01-09-2008, 01:16 PM
Les Temps Modernes.
Dans le caisson, le mouvement n’existe plus, la sensation n’existe plus, la vision n’existe plus, l’odeur n ‘existe plus, le gout n’existe plus.
Plus rien n’existe plus? Paradoxe de la non existence des choses qu’il se garde de trancher, assis dans la même position depuis des semaines, attaché, camisolé, masqué, dans l’utérus d’un monde moderne d’où il nait encore et encore.
Attendre et ne pas craquer.
Le temps n’existe plus. Dans la boite, les secondes sont des jours et les siècles une misérable poignée de minutes. Il ne sait plus. Depuis combien de temps est il la? Mais le temps n’existe plus.
Le sommeil n’existe plus, ou presque. Ses paupière se ferment, pour quelques secondes, quelques minutes, quelques heures, avant que la sirène n’hurle et que le flash ne se déclenche. La chaleur monte, la boite tremble, l’espace gèle, la boite tremble, puis plus rien.
Au début, il s’urinait dessus, pour la chaleur et l’odeur, pur plaisir. Ensuite, il fit semblant de dormir, pour l’alarme, mais ça n’a plus d’importance. Maintenant, il s’endort sans calcul, des qu’il le peut.
Isolation sensorielle.
Et des dalles froides sur lesquelles on le trainait, inlassablement, alors que les yeux rougis et vagues, il contemplait l’océan de lumière aveuglante et halogène qui lui paraissait à chaque fois un peu plus hallucinogène, quand il y voyait danser des formes espiègles et chuchotantes.
Il glissait sur le sol sans aucune résistance. Il avait essayé au début. Il avait appris que les dalles étaient lisses, froides et dures.
Crane craque pas moi. Crane craque pas moi.
Elles aussi lui murmuraient à l’oreille lorsque son front venait à cogner dessus, choc total et sourd, quand un des deux hommes prenait sa tête pour l’y lancer comme une comète. Il avait l’esprit en orbite, à s’extasier devant la mare rougie, aqueuse et chaude qui se répandait alors sur la surface plane de son horizon visuel.
Et cette odeur cuivrée. Comme une envie de se rouler dans la flaque de sensations qui s’étalait de son crâne, lui rappelant sa propre existence. Mais la traction reprenait toujours rapidement, le réduisant à la contemplation béate du sillon vermeille tracé sur son chemin. La ligne rougeatre ne serait plus la à son retour, le couloir serait blanc, le caisson propre, encore.
Une ligne de force.
Ne pas craquer.
La nouvelle hygiène du prisonnier modèle est une idée d’origine soviétique. Trouvant ses racines dans les glorieuses années d’une révolution aussi rouge que le sang qu’il aimait voir se répandre de son crâne, elle avait été définies par des ogres fantasques aux uniformes brillants, aux nombreuses médailles et à l’air patibulaire. Ils avaient cogité, pesé, soupesé et finalement décidé d‘une seule et unique voix lourdement chargée de vodka, et qui aimait à rouler les R.
Le prisonnier moderne serait propre. Aussi aurait il droit à une douche dix à douze fois par jour, cadeau gracieux du petit père des peuples nettoyés.
Son corps glissait toujours sur des dalles aussi lisses que celle du couloir, tiré par une bête de somme au crâne rasé. Avec d’infinies précautions et une méthode millimétrée, on lui enleva la camisole avant de lui mettre les chaines. Jolie lignes d’acier reliés à un plafond-plan dans l’espace défini de son calvaire aseptisé.
Et puis les jets commençaient. Cinquante à soixante degrés durant 2 minutes, puis un degré, puis de nouveau cinquante à soixante durant un cycle total de 30 minutes.
Les premiers lui brulaient horriblement la peau, les deuxièmes le frappaient durement, les chocs thermiques se succédaient les uns aux autres.
Chaud.
Froid.
Chaud.
Froid.
Chaud.
Froid.
Ne pas craquer.
On le laissait sécher la une dizaine de minutes, pendu à ses entraves, avant de le détacher en inversant la méthode et les gestes qui l’avaient placé la.
Et de nouveau, les mains du colosse enserraient ses chevilles, et il glissait. Glissait.
Chaud.
Froid.
La lumière encore. Du spot cette fois, posé sur la table du verre et braqué sur ses yeux. Derrière, des ombres se dessinent et dansent. Il n’en reconnu qu’une, celle de l’aimable vieillard, paisiblement assis sur une chaise à bascule, et qui doucement balance en fumant un havane.
Interrogatoire sans question.
Le vieux parle et détaille. Opération, membres de la mission, buts avoués, contacts, préparations. Sa voix grave et douce le berce lui. Parfois il s’endort.
Interrogatoire sous tension.
Quand les volts viennent et volent, et que lui se réveille, arqué, la mâchoire serrée par une main invisible, les yeux grands ouverts, durant de longues secondes. Puis, dans un soupir, il s’affaisse et retombe sur le siège, hagard. Aucun geste des occupants de la pièce, aucune activation de dispositif. Même les manifestations du courant sont ignorées, comme si la chaise n’était pas électrique, comme si il n’était pas torturé, comme si plus rien n’était réel.
Ne pas craquer.
Son « interrogateur » ne s’arrête jamais de parler. Ton suave, mélopée enveloppante. Dans l’interrogatoire moderne, personne ne force le prisonnier à parler.
Il parle de lui-même.
Parfois, le vieux s’arrête et, expirant un nuage de fumée Castriste, le regarde avec compassion. Il l’appelle par son prénom, familièrement, le plaint et parle de lui. Le juge a une maison, une femme, deux enfants, un chien, et adore le tango. Il a de plus une passion développée pour les maquettes d’avions.
Pur mensonge. Coup de Jarnac. Le juge doit probablement aimer les avions autant que de ramasser les merdes d’un chien inexistant.
Ne pas craquer.
Mais la voix résonne et résonne encore, sirupeuse. Lui, son esprit vagabonde, il parle aux murs, a des angles improbables, il se détache de son corps et des limites de l’existence pour contempler des réalités complexes défiant la logique humaine. Des spirales rectilignes dansent devant ses yeux.
Et parfois, sa parole s’égare du coté de sa langue, et il crève d’envie de parler pour crever enfin, retourner chez lui, la bas. En enfer. Un enfer humain, ou on sent, on souffre, on voit, on touche.
Mais il se retient toujours.
Ne pas craquer.
Tenir encore, quelques secondes, quelques minutes, quelques heures. Tenir pour tenir. Fermement retranché dans le donjon de son propre esprit, à l’abri. Les fondations lézardent, les murs se fendillent, mais rien n’est perdu.
Ils finiront bien par se lasser.
Ne pas craquer.
Quote:L’espace.
Vide, silencieux, restreint, clinique. Le cercueil de la vie mesure exactement deux mètres de long, un mètre de large, et un mètre de hauteur. Dimensions parfaites, lignes droites, surfaces lisses, œuvre d’art.
Le temps ne s’y écoule pas , ne s’y écoule plus, stoppé net dans son implacable avancée par la science triomphante d’une époque nouvelle.
Le calme absolu, l’absence totale. Insonorisation, désodorisation, obscurité, immobilité.
Dans ce nouvel espace, les attentes de l’homme peuvent être redéfinie sans contraintes, libérées des entraves empiriques de la sensation. Ici, l’image trompeuse de l’intelligible ne danse pas sous les yeux du résident platonicien. Ici, il n’y a rien.
Isolation.
Dans le caisson, le mouvement n’existe plus, la sensation n’existe plus, la vision n’existe plus, l’odeur n ‘existe plus, le gout n’existe plus.
Plus rien n’existe plus? Paradoxe de la non existence des choses qu’il se garde de trancher, assis dans la même position depuis des semaines, attaché, camisolé, masqué, dans l’utérus d’un monde moderne d’où il nait encore et encore.
Attendre et ne pas craquer.
Le temps n’existe plus. Dans la boite, les secondes sont des jours et les siècles une misérable poignée de minutes. Il ne sait plus. Depuis combien de temps est il la? Mais le temps n’existe plus.
Le sommeil n’existe plus, ou presque. Ses paupière se ferment, pour quelques secondes, quelques minutes, quelques heures, avant que la sirène n’hurle et que le flash ne se déclenche. La chaleur monte, la boite tremble, l’espace gèle, la boite tremble, puis plus rien.
Au début, il s’urinait dessus, pour la chaleur et l’odeur, pur plaisir. Ensuite, il fit semblant de dormir, pour l’alarme, mais ça n’a plus d’importance. Maintenant, il s’endort sans calcul, des qu’il le peut.
Isolation sensorielle.
Quote:Le couloir.
Une ligne de force. Voila ce que doit être un couloir: une ligne de force. Nombre sont les architectes qui, dans leurs lubies diverses, ont cru bon de doter le couloir de fantaisie inutiles, de formes alambiquées, de décorations hors de propos. Voir de fenêtres.
Couloirs de palais, de maisons, meublés, décorés, peintures, tapisserie, tapis, parquet, lustre, clinches, horreurs inutiles vouées au culte du superflu.
Fi de tout cela. Droit, net, dépouillé. Eclairage intense, murs blancs, portes invisibles, le couloir se doit d’être réduit à son essence première: chemin entre un point A et un point B.
Mathématique. La société actuelle doit simplifier ses mécanismes et cerner ses besoins avec exactitude pour se détacher du non-indispensable.
Conceptualisation productiviste.
Et des dalles froides sur lesquelles on le trainait, inlassablement, alors que les yeux rougis et vagues, il contemplait l’océan de lumière aveuglante et halogène qui lui paraissait à chaque fois un peu plus hallucinogène, quand il y voyait danser des formes espiègles et chuchotantes.
Il glissait sur le sol sans aucune résistance. Il avait essayé au début. Il avait appris que les dalles étaient lisses, froides et dures.
Crane craque pas moi. Crane craque pas moi.
Elles aussi lui murmuraient à l’oreille lorsque son front venait à cogner dessus, choc total et sourd, quand un des deux hommes prenait sa tête pour l’y lancer comme une comète. Il avait l’esprit en orbite, à s’extasier devant la mare rougie, aqueuse et chaude qui se répandait alors sur la surface plane de son horizon visuel.
Et cette odeur cuivrée. Comme une envie de se rouler dans la flaque de sensations qui s’étalait de son crâne, lui rappelant sa propre existence. Mais la traction reprenait toujours rapidement, le réduisant à la contemplation béate du sillon vermeille tracé sur son chemin. La ligne rougeatre ne serait plus la à son retour, le couloir serait blanc, le caisson propre, encore.
Une ligne de force.
Quote:La Douche.
Avancée primordiale de l‘hygiène individuelle, familiale et sociale, la douche est une révolution majeure que l‘homme nouveau se doit de ne pas négliger. Temple de la propreté et de la salubrité, elle est un élément indispensable de l‘espace individuel normatif.
Cependant, l‘ingéniosité contemporaine, néanmoins respectueuse des règles et des normes établies, n‘a pas manqué d’en créer des variantes adaptées aux espaces, situations et utilisations.
L‘une d‘elle retiendra plus particulièrement notre attention: la douche écossaise. Tirant son nom de cette contrée d‘Outre Manche bien connue, elle consiste à varier eau froide et eau chaude pour stimuler la circulation sanguine et tonifier son utilisateur.
Application alliant santé et hygiène corporelle. Optimisation des capacités.
Ne pas craquer.
La nouvelle hygiène du prisonnier modèle est une idée d’origine soviétique. Trouvant ses racines dans les glorieuses années d’une révolution aussi rouge que le sang qu’il aimait voir se répandre de son crâne, elle avait été définies par des ogres fantasques aux uniformes brillants, aux nombreuses médailles et à l’air patibulaire. Ils avaient cogité, pesé, soupesé et finalement décidé d‘une seule et unique voix lourdement chargée de vodka, et qui aimait à rouler les R.
Le prisonnier moderne serait propre. Aussi aurait il droit à une douche dix à douze fois par jour, cadeau gracieux du petit père des peuples nettoyés.
Son corps glissait toujours sur des dalles aussi lisses que celle du couloir, tiré par une bête de somme au crâne rasé. Avec d’infinies précautions et une méthode millimétrée, on lui enleva la camisole avant de lui mettre les chaines. Jolie lignes d’acier reliés à un plafond-plan dans l’espace défini de son calvaire aseptisé.
Et puis les jets commençaient. Cinquante à soixante degrés durant 2 minutes, puis un degré, puis de nouveau cinquante à soixante durant un cycle total de 30 minutes.
Les premiers lui brulaient horriblement la peau, les deuxièmes le frappaient durement, les chocs thermiques se succédaient les uns aux autres.
Chaud.
Froid.
Chaud.
Froid.
Chaud.
Froid.
Ne pas craquer.
On le laissait sécher la une dizaine de minutes, pendu à ses entraves, avant de le détacher en inversant la méthode et les gestes qui l’avaient placé la.
Et de nouveau, les mains du colosse enserraient ses chevilles, et il glissait. Glissait.
Chaud.
Froid.
Quote:Le Bureau.
Le temple inviolable du travail et de la productivité. Son agencement se doit d’être définit selon des normes strictes et claires, espaces par espaces, spécificités par spécificités, afin d’en optimiser les capacités.
Référence familiale bannie, décoration bannie, superflu banni. Plantes? Bannies. Chaise épurée, bureau minimaliste, acier et plexiglas.
Assis en perfection, le travailleur doit pouvoir jouir d’une totale concentration sur la tâche effectuée, sans subir agressions ou distractions de souvenir anarchiques et émotionnels risquant de venir perturber son labeur.
Le bureau n’est pas un lieu. C’est une machine. Ses occupants? Des rouages.
Mécanique Stakhanoviste.
La lumière encore. Du spot cette fois, posé sur la table du verre et braqué sur ses yeux. Derrière, des ombres se dessinent et dansent. Il n’en reconnu qu’une, celle de l’aimable vieillard, paisiblement assis sur une chaise à bascule, et qui doucement balance en fumant un havane.
Interrogatoire sans question.
Le vieux parle et détaille. Opération, membres de la mission, buts avoués, contacts, préparations. Sa voix grave et douce le berce lui. Parfois il s’endort.
Interrogatoire sous tension.
Quand les volts viennent et volent, et que lui se réveille, arqué, la mâchoire serrée par une main invisible, les yeux grands ouverts, durant de longues secondes. Puis, dans un soupir, il s’affaisse et retombe sur le siège, hagard. Aucun geste des occupants de la pièce, aucune activation de dispositif. Même les manifestations du courant sont ignorées, comme si la chaise n’était pas électrique, comme si il n’était pas torturé, comme si plus rien n’était réel.
Ne pas craquer.
Son « interrogateur » ne s’arrête jamais de parler. Ton suave, mélopée enveloppante. Dans l’interrogatoire moderne, personne ne force le prisonnier à parler.
Il parle de lui-même.
Parfois, le vieux s’arrête et, expirant un nuage de fumée Castriste, le regarde avec compassion. Il l’appelle par son prénom, familièrement, le plaint et parle de lui. Le juge a une maison, une femme, deux enfants, un chien, et adore le tango. Il a de plus une passion développée pour les maquettes d’avions.
Pur mensonge. Coup de Jarnac. Le juge doit probablement aimer les avions autant que de ramasser les merdes d’un chien inexistant.
Ne pas craquer.
Mais la voix résonne et résonne encore, sirupeuse. Lui, son esprit vagabonde, il parle aux murs, a des angles improbables, il se détache de son corps et des limites de l’existence pour contempler des réalités complexes défiant la logique humaine. Des spirales rectilignes dansent devant ses yeux.
Et parfois, sa parole s’égare du coté de sa langue, et il crève d’envie de parler pour crever enfin, retourner chez lui, la bas. En enfer. Un enfer humain, ou on sent, on souffre, on voit, on touche.
Mais il se retient toujours.
Ne pas craquer.
Tenir encore, quelques secondes, quelques minutes, quelques heures. Tenir pour tenir. Fermement retranché dans le donjon de son propre esprit, à l’abri. Les fondations lézardent, les murs se fendillent, mais rien n’est perdu.
Ils finiront bien par se lasser.
Ne pas craquer.