son cou et regarde l’immeuble de condition modeste, quelques secondes avant de sonner à l’interphone.
- Oui. Dit-il.
- C’est moi. Répond-elle.
Tout se bouleverse dans sa tête. Elle est là. Ô mon amour…Mon bel amour. Son désir est là lui aussi. Et elle est là. Si tard.
Il ouvre.
Elle pousse la porte, et marque d’un bruit sourd le plancher de vieux bois de ses souliers d’écolière. Le quatrième étage.
Il lui faut monter vite. Plus vite. Encore plus vite.
Les escaliers en colimaçon, lui donne le tournis, et elle abat son maigre poing du peu de sa force sur le chêne de la porte, qui déjà s’ouvre.
Il la regarde, mais elle n’ose pas lui renvoyer son regard si lourd d’attentes. Un regard qui donne tant, réclame tellement, et cela lui est désagréable.
Ne voit-il rien venir !?
- Isabelle.
Elle pose une main sur sa bouche sans le regarder.
- Juste Isa. C’est plus honnête.
- Si tu veux.
Ils restent là, l’un et l’autre, avant qu’Isaline ne force le passage d’un coup d’épaule aussi chagrin que mystérieux.
23H50.
Elle se retourne vers lui quand elle est au centre du salon. Entre le canapé et la table basse.
- Ecoute, je…
Et elle lui parle. Elle lui dit les mots qu’il ne veut pas entendre. Jamais.
Il y a des mots orageux, des mots de colère, des insultes.
Et puis il y a les mots qu’elle emploie. Ceux là ne blessent pas. Ils tuent. Plus rien ne ressemble à rien. Quand tout s’écroule, quand tout ce qu’on pensait avoir construit s’effondre, quand on perd la tête, quand on déraisonne…Ces mots là pressent les pires plaies. Alors il repousse, et il hurle ! Et finalement, d’un mouvement trop brusque : il déchire sa robe. Sa belle robe, ni trop chic….Ni trop bleue.
Il n’y a pas d’homme en face d’Isaline, juste la silhouette d’un cliché qu’elle connaît, une figure qu’elle a sculpté pour en arriver à ce moment précis.
A ce 23H55.
A ce moment où il la gifle si fort qu’elle tombe, et qu’elle se cogne la tête sur la table basse en faisant éclater le verre de sa surface.
La folie passe, mais pas l’envoûtement.
Il pensait la perdre de temps en temps, mais jamais pour toujours ! Pas comme ça.
Pourtant voilà, elle ne respire plus. Elle ne bouge plus. Elle n’articule plus les mots les plus doux, et ses lèvres inaccessibles qui ont fait naître tant de souffrance sont déjà ternies par la mort.
Il n’a peur, quand on a tout perdu…Quand on pense avoir tout perdu, On ne connaît pas la peur. Ce qui disparaît c’est l’envie d’exister.
A 23H58…Il se tranche la gorge d’un éclat, d’un reste de cette tempête cristalline au centre de laquelle, elle repose.
Et avant 23H59…
Main dans la main, ils se promènent encore.
Ils se promènent sur ce chemin que l’on emprunte qu’une fois.
Elle, même brisée, reste plus radieuse que le plus beau des jours.
Lui, il a gardé son amour à l’expression si simple et si net. Ce sentiment profond et si envoûtant qui naît d’une condition modeste qui donne plus d’importance aux choses du cœur qu’à celle qu’on ne possède pas, faute de moyen.
Ô mon amour…Mon tendre amour.
Il l’aime encore.
Il l’aime quand son corps gisant, vide de vie est repoussé.
Il l’aime quand, contre nature, elle se redresse ivre d’existence dans un cadavre.
Il l’aime quand il s’écroule sur le tapis du salon, qu’il a tant maculé de son sang.
Elle expulse de ses cheveux les bouts de verre, avant de s’asseoir contre son corps.
Et finalement, Mozart donne une fois de plus toute la mesure de son génie.
- Allo ?
- Alors ?
- Avant minuit.
- Tu mens !
- On parie ?
Mais n’est ce pas le pire piège de vivre en paix pour des amants ? Jacques Brel. -La chanson des vieux amants-