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Cantique de nos peines
#5
18 janvier 2008
Paris

"Malheur, mon grand laboureur,
Malheur, assieds-toi,
Repose-toi,
Reposons-nous un peu toi et moi,
Repose,
Tu me trouves, tu m'éprouves, tu me le
prouve.
Je suis ta ruine."
Henri Michaux


Nous n’avons pas rêvées depuis des éternités. La nuit n’est qu’un halo lourd et sombre qui nous enveloppe et nous consomme de son ombre. Le sommeil n’est qu’une chape de plomb qui s’abat sur nos heures de veille, nous les vole et les offre aux ennemis déclarés du soleil.

Mais cette nuit, étrange… Nous nous sommes perdues dans un rêve argenté. Nos yeux se sont fermés, et, nous avons sombrées…
Nous errions dans les champs à cadavres de Vauboyen. La terre soupirait, et chaque expiration donnait naissance à une ombre.... C’est si beau de voir la terre enfanter ces fabuleux fantômes. Comme si la respiration d’une planète offrait la possibilité d’un être.
Et nous avancions, pur esprit parmi ces figures immobiles. Derrières nous, Lilith, Aude et Sarha, trois pauvres corps sans âmes, simples pantins dépendants de notre volonté.
La Lune nous suivait, évoluant lentement, avec ce regard bienveillant et triste qu’elle pose sur ceux qu’elle sait être de ses enfants. Il n’y avait comme bruit que les souffles du sol créateur, ses murmures, ses frissonnements, toutes ces petites prières.
A l’instant même où nous trouvions notre route, le Vent a senti notre présence. Il balayait les étendues rases, menaçant de disperser notre âme froissée. C’est alors qu’est arrivé le vertige. Réintégrer un corps, s’écrouler dans le chemin boueux, s’agripper de toutes ses forces dans l’espoir que cette spirale va quitter notre tête. Cela fait si mal…

Puis le vent a disparu. Le cyclone sous notre crane s’est dissipé. Les lieux avaient changés. Ici, plus de fantômes, plus de paysages usés. Mais la mer partout, à volonté. Un vrai, un bel havre de paix. Sur un panneau ensoleillé, on pouvait lire : « Baie des Anges ». Le nom était bien choisit, on se serait cru au Paradis. Sur un muret de pierre, un moine était assis, qui lisait son bréviaire. Nous ne distinguions que son dos maigre, sa bure grossière et une épaisse ceinture de corde. Son visage nous était caché par la capuche de son habit. Puis il a prit la parole, ce vieil homme. Sa voix fanée s’envolait, et nous avons eu la plus grande des peines à saisir les mots quant ils passaient. L’un d’eux s’est noyé, l’autre s’est accroché au mât d’un petit voilier. Mais en les disposant sur le muret, nous avons réussit à les assembler : « L’… a fait de vous une telle folle… Prenez conscience, et vous …enfin à faire preuve de sagesse. » Nous avons essayé de les articuler, pour demander les mots égarés au pieu religieux. Nous n’aurions pas dû. Ce son fugace salit le silence. Et le vent retrouva notre trace.
De nouveau la tornade, de nouveau ce choc rugueux, étendue au sol. Et du sable, dans la bouche, dans les yeux, à en mourir étouffé, comme pour nous punir d’avoir visité ce lieu sacré, comme pour nous châtier d’avoir violé ce silence imposé.

C’est au sommet d’une montagne que nous nous sommes relevées. Seules… Les filles s’étaient évaporées. Nous n’avions nul autre choix pour descendre que de nous jeter dans le vide, et de nous envoler. Nous nous sommes jetées. Nos ailes disloquées ne se sont pas déployées. Rien de plus triste qu’un ange blessé, et qui sur terre va s’écraser. La chute a duré si longtemps. Nous avons pu tout ressentir, même notre éveil. Et de notre gorge se sont élevés les doux sanglots d’une âme qui souffre, mais qui n’éprouve pas de repentir.
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