12-11-2007, 12:30 PM
Une Marche. Pas de date.
- Bonjour. Vous êtes nouvelle ? Prenez un ticket et un siège, cela risque d’être un peu long, expliqua une femme d’âge mûr avec un sourire confiant et des yeux bleus si clairs qu’elle semblait aveugle.
Catherine n’avait jamais pris la peine de s’imaginer les portes du paradis tout comme elle n’avait pris le temps de concevoir sa propre mort. On aurait pu facilement penser le contraire, cloîtrée dans une vie qui avait tout d’une prison. En réalité, Catherine ne s’était tournée de toute son existence que vers un avenir terrestre fait de l’espoir d’un futur plus clément où sa famille, et surtout son tendre frère, serait de nouveau réunie.
Si elle s’était figurée un instant les cieux, cela aurait été certainement sous la forme du jardin de tante Agathe. Ses rosiers qui grimpaient aux arceaux parés de fleurs délicates à la robe du blanc le plus doux. Une variété à peine parfumée, aussi discrète que pouvait l’être l’enfant qu’elle avait été. Il y avait aussi l’herbe toujours si bien coupée, un tapis naturel et moelleux qui n’offrait tous ses délices qu’avec l’aube, lorsqu’on pouvait sentir la rosée vous chatouiller les pieds. Et puis, surtout, le grand mimosa dont elle raffolait des fleurs rondes comme des soleils et aux senteurs enivrantes, tenaces et presque sauvages.
Le paradis devait avoir de ce mélange de nature victorieuse et pourtant maîtrisée par une main bienveillante.
Aussi, lorsqu’elle se sentit défaite de sa force de vie, que son corps devint trop lourd, trop douloureux pour qu’elle puisse encore le supporter, c’étaient les grilles du jardin d’Agathe qu’elle recherchait avec une inconscience confuse. Or, elle se trouvait dans une grande pièce dotée d’une vingtaine de bancs en bois foncé où elle attendait en compagnie de cinq autres personnes. Elle tenait le ticket numéro mille six cent quatre-vingt-sept.
Les murs étaient lisses de toutes fioritures. Elle se serait sentie soulager de pouvoir se tourner vers la croix du Christ pour apaiser son attente d’une prière. Sa main partit à la recherche de celle qu’elle portait naguère en pendentif autour de son cou mais elle ne rencontra que l’inconsistance de sa propre personne.
Elle avait été et n’était plus. Il n’y avait nul réconfort à espérer.
- Vous êtes là pourquoi ? questionna un jeune homme se tenant sur le banc d’en face et aux favoris bien taillés.
- Je l’ignore. Je ne suis même pas sûre de savoir où je me trouve, Monsieur.
- Au tribunal des grandes peines et petits délits.
- Un tribunal… Serait-ce le purgatoire ?
- Oh non, et loin s’en faut, chère enfant. La Purge est un lieu terrible que je ne vous souhaite pas. Est-ce que, par le plus pernicieux des hasards, vous n’auriez pas encore fait la connaissance de votre Juge ?
- Je dois avouer que non.
- Alors cela ne saurait tarder, Mademoiselle !
- Pardonnez mon indiscrétion, mais puis-je savoir les raisons de votre propre présence ?
- J’ai tué.
L’homme aux favoris se contenta de croiser ses mains gantées sur ses genoux alors que Catherine, avec la frayeur de ceux qui n’ont jamais été confrontés à la criminalité et ses représentants, ne pouvait retenir une exclamation.
- Doux Jésus !
- Comme je vous parle, Mademoiselle. J’ai occis sans trembler, d’un coup net. Un achèvement sans malice ni douleur.
- Vous en parlez avec une légèreté à glacer le sang ! N’est-il point dans les commandements divins de ne pas s’octroyer le droit de mort ?
- Comme vous y allez, ma chère. J’ai tué, il est vrai, mais point un innocent. C’est une âme bien noire dont j’ai déchargé le monde. Sans mentir, il me semble que j’ai rendu fier service, et, qu’en ce sens, je n’ai été rien d’autre que le serviteur de Dieu. Preuve en est, ce n’est pas sur les marches du bord de l’Enfer que je devise de si agréable manière avec votre charmante personne.
- Votre certitude est-elle donc si ferme, Monsieur ?
- Autant que celle de Jeanne allant bouter les anglois.
- Seriez-vous français ?
- Bon sang ne saurait mentir, je le suis. Et à votre visage qui n’ose montrer sa contrariété, je vous devine anglaise.
Elle acquiesça d’une gracieuse inclinaison de la tête. Il lui avait bien semblé que cet individu avait la grossièreté et l’aplomb du continent.
- Je trouve, au contraire, que votre présence ici est la preuve incontestable que votre acte fut répréhensible. Si votre inspiration fut divine, ne devriez-vous pas être accueilli par le chant du chœur le plus pur des anges célestes ?
- Le ciel a aussi ses formalités, faut-il croire.
- Je ne crois pas que les commandements de Dieu aient à souffrir de la moindre ambiguïté, Monsieur, si justice est nécessaire devant les yeux du divin c’est que la faute fut consommée.
- Puisque je vous dis que je n’ai agi que par volonté supérieure. Quel mal peut-il y avoir à répondre à l’appel de notre Seigneur ? Si vous voulez le fond de ma pensée, chère enfant, vous aimez couper les cheveux en quatre.
- N’y voyez pas d’offense, mais n’est-il pas présomptueux de penser qu’un ordre vous fut donné ? Les seuls serviteurs du très haut sont les anges. Nous, humains, avons toujours le choix de nos actions. Je ne peux que difficilement imaginer qu’on est pu vous donner un ordre en directe contradiction avec un commandement aussi limpide que « Tu ne tueras point ».
- Auriez-vous tenu un tel discours à un croisé ?
- C’est une question difficile. Je suppose qu’un tel lieu sert à différencier les guerriers saints des pillards.
L’homme haussa un unique sourcil et se fendit d’un sourire goguenard.
- Serais-je donc un pillard à vos yeux, Mademoiselle ?
- Oh non, je n’ai pas exprimé une telle idée. Peut-être êtes-vous un peu exalté et imbus de vous-même. Je crois que vous devriez faire acte de pénitence, même dans l’éventualité où celui que vous avez tué… était aussi mauvais que vous le prétendiez. Vous avez commis un crime et avez endossé une responsabilité qui n’aurait pas dû être vôtre. Vous devriez en prendre conscience et vous montrer plus empreint d’humilité.
- Je vais vous dire…
- Oui ?
- Je suis heureux que vous ne soyez pas mon Juge.
L’effet fut immédiat. Catherine pinça les lèvres. Une voix sortie de nulle part la libéra de la présence désagréable du Français.
- Mille six cent quatre-vingt-sept ! Mille six cent quatre-vingt-sept est demandé au guichet C !
Elle se leva et salua son interlocuteur qui fit mine de soulever un couvre chef qu’il ne portait pas. À petits pas, elle pris la direction de ce qu’elle supposait être le guichet bien qu’aucune indication alphabétique n’était précisée pour aiguiller sa route. Elle fut soulagée lorsqu’un homme à la digne robe blanche de magistrat lui fit signe de s’approcher.
De taille moyenne et la mine joviale, il inspirait une confiance immédiate. Confiance offerte d’autant plus de bon cœur que Catherine eut la conviction au premier regard qu’il s’agissait bel et bien d’un ange. Pourtant, l’individu n’arborait pas d’auréole, ni même la paire d’aile habituelle.
Plus troublants, ses cheveux ne formaient pas de jolies boucles blondes. Catherine, jusqu’à ce jour, n’aurait jamais pensé un ange aux cheveux noirs et raides comme des cordes, aussi fixa-t-elle sur lui des yeux emplis d’une innocente curiosité. Il prit la parole le premier.
- Tu es…
L’ange lu un papier.
- … Miss Catherine Hermary ?
- Oui, Votre Grâce.
- Suis-moi.
- Bien, Votre Grâce.
L’ange lui fit signe de le suivre. Ils quittèrent ensemble le hall d’attente pour rejoindre une succession de couloirs. Il y régnait une activité modérée. De temps à autre, ils croisaient une personne portant de lourds dossiers, parfois un autre ange prenait le temps de saluer le guide de Catherine alors qu’elle était ignorée.
Ce fut elle qui brisa le silence instauré entre eux.
- Ainsi, je vais être jugée, Votre Grâce ?
- C’est exact.
- Quelle pénitence dois-je attendre, Votre Grâce ?
- Tiens, tiens, tu te penses donc coupable…
Sans ralentir l’allure, l’ange tourna son visage vers elle. La timidité faisant son office, Catherine ne pouvait s’empêcher de rougir et de baisser les yeux. Bien sûr qu’elle se sentait coupable. Son existence n’avait été que péché. Bien sûr, il y avait eu l’inceste. Elle avait été faible, si misérablement faible d’avoir aimé son frère plus que de raison et de n’avoir jamais su lui offrir le moindre refus. Mais elle savait que cette faute terrible n’était pas l’unique qui pouvait lui être imputée.
- Bonjour. Vous êtes nouvelle ? Prenez un ticket et un siège, cela risque d’être un peu long, expliqua une femme d’âge mûr avec un sourire confiant et des yeux bleus si clairs qu’elle semblait aveugle.
Catherine n’avait jamais pris la peine de s’imaginer les portes du paradis tout comme elle n’avait pris le temps de concevoir sa propre mort. On aurait pu facilement penser le contraire, cloîtrée dans une vie qui avait tout d’une prison. En réalité, Catherine ne s’était tournée de toute son existence que vers un avenir terrestre fait de l’espoir d’un futur plus clément où sa famille, et surtout son tendre frère, serait de nouveau réunie.
Si elle s’était figurée un instant les cieux, cela aurait été certainement sous la forme du jardin de tante Agathe. Ses rosiers qui grimpaient aux arceaux parés de fleurs délicates à la robe du blanc le plus doux. Une variété à peine parfumée, aussi discrète que pouvait l’être l’enfant qu’elle avait été. Il y avait aussi l’herbe toujours si bien coupée, un tapis naturel et moelleux qui n’offrait tous ses délices qu’avec l’aube, lorsqu’on pouvait sentir la rosée vous chatouiller les pieds. Et puis, surtout, le grand mimosa dont elle raffolait des fleurs rondes comme des soleils et aux senteurs enivrantes, tenaces et presque sauvages.
Le paradis devait avoir de ce mélange de nature victorieuse et pourtant maîtrisée par une main bienveillante.
Aussi, lorsqu’elle se sentit défaite de sa force de vie, que son corps devint trop lourd, trop douloureux pour qu’elle puisse encore le supporter, c’étaient les grilles du jardin d’Agathe qu’elle recherchait avec une inconscience confuse. Or, elle se trouvait dans une grande pièce dotée d’une vingtaine de bancs en bois foncé où elle attendait en compagnie de cinq autres personnes. Elle tenait le ticket numéro mille six cent quatre-vingt-sept.
Les murs étaient lisses de toutes fioritures. Elle se serait sentie soulager de pouvoir se tourner vers la croix du Christ pour apaiser son attente d’une prière. Sa main partit à la recherche de celle qu’elle portait naguère en pendentif autour de son cou mais elle ne rencontra que l’inconsistance de sa propre personne.
Elle avait été et n’était plus. Il n’y avait nul réconfort à espérer.
- Vous êtes là pourquoi ? questionna un jeune homme se tenant sur le banc d’en face et aux favoris bien taillés.
- Je l’ignore. Je ne suis même pas sûre de savoir où je me trouve, Monsieur.
- Au tribunal des grandes peines et petits délits.
- Un tribunal… Serait-ce le purgatoire ?
- Oh non, et loin s’en faut, chère enfant. La Purge est un lieu terrible que je ne vous souhaite pas. Est-ce que, par le plus pernicieux des hasards, vous n’auriez pas encore fait la connaissance de votre Juge ?
- Je dois avouer que non.
- Alors cela ne saurait tarder, Mademoiselle !
- Pardonnez mon indiscrétion, mais puis-je savoir les raisons de votre propre présence ?
- J’ai tué.
L’homme aux favoris se contenta de croiser ses mains gantées sur ses genoux alors que Catherine, avec la frayeur de ceux qui n’ont jamais été confrontés à la criminalité et ses représentants, ne pouvait retenir une exclamation.
- Doux Jésus !
- Comme je vous parle, Mademoiselle. J’ai occis sans trembler, d’un coup net. Un achèvement sans malice ni douleur.
- Vous en parlez avec une légèreté à glacer le sang ! N’est-il point dans les commandements divins de ne pas s’octroyer le droit de mort ?
- Comme vous y allez, ma chère. J’ai tué, il est vrai, mais point un innocent. C’est une âme bien noire dont j’ai déchargé le monde. Sans mentir, il me semble que j’ai rendu fier service, et, qu’en ce sens, je n’ai été rien d’autre que le serviteur de Dieu. Preuve en est, ce n’est pas sur les marches du bord de l’Enfer que je devise de si agréable manière avec votre charmante personne.
- Votre certitude est-elle donc si ferme, Monsieur ?
- Autant que celle de Jeanne allant bouter les anglois.
- Seriez-vous français ?
- Bon sang ne saurait mentir, je le suis. Et à votre visage qui n’ose montrer sa contrariété, je vous devine anglaise.
Elle acquiesça d’une gracieuse inclinaison de la tête. Il lui avait bien semblé que cet individu avait la grossièreté et l’aplomb du continent.
- Je trouve, au contraire, que votre présence ici est la preuve incontestable que votre acte fut répréhensible. Si votre inspiration fut divine, ne devriez-vous pas être accueilli par le chant du chœur le plus pur des anges célestes ?
- Le ciel a aussi ses formalités, faut-il croire.
- Je ne crois pas que les commandements de Dieu aient à souffrir de la moindre ambiguïté, Monsieur, si justice est nécessaire devant les yeux du divin c’est que la faute fut consommée.
- Puisque je vous dis que je n’ai agi que par volonté supérieure. Quel mal peut-il y avoir à répondre à l’appel de notre Seigneur ? Si vous voulez le fond de ma pensée, chère enfant, vous aimez couper les cheveux en quatre.
- N’y voyez pas d’offense, mais n’est-il pas présomptueux de penser qu’un ordre vous fut donné ? Les seuls serviteurs du très haut sont les anges. Nous, humains, avons toujours le choix de nos actions. Je ne peux que difficilement imaginer qu’on est pu vous donner un ordre en directe contradiction avec un commandement aussi limpide que « Tu ne tueras point ».
- Auriez-vous tenu un tel discours à un croisé ?
- C’est une question difficile. Je suppose qu’un tel lieu sert à différencier les guerriers saints des pillards.
L’homme haussa un unique sourcil et se fendit d’un sourire goguenard.
- Serais-je donc un pillard à vos yeux, Mademoiselle ?
- Oh non, je n’ai pas exprimé une telle idée. Peut-être êtes-vous un peu exalté et imbus de vous-même. Je crois que vous devriez faire acte de pénitence, même dans l’éventualité où celui que vous avez tué… était aussi mauvais que vous le prétendiez. Vous avez commis un crime et avez endossé une responsabilité qui n’aurait pas dû être vôtre. Vous devriez en prendre conscience et vous montrer plus empreint d’humilité.
- Je vais vous dire…
- Oui ?
- Je suis heureux que vous ne soyez pas mon Juge.
L’effet fut immédiat. Catherine pinça les lèvres. Une voix sortie de nulle part la libéra de la présence désagréable du Français.
- Mille six cent quatre-vingt-sept ! Mille six cent quatre-vingt-sept est demandé au guichet C !
Elle se leva et salua son interlocuteur qui fit mine de soulever un couvre chef qu’il ne portait pas. À petits pas, elle pris la direction de ce qu’elle supposait être le guichet bien qu’aucune indication alphabétique n’était précisée pour aiguiller sa route. Elle fut soulagée lorsqu’un homme à la digne robe blanche de magistrat lui fit signe de s’approcher.
De taille moyenne et la mine joviale, il inspirait une confiance immédiate. Confiance offerte d’autant plus de bon cœur que Catherine eut la conviction au premier regard qu’il s’agissait bel et bien d’un ange. Pourtant, l’individu n’arborait pas d’auréole, ni même la paire d’aile habituelle.
Plus troublants, ses cheveux ne formaient pas de jolies boucles blondes. Catherine, jusqu’à ce jour, n’aurait jamais pensé un ange aux cheveux noirs et raides comme des cordes, aussi fixa-t-elle sur lui des yeux emplis d’une innocente curiosité. Il prit la parole le premier.
- Tu es…
L’ange lu un papier.
- … Miss Catherine Hermary ?
- Oui, Votre Grâce.
- Suis-moi.
- Bien, Votre Grâce.
L’ange lui fit signe de le suivre. Ils quittèrent ensemble le hall d’attente pour rejoindre une succession de couloirs. Il y régnait une activité modérée. De temps à autre, ils croisaient une personne portant de lourds dossiers, parfois un autre ange prenait le temps de saluer le guide de Catherine alors qu’elle était ignorée.
Ce fut elle qui brisa le silence instauré entre eux.
- Ainsi, je vais être jugée, Votre Grâce ?
- C’est exact.
- Quelle pénitence dois-je attendre, Votre Grâce ?
- Tiens, tiens, tu te penses donc coupable…
Sans ralentir l’allure, l’ange tourna son visage vers elle. La timidité faisant son office, Catherine ne pouvait s’empêcher de rougir et de baisser les yeux. Bien sûr qu’elle se sentait coupable. Son existence n’avait été que péché. Bien sûr, il y avait eu l’inceste. Elle avait été faible, si misérablement faible d’avoir aimé son frère plus que de raison et de n’avoir jamais su lui offrir le moindre refus. Mais elle savait que cette faute terrible n’était pas l’unique qui pouvait lui être imputée.