12-11-2007, 12:35 PM
Il la fit pénétrer dans la salle du tribunal à proprement parler. La première sensation fut celle d’un vertige tant les murs semblaient hauts. Si le hall avait été austère, cet endroit était pire. Aucune fierté n’aurait empêchée Catherine de se sentir intimidée alors qu’elle s’avançait sous le regard sévère des deux anges déjà installés.
- Vous êtes en retard, Etienne.
- Et vous êtes bien pressée, sœur Henriette. Le procès n’allait pas commencer sans la principale intéressée. Miss Hermary, rejoins donc le box.
Deux petites marches conduisaient à la minuscule estrade placée au milieu de la pièce et qui constituait un box sommaire. Bien qu’il y eût quelques places de libres, on pouvait noter l’absence de jurés, ou même d’un public. Etienne alla se placer entre ses deux confrères. Plus loin, un autre ange ne semblait occupé que par la prise de notes.
C’est le marteau d’Henriette qui annonça le début de la session.
- Accusée Catherine Hermary, les charges retenues contre toi sont les suivantes : Crime d’inceste au second degré, perte de la foi et suicide.
- Nous demandons la déportation sans délai, continua une voix sèche appartenant à un ange aux yeux gris semi-clos.
Catherine observa celui qui lui était d’ores et déjà le plus hostile. Son regard anthracite l’observait en retour avec une dureté qui n’était pas sans lui rappeler celle paternelle lorsqu’elle était une source de déception. Bien que ne présentant pas une figure particulièrement juvénile, ce juge-ci était d’une beauté toute particulière, presque solennelle, peut-être à cause de ses longs cheveux lisses ivoirins.
C’est vers lui qu’elle se tourna pour plaider sa cause.
- Votre Grâce ! Si fautive je suis, ce n’est pas d’avoir un jour perdu la foi ! Je n’ai jamais renié Dieu, et, même dans l’obscurité, je n’ai cessé de m’en remettre à lui…
- Balivernes ! coupa Henriette. Comment peux-tu oser proférer cela alors que tes actes parlent contre toi ?
- J’ai aimé de manière sacrilège, mais pas sans conscience de ma faute.
- Pourquoi avoir fauté ?
- Je… ne sais pas. C’est mon frère, et il est tout ce que j’ai.
- Tu aurais pu entrer dans les ordres ! s’exclama Henriette.
- Le repousser.
- Prendre un amant, suggéra Etienne.
Henriette et le juge aux cheveux blancs se tournèrent vers ce dernier. Sa défense se résuma à un mouvement d’épaule.
- Je ne faisais que me mettre dans l’état d’esprit d’une adolescente.
- Votre Grâce, il ne s’agissait pas de ce genre de…
Catherine était à présent à la torture. Parler d’un tel sujet la mortifiait au plus profond de son âme.
- De ce genre de choses. J’ai pour mon frère un amour sincère, jamais je ne me serais livrée ainsi à un autre.
- Peux-tu nous expliquer les vertus qu’il avait à tes yeux ?
La question d’Henriette fit naître un sourire simple et spontané sur le visage de Catherine. Avait-elle connu de meilleure personne que Caleb ? Son frère avait toujours été attentionné et s’étaient tissés entre eux des liens qu’il aurait été vain d’expliquer. Si elle n’avait du garder qu’une seule certitude, c’est qu’il aurait toujours tout offert pour elle.
Et puis il était ce miroir qu’il lui assurait qu’elle ne connaîtrait jamais la solitude. D’elle, il partageait la soie d’une chevelure dorée, ainsi que la brillance d’yeux émeraude.
Pourtant il était mort avant elle, et, avec lui, s’était évaporé l’espoir d’une vie à ses côtés. Elle aurait pu se satisfaire d’un mariage, pourvu qu’ils puissent se retrouver. Elle aurait supporté de le savoir aux côtés d’une autre femme, à la condition qu’elle ne le tienne pas éloigné.
Sa mort avait été pire que tout.
Plus que le fantôme de son frère chéri, c’était celui de la solitude qui avait brisé ses dernières défenses.
Caleb avait toujours eu cette vitalité qui avait su combler tous les vides de son quotidien. Mais ce n’était pas tout.
- Il était bon. Juste, loyal et courageux, je n’ai pas connu de meilleur homme.
Les juges laissèrent un silence s’installer, et avec lui, Catherine sentit naître une inquiétude insolite. Elle ne comprenait pas la signification de ces mines graves. C’est le regard d’Etienne qui acheva de l’alerter.
- Mon frère est-il passé devant ce tribunal ?
L’ange blanc au regard de roche répondit.
- Il a été jugé et condamné.
- Aux Enfers, acheva Henriette alors qu’elle redressait son menton.
Le regard perdu de Catherine allait de l’un à l’autre à la recherche du moindre indice signifiant que tout ceci n’était qu’une horrible farce. Si Henriette souriait avec satisfaction, Etienne restait sur la réserve. Ses doigts jouèrent un instant sur le dossier posé devant lui et qui devait contenir tous les détails de la vie trop courte de la jeune femme.
- Il a renié Dieu, annonça-t-il.
- … Non… non.
Ses petites dents de perle mordaient déjà avec violence sa lèvre. Elle voulait hurler que c’était impossible, que son frère avait toujours été un bon chrétien.
Mais elle savait.
Son cœur avait l’assurance d’une déchirure que son esprit rejetait avec autant de force qu’elle en était encore capable. Elle était morte une première fois lorsque son père lui avait annoncé le départ de Caleb. Un second coup mortel lui avait été porté en apprenant sa mort.
Le destin devait-il la condamner par trois fois, elle qui s’était tenu vierge de tous crimes hormis celui pour lequel elle se tenait à présent debout et tremblante, prête à affronter son dernier jugement ?
- À ce stade, il te serait facile de le rejoindre. Tu as fait le premier pas en mettant fin à tes jours.
- Je ne voulais pas ! Je… ne le laissez pas subir les tourments de l’enfer. Par pitié.
- Il a choisi.
- De son plein gré, insista Henriette.
- Même son pardon miséricordieux n’y peut rien.
- Si je vais en enfer, sera-t-il sauvé ?
- Non.
- Tu seras près de lui.
- Renonces-tu à Dieu ?
Ce choix lui semblait odieux et incompréhensible. Il lui était inimaginable de devenir apostat comme elle était prête à toutes les punitions que jugerait bon le ciel pour sa conduite terrestre qui au fond n’avait mené à rien d’autre qu’à la perte physique et spirituelle de son bien-aimé.
La pire des culpabilités la rongeait et l’empêchait de répondre.
- Renonces-tu ? demanda à nouveau l’ange blanc avec une froideur mordante.
- Comment pourrais-je ? implora Catherine. Laissez-moi le voir, je pourrais le convaincre de retourner vers la lumière. Vos Grâces, je le promets !
- Jamais.
La voix de l’ange avait été comme une foudre.
- J’ai peut-être une solution.
Henriette adressa une moue maussade à Etienne qui continua toutefois sur sa lancée.
- Renonce à ton frère.
- Cela l’aidera-t-il ?
- Plus que de nourrir une affection qui l’a fait tomber si bas.
- Est-ce que cela signifie que je ne pourrai plus jamais le voir ?
- Au contraire, si tu renonces à lui, Hermary, je suis certain que nous te laisserons le rencontrer, ainsi tu auras de nombreuses occasions de le convaincre de son erreur.
Elle n’en croyait pas ses oreilles. Le visage impénétrable de l’ange blanc ne l’aidait pas à décider si la proposition d’Etienne était réellement sérieuse. Mais la proposition était là, elle ne pouvait la laisser passer.
- J’accepte. Je… renonce à l’amour que je porte à mon frère. Qu’Il nous pardonne nos offenses.
À peine ces derniers mots prononcés, une douleur la fulgura. Catherine mourrut pour la troisième et dernière fois.
Les trois juges s’étaient retrouvés dans le petit salon qui tenait lieu la plupart du temps de conciliabule. Henriette était la plus marquée par la fatigue. Etienne, quant à lui, ne se défaisait pas d’un air supérieur. Après tout, le jugement avait été quasiment mené par lui et il pouvait s’estimer satisfait. Celui aux yeux gris se contentait de boire un café brûlant.
- Vous êtes un monstre, Etienne, lâcha Henriette d’un ton las.
- Tiens donc, et depuis quand ?
- Vous savez qu’elle ne sera jamais admise au service des conversions. Je vous connais, vous y veillerez personnellement.
- Bien sûr, prendre un risque c’est déjà faillir.
L’ange blanc reposa sa tasse de café.
- Elle servira Sa Justice.
- Comment pouvez-vous en être certain ? questionna Etienne avec un léger signe d’agacement.
- De la même façon que je connaissais son choix avant qu’elle le prononce.
Henriette et Etienne échangèrent un bref regard. Bien qu’ils ne se mettaient jamais d’accord sur les mêmes sujets, ils savaient convenir des moments où l’Administration leur cachait des choses.
- Ses voies sont impénétrables, conclu-t-il
Etienne adressa un dernier regard pensif du côté de l’ange blanc. Malgré tout, il ne pouvait pas s’empêcher de le trouver un peu trop sûr de lui. Il garda sa grimace et se contenta d’afficher un sourire. Après tout l’idée n’était pas mauvaise, il aurait bien un jour besoin d’une stagiaire.
- Vous êtes en retard, Etienne.
- Et vous êtes bien pressée, sœur Henriette. Le procès n’allait pas commencer sans la principale intéressée. Miss Hermary, rejoins donc le box.
Deux petites marches conduisaient à la minuscule estrade placée au milieu de la pièce et qui constituait un box sommaire. Bien qu’il y eût quelques places de libres, on pouvait noter l’absence de jurés, ou même d’un public. Etienne alla se placer entre ses deux confrères. Plus loin, un autre ange ne semblait occupé que par la prise de notes.
C’est le marteau d’Henriette qui annonça le début de la session.
- Accusée Catherine Hermary, les charges retenues contre toi sont les suivantes : Crime d’inceste au second degré, perte de la foi et suicide.
- Nous demandons la déportation sans délai, continua une voix sèche appartenant à un ange aux yeux gris semi-clos.
Catherine observa celui qui lui était d’ores et déjà le plus hostile. Son regard anthracite l’observait en retour avec une dureté qui n’était pas sans lui rappeler celle paternelle lorsqu’elle était une source de déception. Bien que ne présentant pas une figure particulièrement juvénile, ce juge-ci était d’une beauté toute particulière, presque solennelle, peut-être à cause de ses longs cheveux lisses ivoirins.
C’est vers lui qu’elle se tourna pour plaider sa cause.
- Votre Grâce ! Si fautive je suis, ce n’est pas d’avoir un jour perdu la foi ! Je n’ai jamais renié Dieu, et, même dans l’obscurité, je n’ai cessé de m’en remettre à lui…
- Balivernes ! coupa Henriette. Comment peux-tu oser proférer cela alors que tes actes parlent contre toi ?
- J’ai aimé de manière sacrilège, mais pas sans conscience de ma faute.
- Pourquoi avoir fauté ?
- Je… ne sais pas. C’est mon frère, et il est tout ce que j’ai.
- Tu aurais pu entrer dans les ordres ! s’exclama Henriette.
- Le repousser.
- Prendre un amant, suggéra Etienne.
Henriette et le juge aux cheveux blancs se tournèrent vers ce dernier. Sa défense se résuma à un mouvement d’épaule.
- Je ne faisais que me mettre dans l’état d’esprit d’une adolescente.
- Votre Grâce, il ne s’agissait pas de ce genre de…
Catherine était à présent à la torture. Parler d’un tel sujet la mortifiait au plus profond de son âme.
- De ce genre de choses. J’ai pour mon frère un amour sincère, jamais je ne me serais livrée ainsi à un autre.
- Peux-tu nous expliquer les vertus qu’il avait à tes yeux ?
La question d’Henriette fit naître un sourire simple et spontané sur le visage de Catherine. Avait-elle connu de meilleure personne que Caleb ? Son frère avait toujours été attentionné et s’étaient tissés entre eux des liens qu’il aurait été vain d’expliquer. Si elle n’avait du garder qu’une seule certitude, c’est qu’il aurait toujours tout offert pour elle.
Et puis il était ce miroir qu’il lui assurait qu’elle ne connaîtrait jamais la solitude. D’elle, il partageait la soie d’une chevelure dorée, ainsi que la brillance d’yeux émeraude.
Pourtant il était mort avant elle, et, avec lui, s’était évaporé l’espoir d’une vie à ses côtés. Elle aurait pu se satisfaire d’un mariage, pourvu qu’ils puissent se retrouver. Elle aurait supporté de le savoir aux côtés d’une autre femme, à la condition qu’elle ne le tienne pas éloigné.
Sa mort avait été pire que tout.
Plus que le fantôme de son frère chéri, c’était celui de la solitude qui avait brisé ses dernières défenses.
Caleb avait toujours eu cette vitalité qui avait su combler tous les vides de son quotidien. Mais ce n’était pas tout.
- Il était bon. Juste, loyal et courageux, je n’ai pas connu de meilleur homme.
Les juges laissèrent un silence s’installer, et avec lui, Catherine sentit naître une inquiétude insolite. Elle ne comprenait pas la signification de ces mines graves. C’est le regard d’Etienne qui acheva de l’alerter.
- Mon frère est-il passé devant ce tribunal ?
L’ange blanc au regard de roche répondit.
- Il a été jugé et condamné.
- Aux Enfers, acheva Henriette alors qu’elle redressait son menton.
Le regard perdu de Catherine allait de l’un à l’autre à la recherche du moindre indice signifiant que tout ceci n’était qu’une horrible farce. Si Henriette souriait avec satisfaction, Etienne restait sur la réserve. Ses doigts jouèrent un instant sur le dossier posé devant lui et qui devait contenir tous les détails de la vie trop courte de la jeune femme.
- Il a renié Dieu, annonça-t-il.
- … Non… non.
Ses petites dents de perle mordaient déjà avec violence sa lèvre. Elle voulait hurler que c’était impossible, que son frère avait toujours été un bon chrétien.
Mais elle savait.
Son cœur avait l’assurance d’une déchirure que son esprit rejetait avec autant de force qu’elle en était encore capable. Elle était morte une première fois lorsque son père lui avait annoncé le départ de Caleb. Un second coup mortel lui avait été porté en apprenant sa mort.
Le destin devait-il la condamner par trois fois, elle qui s’était tenu vierge de tous crimes hormis celui pour lequel elle se tenait à présent debout et tremblante, prête à affronter son dernier jugement ?
- À ce stade, il te serait facile de le rejoindre. Tu as fait le premier pas en mettant fin à tes jours.
- Je ne voulais pas ! Je… ne le laissez pas subir les tourments de l’enfer. Par pitié.
- Il a choisi.
- De son plein gré, insista Henriette.
- Même son pardon miséricordieux n’y peut rien.
- Si je vais en enfer, sera-t-il sauvé ?
- Non.
- Tu seras près de lui.
- Renonces-tu à Dieu ?
Ce choix lui semblait odieux et incompréhensible. Il lui était inimaginable de devenir apostat comme elle était prête à toutes les punitions que jugerait bon le ciel pour sa conduite terrestre qui au fond n’avait mené à rien d’autre qu’à la perte physique et spirituelle de son bien-aimé.
La pire des culpabilités la rongeait et l’empêchait de répondre.
- Renonces-tu ? demanda à nouveau l’ange blanc avec une froideur mordante.
- Comment pourrais-je ? implora Catherine. Laissez-moi le voir, je pourrais le convaincre de retourner vers la lumière. Vos Grâces, je le promets !
- Jamais.
La voix de l’ange avait été comme une foudre.
- J’ai peut-être une solution.
Henriette adressa une moue maussade à Etienne qui continua toutefois sur sa lancée.
- Renonce à ton frère.
- Cela l’aidera-t-il ?
- Plus que de nourrir une affection qui l’a fait tomber si bas.
- Est-ce que cela signifie que je ne pourrai plus jamais le voir ?
- Au contraire, si tu renonces à lui, Hermary, je suis certain que nous te laisserons le rencontrer, ainsi tu auras de nombreuses occasions de le convaincre de son erreur.
Elle n’en croyait pas ses oreilles. Le visage impénétrable de l’ange blanc ne l’aidait pas à décider si la proposition d’Etienne était réellement sérieuse. Mais la proposition était là, elle ne pouvait la laisser passer.
- J’accepte. Je… renonce à l’amour que je porte à mon frère. Qu’Il nous pardonne nos offenses.
À peine ces derniers mots prononcés, une douleur la fulgura. Catherine mourrut pour la troisième et dernière fois.
Les trois juges s’étaient retrouvés dans le petit salon qui tenait lieu la plupart du temps de conciliabule. Henriette était la plus marquée par la fatigue. Etienne, quant à lui, ne se défaisait pas d’un air supérieur. Après tout, le jugement avait été quasiment mené par lui et il pouvait s’estimer satisfait. Celui aux yeux gris se contentait de boire un café brûlant.
- Vous êtes un monstre, Etienne, lâcha Henriette d’un ton las.
- Tiens donc, et depuis quand ?
- Vous savez qu’elle ne sera jamais admise au service des conversions. Je vous connais, vous y veillerez personnellement.
- Bien sûr, prendre un risque c’est déjà faillir.
L’ange blanc reposa sa tasse de café.
- Elle servira Sa Justice.
- Comment pouvez-vous en être certain ? questionna Etienne avec un léger signe d’agacement.
- De la même façon que je connaissais son choix avant qu’elle le prononce.
Henriette et Etienne échangèrent un bref regard. Bien qu’ils ne se mettaient jamais d’accord sur les mêmes sujets, ils savaient convenir des moments où l’Administration leur cachait des choses.
- Ses voies sont impénétrables, conclu-t-il
Etienne adressa un dernier regard pensif du côté de l’ange blanc. Malgré tout, il ne pouvait pas s’empêcher de le trouver un peu trop sûr de lui. Il garda sa grimace et se contenta d’afficher un sourire. Après tout l’idée n’était pas mauvaise, il aurait bien un jour besoin d’une stagiaire.