12-07-2007, 12:48 PM
Notre première réunion eut pour cadre un bar latino. Notre contact était visiblement une habituée des lieux, sans quoi je doute que nous aurions été acceptés. Si, par la grâce de Dieu, les aléas de l’incarnation m’avaient doté d’une allure capable de nager dans toutes les eaux, Cyr avait pour lui un masque d’antipathie. Objectivement, l’eurasien à qui il devait son corps n’avait rien du rien à l’origine du repoussoir qu’il en avait fait en adoptant en toutes circonstances un air revêche digne d’un truand.
C’est tous les trois installés dans de douillets fauteuils rouges, un pichet de mojitos sur la table, et en fond sonore les roucoulements d’un chanteur inconnu faisant mille promesses toutes plus suaves les unes que les autres, que nous fîmes plus ample connaissance.
L’Ombre, de son vrai nom Armezel, était, contrairement à ce que son pseudonyme pouvait laisser suggérer, de ces femmes qui ne passent pas inaperçues. Dire qu’elle était d’une rare beauté n’aurait pas suffit à lui rendre justice. Elle tenait autant de l’ingénue que de la séductrice piquante. Dans un premier temps, je dois dire que je l’observais d’un œil critique. La pureté de son aura ne pouvait mentir sur sa nature angélique, pourtant, il y’avait comme un infime trouble qui la rendait moins nette qu’elle n’aurait dû sans que je fusse capable de me l’expliquer.
- Vous en tirez de ces tronches.
La jeune femme décroisa et recroisa ses jambes au fuselage gainé dans une robe que je devinais hors de prix. Son sourire était parfaitement insolent bien que dénué de méchanceté. Cyr et moi-même, qui étions déjà au diapason en ce qui concernait certaines réactions, gardâmes un silence circonspect.
- Vous pouvez vous détendre les loulous, l’endroit est sûr.
Et comme pour mieux appuyer sa déclaration, elle commença à se faire un peu d’air à l’aide d’un éventail taillé dans un bois léger et parfumé. Cyr resta aux aguets. De ce que je saisissais à ses multiples coups d’œil, il avait repéré les différentes entrées et sorties du lieu. Pour ma part, je me jugeais trop insignifiant pour mériter une attaque menée par des démons, aussi étais-je relativement détendu bien que je ne maîtrisais pas encore assez ma nouvelle enveloppe corporelle pour l’exprimer avec facilité.
- Pouvons-nous parler librement ici ? demandais-je en lançant un regard du côté de la piste de danse où quelques humains se balançaient au rythme d’une salsa.
- Tranquille, Émile.
- Je me nomme Hermary, agent Hermary.
Il s’en suivit un silence un peu gêné durant lequel Armezel me contempla d’un air navré et légèrement irritant.
- C’est une expression comme « T’es dans la mouise, Louise », « Pépère le hamster », tu piges ?
- Ah. Je vois.
Armezel afficha un sourire condescendant. Je compris que mon ignorance était pardonnée.
- Bon alors, si j’ai bien compris, tous les deux, vous allez être sous ma responsabilité. Vous verrez, le boulot n’est pas énorme, dit-elle en se rinçant la gorge avec un peu de mojito avant de reprendre. La plupart du temps, ça consiste surtout à se tenir au chaud, livrer quelques paquets et conver…
Elle se tut en voyant que j’avais levé ma main droite pour demander un droit de parole. Elle semblait sur le point de rire de mon attitude formelle, mais je suppose qu’elle se retint en comprenant combien j’étais sérieux.
- Tu as une question ?
- Négatif. Par contre il me paraît essentiel de faire une mise au point, selon mes propres informations, nous ne sommes pas sous vos ordres. Je ne réponds que de mon service et de sa haute hiérarchie interne.
Armezel sourcilla.
- Attends, j’ai reçu un papier qui…
Tout en parlant elle sortit de son sac une feuille pliée en huit portant dans le coin une auréole qui indiquant assez clairement que son dernier usage avait été celui d’un sous-bock. Elle la déplia tout en refaisant une lecture rapide.
- … par la présente… le plaisir de vous informer… à dater de… oui… mmm… oké… capice… Ah, voilà ! « Dans le cadre du nouveau projet Immac Institut of Angelic Investigation, aussi appelé IIAI, vous serez convié à adjoindre votre participation pleine et entière. Pour cela, vous serez chargé d’accueillir l’agent… » pouf… pif…
- Puis-je ? demandais-je en tendant la main.
- Ça ne t’avancera pas plus.
- Êtes-vous obligée de me tutoyer ?
- …
- Puis-je ? insistais-je ma main toujours tendue.
Je pris la feuille. L’en-tête m’était familier, tout comme le style. Je reconnaissais la patte de mon superviseur.
- Si j’en crois ce document, non seulement je ne suis pas sous votre responsabilité, mais en plus il se trouve que j’ai été nommé chef d’équipe.
- Oh ? J’ai pas tenu compte de ce passage, à mon avis y’a une coquille.
- L’Administration ne fait pas d’erreur.
- Je sers Ange la miséricordieuse. Y’a boulette, sûr à tous les coups.
- Vous avez demandé à votre supérieur ?
Armezel se racla la gorge alors que je sentais son attention déviée vers un point au loin. Manifestement, le sujet était épineux.
- C’est, hum, compliqué. Mon chef ne sait pas que j’existe.
La remarque éveilla l’attention de l’ange de Laurent. Celui-ci, bien qu’enfermé dans un mutisme hostile, ne perdait pas un mot de la conversation.
- Comment est-ce possible ?
La question avait été posée avec rudesse, la chaleureuse ambiance latine n’aidant apparemment pas Cyr à se détendre. Armezel sursauta presque, les yeux agrandis de stupeur.
- Wow ! Faut pas me faire des frayeurs comme ça.
Elle me prit à témoin.
- Vous saviez qu’il pouvait parler ?
- Affirmatif.
- Vous êtes vraiment pas nets tous les deux.
- Pouvez-vous répondre à la question posée par mon…
J’hésitais alors que je regardais Cyr. Qu’était donc l’ange de Laurent pour moi, et surtout, comment devais-je le présenter à un étranger à la mission ? J’optais pour ce qui me semblait la solution la plus neutre.
- …partenaire.
- C’est pas compliqué. Ici, je suis undercover et ça va faire quatre ans que je bosse comme ça. J’ai jamais eu de plaintes, surtout pas de l’administration.
- Auriez-vous un grade, il est plutôt inhabituel de voir un ange travailler en marge sans que son travail n’ait été reconnu ?
- Non. Mais Immac est particulière, vous verrez vite.
Je sentais Cyr s’agiter non loin de moi. En fait, je n’étais pas plus à l’aise. Armezel avait répondu sans hésiter, mais mon instinct me soufflait qu’elle n’était pas entièrement honnête dans sa réponse.
- Avez-vous un endroit à nous conseiller pour loger ?
- L’Ombre pense à tout ! Je vous ai trouvé un petit nid d’amour, vous m’en direz des nouvelles. Tenez, je vous ai noté l’adresse.
Elle me remit des allumettes sur lesquelles je lus à haute voix :
- Bar Le Chihuahua ?
- À l’intérieur.
- Ah. Je vois.
Je soulevais le carton et découvrait ce qui me paraissait être une adresse plus convenable.
- 33 rue Royale ?
- Il y’a tout le confort. Eau, électricité, chauffage. Faudra juste que vous pensiez à faire les courses. Faites confiance au vieux routard que je suis, faut jamais négliger de se nourrir. Ici, les mannes célestes ça nourrit moins son homme qu’un burger-frites.
- Vous parlez de vous au masculin.
- Vous avez remarqué ? Quand je vous disais que l’Administration ne faisait que des boulettes. Ça fait des années que je leur demande un corps masculin. Bon sang, je ne sais plus quoi faire pour me retrouver sur une liste prioritaire.
- Je vous aiderai à monter un dossier si vous le souhaitez. Nous allons vous quitter pour ce soir. Je vous remercie pour le temps que vous nous avez accordé. Cyr, êtes-vous prêt ?
Je constatais qu’il n’était plus à mes côtés. Une angoisse sourde me tirailla immédiatement. Je me levais pour faire le tour de la salle principale à sa recherche.
C’est tous les trois installés dans de douillets fauteuils rouges, un pichet de mojitos sur la table, et en fond sonore les roucoulements d’un chanteur inconnu faisant mille promesses toutes plus suaves les unes que les autres, que nous fîmes plus ample connaissance.
L’Ombre, de son vrai nom Armezel, était, contrairement à ce que son pseudonyme pouvait laisser suggérer, de ces femmes qui ne passent pas inaperçues. Dire qu’elle était d’une rare beauté n’aurait pas suffit à lui rendre justice. Elle tenait autant de l’ingénue que de la séductrice piquante. Dans un premier temps, je dois dire que je l’observais d’un œil critique. La pureté de son aura ne pouvait mentir sur sa nature angélique, pourtant, il y’avait comme un infime trouble qui la rendait moins nette qu’elle n’aurait dû sans que je fusse capable de me l’expliquer.
- Vous en tirez de ces tronches.
La jeune femme décroisa et recroisa ses jambes au fuselage gainé dans une robe que je devinais hors de prix. Son sourire était parfaitement insolent bien que dénué de méchanceté. Cyr et moi-même, qui étions déjà au diapason en ce qui concernait certaines réactions, gardâmes un silence circonspect.
- Vous pouvez vous détendre les loulous, l’endroit est sûr.
Et comme pour mieux appuyer sa déclaration, elle commença à se faire un peu d’air à l’aide d’un éventail taillé dans un bois léger et parfumé. Cyr resta aux aguets. De ce que je saisissais à ses multiples coups d’œil, il avait repéré les différentes entrées et sorties du lieu. Pour ma part, je me jugeais trop insignifiant pour mériter une attaque menée par des démons, aussi étais-je relativement détendu bien que je ne maîtrisais pas encore assez ma nouvelle enveloppe corporelle pour l’exprimer avec facilité.
- Pouvons-nous parler librement ici ? demandais-je en lançant un regard du côté de la piste de danse où quelques humains se balançaient au rythme d’une salsa.
- Tranquille, Émile.
- Je me nomme Hermary, agent Hermary.
Il s’en suivit un silence un peu gêné durant lequel Armezel me contempla d’un air navré et légèrement irritant.
- C’est une expression comme « T’es dans la mouise, Louise », « Pépère le hamster », tu piges ?
- Ah. Je vois.
Armezel afficha un sourire condescendant. Je compris que mon ignorance était pardonnée.
- Bon alors, si j’ai bien compris, tous les deux, vous allez être sous ma responsabilité. Vous verrez, le boulot n’est pas énorme, dit-elle en se rinçant la gorge avec un peu de mojito avant de reprendre. La plupart du temps, ça consiste surtout à se tenir au chaud, livrer quelques paquets et conver…
Elle se tut en voyant que j’avais levé ma main droite pour demander un droit de parole. Elle semblait sur le point de rire de mon attitude formelle, mais je suppose qu’elle se retint en comprenant combien j’étais sérieux.
- Tu as une question ?
- Négatif. Par contre il me paraît essentiel de faire une mise au point, selon mes propres informations, nous ne sommes pas sous vos ordres. Je ne réponds que de mon service et de sa haute hiérarchie interne.
Armezel sourcilla.
- Attends, j’ai reçu un papier qui…
Tout en parlant elle sortit de son sac une feuille pliée en huit portant dans le coin une auréole qui indiquant assez clairement que son dernier usage avait été celui d’un sous-bock. Elle la déplia tout en refaisant une lecture rapide.
- … par la présente… le plaisir de vous informer… à dater de… oui… mmm… oké… capice… Ah, voilà ! « Dans le cadre du nouveau projet Immac Institut of Angelic Investigation, aussi appelé IIAI, vous serez convié à adjoindre votre participation pleine et entière. Pour cela, vous serez chargé d’accueillir l’agent… » pouf… pif…
- Puis-je ? demandais-je en tendant la main.
- Ça ne t’avancera pas plus.
- Êtes-vous obligée de me tutoyer ?
- …
- Puis-je ? insistais-je ma main toujours tendue.
Je pris la feuille. L’en-tête m’était familier, tout comme le style. Je reconnaissais la patte de mon superviseur.
- Si j’en crois ce document, non seulement je ne suis pas sous votre responsabilité, mais en plus il se trouve que j’ai été nommé chef d’équipe.
- Oh ? J’ai pas tenu compte de ce passage, à mon avis y’a une coquille.
- L’Administration ne fait pas d’erreur.
- Je sers Ange la miséricordieuse. Y’a boulette, sûr à tous les coups.
- Vous avez demandé à votre supérieur ?
Armezel se racla la gorge alors que je sentais son attention déviée vers un point au loin. Manifestement, le sujet était épineux.
- C’est, hum, compliqué. Mon chef ne sait pas que j’existe.
La remarque éveilla l’attention de l’ange de Laurent. Celui-ci, bien qu’enfermé dans un mutisme hostile, ne perdait pas un mot de la conversation.
- Comment est-ce possible ?
La question avait été posée avec rudesse, la chaleureuse ambiance latine n’aidant apparemment pas Cyr à se détendre. Armezel sursauta presque, les yeux agrandis de stupeur.
- Wow ! Faut pas me faire des frayeurs comme ça.
Elle me prit à témoin.
- Vous saviez qu’il pouvait parler ?
- Affirmatif.
- Vous êtes vraiment pas nets tous les deux.
- Pouvez-vous répondre à la question posée par mon…
J’hésitais alors que je regardais Cyr. Qu’était donc l’ange de Laurent pour moi, et surtout, comment devais-je le présenter à un étranger à la mission ? J’optais pour ce qui me semblait la solution la plus neutre.
- …partenaire.
- C’est pas compliqué. Ici, je suis undercover et ça va faire quatre ans que je bosse comme ça. J’ai jamais eu de plaintes, surtout pas de l’administration.
- Auriez-vous un grade, il est plutôt inhabituel de voir un ange travailler en marge sans que son travail n’ait été reconnu ?
- Non. Mais Immac est particulière, vous verrez vite.
Je sentais Cyr s’agiter non loin de moi. En fait, je n’étais pas plus à l’aise. Armezel avait répondu sans hésiter, mais mon instinct me soufflait qu’elle n’était pas entièrement honnête dans sa réponse.
- Avez-vous un endroit à nous conseiller pour loger ?
- L’Ombre pense à tout ! Je vous ai trouvé un petit nid d’amour, vous m’en direz des nouvelles. Tenez, je vous ai noté l’adresse.
Elle me remit des allumettes sur lesquelles je lus à haute voix :
- Bar Le Chihuahua ?
- À l’intérieur.
- Ah. Je vois.
Je soulevais le carton et découvrait ce qui me paraissait être une adresse plus convenable.
- 33 rue Royale ?
- Il y’a tout le confort. Eau, électricité, chauffage. Faudra juste que vous pensiez à faire les courses. Faites confiance au vieux routard que je suis, faut jamais négliger de se nourrir. Ici, les mannes célestes ça nourrit moins son homme qu’un burger-frites.
- Vous parlez de vous au masculin.
- Vous avez remarqué ? Quand je vous disais que l’Administration ne faisait que des boulettes. Ça fait des années que je leur demande un corps masculin. Bon sang, je ne sais plus quoi faire pour me retrouver sur une liste prioritaire.
- Je vous aiderai à monter un dossier si vous le souhaitez. Nous allons vous quitter pour ce soir. Je vous remercie pour le temps que vous nous avez accordé. Cyr, êtes-vous prêt ?
Je constatais qu’il n’était plus à mes côtés. Une angoisse sourde me tirailla immédiatement. Je me levais pour faire le tour de la salle principale à sa recherche.