11-02-2007, 02:09 AM
II. Notre-Dame des Sacrements
Certains comparent la naissance à une exclusion d’un cocon protecteur chaud et douillet pour se retrouver projeté dans un monde froid et âpre. Rien de comparable avec les sensations qui me harcelèrent dès que j’ouvris les yeux.
J’hoquetais de stupeur. Ce qui m’entourait n’était plus gris, le souffle glacé qui avait été mon quotidien jusqu’alors avait été remplacé par une douce chaleur. J’eus pour tout premier réflexe de fermer les yeux pour profiter un long moment de ce confort qui me sembla sur l’instant plus précieux que tout le reste. Mon cœur battait, et il y avait là un miracle qui, sans que je le comprenne bien, fit naître en moi une émotion que je ne contrôlais pas.
- Vous pleurez, Hermary.
Je sursautais presque en apercevant la personne qui s’était adressée à moi de manière aussi sèche. Au travers du voile de mes larmes, je ne vis que l’or de ses cheveux qui l’espace d’un instant fut mon seul soleil. Dans un élan, dont aujourd’hui j’ai du mal à me remémorer sans un peu de honte, je me levais et passais mes bras autour de ce très cher cou.
- Catherine, pour toi je serais toujours Catherine, soufflais-je à son oreille tandis qu’au contact de son corps, je m’extasiais de la béatitude d’être vivant.
Il me repoussa brusquement sans pour autant relâcher mes bras qu’il tenait à deux mains. Je réalisais qu’il n’était pas lui. Ce « lui », ce frère, déjà dont les traits m’échappaient pour rejoindre les fantômes de souvenirs dont je ne me doutais pas encore de l’absence. L’homme qui se tenait devant moi avait le visage grave et des yeux noirs qui me scrutaient durement. Ses cheveux étaient clairs, mais cela n’avait rien de naturel. Je réalisais alors que je le dépassais. Ce fait anodin me fit pourtant comprendre pleinement l’incongru de la situation.
Je n’étais plus frêle, ni de porcelaine, ma chair était celle d’un humain, et du peu que je pouvais en juger, un humain bâti solidement. Un homme dont le nom était sur le bord de mes lèvres sans que je le laisse s’échapper. Celui qui me faisait face m’observait toujours, sûrement devais-je avoir une allure curieuse avec mes joues trempées.
Je pris conscience de mon corps, ou plutôt celui de mon hôte, et avec lui de l’identité que je devais faire mienne. Je reconnus aussitôt l’endroit où nous nous trouvions. Notre-Dame des Sacrements, l’église gothique située dans le vieux quartier d’Immac. La première question qui me vint à l’esprit fut d’une banalité affligeante.
- Qui êtes-vous ?
Son aura m’apparu, et avec elle, ma réponse. Le cas « Saint-Cyr ». Ma mission. L’écho du dernier avertissement d’Etienne : si j’échouais, mon seul avenir serait de coller des gommettes de couleur sur les dossiers d’archive.
- Vous deux ! Il y a des endroits plus convenables pour ce genre de chose !
Nous nous écartâmes vivement l’un de l’autre, mettant la distance réglementaire d’un bras en guise de séparation. Nous devions avoir l’air tout aussi ridicule à nous tenir ainsi le dos droit si j’en crois le sourire qui se dessina alors le visage de celui qui venait d’interrompre nos retrouvailles. Un petit homme au physique râblé et aux cernes si creusés qu’on lui aurait donné pour plusieurs mois d’insomnie.
- Repos la bleusaille. Alors, voyons ce que j’ai là. L’agent Hermary. Première affectation, hé ? Vous avez du pisser sur la jambe d’un sacré ponte pour vous retrouver ici. Et avec ça y’a…
- Monsieur, jamais je n’ai…
- Silence ! Tu te crois où p’tit ? C’est un lieu saint. Et baisse les yeux quand je te parle, ce sont des vrais gyrophares. Qu’est-ce que je disais ?
- « Et avec ça .. », monsieur ? proposais-je de mon ton le plus civil.
- La ferme ! Et avec ça y’a le clebs enragé. Attention, Cyr, on vous a l’œil. JE vous ai à l’œil.
En voilà un qui avait lu son dossier, mais qui n’avait jamais eu à le rencontrer. Ce que j’appréhendais arriva. Et bien que dans un geste préventif, puisque après tout l’ange de Laurent était sous ma surveillance, je tentais de le retenir, Cyr avait déjà avancé de deux pas.
Nous plissâmes les yeux de concert lorsque l’aura du petit homme claqua comme un coup de fouet et nous fîmes un pas prudent en arrière.
- Je préfère ça, la bleusaille. Inutile de perdre plus de temps, voilà vos assistants personnels. Votre contact dans la ville s’appelle l’Ombre. Pour toutes les questions d’intendance et les broutilles, vous vous arrangerez avec lui. Pour le reste…
Son regard creusé et faussement fatigué se posa sur moi. Le sourire qu’il arborait se mua d’une manière qui me déplu fortement. Une image fugace s’imposa à moi. Une silhouette, une voix si profonde et terrifiante qu’elle rendaient les petites brimades de mon superviseur, Etienne, presque sympathiques.
- … je vois que vous vous souvenez à qui il faut vous adresser. Rompez !
Je restais transi. Non, je n’avais pas oublié mon juge, mon bourreau, et celui à qui je devais mon existence de dévotion.
Cyr ne m’avait pas attendu, sitôt son pda rangé dans une poche, il s’était éloigné pour rejoindre la sortie de l’église. N’attendant rien de lui, je ne fus pas déçu de constater qu’il était décidé de faire comme bon lui semblait. Pour autant, je n’étais pas décidé à me laisser faire. Plus que jamais j’avais conscience que ma carrière autant que mon âme étaient en jeu.
Je m’élançais à sa poursuite. Mal m’en prit. Ce corps dont je m’étais tantôt émerveillé avait une faille terrible et c’était genoux à terre que je le réalisais malgré moi. Ma vision se troublait pour se laisser envahir de tâches noires. Alors que le vertige me drainait de toutes mes forces, j’eus à peine le temps de me baisser instinctivement pour amortir ma chute. Je remerciais la mémoire corporelle de mon hôte de m’éviter ainsi une déconvenue encore plus grande.
- Cyr ! Saint-Cyr !! Je vous somme de revenir !
Je l’appelais entre deux souffles, partagé entre l’impuissance et la rage de le voir m’échapper à peine dès notre arrivée.
Il se retourna et sembla exprimer une surprise qui n’était pas feinte. Le contraste entre mon ordre et mon incapacité à pouvoir le faire appliquer avait de quoi rendre narquois, pourtant, alors que je ne l’espérais plus, il devint hésitant.
Je dus me résoudre à un procédé humiliant et transformais mon ordre en supplique.
- S’il vous plait, Cyr ?
Il revint sur ses pas, et, avec une force que ne laissait pas soupçonner son allure, m’aida à me relever.
- Vous allez bien ?
Sa question n’était empreinte d’aucune tendresse. Il désirait seulement une réponse, et je le remerciais intérieurement de ne pas m’humilier d’avantage avec une compassion déplacée.
- Oui. Je vous prie d’accepter mes excuses. J’ai perdu l’équilibre.
- …
Il se contenta de me regarder, mais plutôt que de reprendre sa route, cette fois il restait à mes côtés. Je ne devais pas laisser filer l’occasion et prendre les choses en main.
- Bien. Il est…
Je consultais le pda, fort heureusement mon hôte avait su manier ce genre d’engin. Dans tous les cas j’étais déterminé à apprendre vite.
- …20h15. Il va nous falloir trouver un endroit où loger, nous ne pouvons pas rester ici, et puis prendre contact avec cette « Ombre ». Voyons s’il y a une adresse ou un numéro…
Je grimaçais un peu en constatant que je ne trouvais aucun fichier pouvant correspondre à celui que se faisait appeler l’Ombre.
- Il n’est pas recensé !
- Dans ce cas, cela signifie qu’il viendra à nous.
Je tournais mon regard vers Cyr. Il avait usé du « nous », voilà qui était positif. J’acquiesçais et me dirigeais en sa compagnie vers l’extérieur. Au pire, je me sentais capable d’improviser une solution de secours.
L’air frais une fois dehors m’arracha un sourire de plaisir. Mon épiderme entier était un récepteur et je voulais bien qu’on me confia les pires travaux pourvu qu’on me laisse garder la volupté de posséder une peau.
Je fus tiré de ma rêvasserie par une forme que j’identifiais aussitôt comme curieuse. De fait, celle-ci nous fixait avec tellement d’insistance que je finis par comprendre.
C’était elle. L’Ombre.
Certains comparent la naissance à une exclusion d’un cocon protecteur chaud et douillet pour se retrouver projeté dans un monde froid et âpre. Rien de comparable avec les sensations qui me harcelèrent dès que j’ouvris les yeux.
J’hoquetais de stupeur. Ce qui m’entourait n’était plus gris, le souffle glacé qui avait été mon quotidien jusqu’alors avait été remplacé par une douce chaleur. J’eus pour tout premier réflexe de fermer les yeux pour profiter un long moment de ce confort qui me sembla sur l’instant plus précieux que tout le reste. Mon cœur battait, et il y avait là un miracle qui, sans que je le comprenne bien, fit naître en moi une émotion que je ne contrôlais pas.
- Vous pleurez, Hermary.
Je sursautais presque en apercevant la personne qui s’était adressée à moi de manière aussi sèche. Au travers du voile de mes larmes, je ne vis que l’or de ses cheveux qui l’espace d’un instant fut mon seul soleil. Dans un élan, dont aujourd’hui j’ai du mal à me remémorer sans un peu de honte, je me levais et passais mes bras autour de ce très cher cou.
- Catherine, pour toi je serais toujours Catherine, soufflais-je à son oreille tandis qu’au contact de son corps, je m’extasiais de la béatitude d’être vivant.
Il me repoussa brusquement sans pour autant relâcher mes bras qu’il tenait à deux mains. Je réalisais qu’il n’était pas lui. Ce « lui », ce frère, déjà dont les traits m’échappaient pour rejoindre les fantômes de souvenirs dont je ne me doutais pas encore de l’absence. L’homme qui se tenait devant moi avait le visage grave et des yeux noirs qui me scrutaient durement. Ses cheveux étaient clairs, mais cela n’avait rien de naturel. Je réalisais alors que je le dépassais. Ce fait anodin me fit pourtant comprendre pleinement l’incongru de la situation.
Je n’étais plus frêle, ni de porcelaine, ma chair était celle d’un humain, et du peu que je pouvais en juger, un humain bâti solidement. Un homme dont le nom était sur le bord de mes lèvres sans que je le laisse s’échapper. Celui qui me faisait face m’observait toujours, sûrement devais-je avoir une allure curieuse avec mes joues trempées.
Je pris conscience de mon corps, ou plutôt celui de mon hôte, et avec lui de l’identité que je devais faire mienne. Je reconnus aussitôt l’endroit où nous nous trouvions. Notre-Dame des Sacrements, l’église gothique située dans le vieux quartier d’Immac. La première question qui me vint à l’esprit fut d’une banalité affligeante.
- Qui êtes-vous ?
Son aura m’apparu, et avec elle, ma réponse. Le cas « Saint-Cyr ». Ma mission. L’écho du dernier avertissement d’Etienne : si j’échouais, mon seul avenir serait de coller des gommettes de couleur sur les dossiers d’archive.
- Vous deux ! Il y a des endroits plus convenables pour ce genre de chose !
Nous nous écartâmes vivement l’un de l’autre, mettant la distance réglementaire d’un bras en guise de séparation. Nous devions avoir l’air tout aussi ridicule à nous tenir ainsi le dos droit si j’en crois le sourire qui se dessina alors le visage de celui qui venait d’interrompre nos retrouvailles. Un petit homme au physique râblé et aux cernes si creusés qu’on lui aurait donné pour plusieurs mois d’insomnie.
- Repos la bleusaille. Alors, voyons ce que j’ai là. L’agent Hermary. Première affectation, hé ? Vous avez du pisser sur la jambe d’un sacré ponte pour vous retrouver ici. Et avec ça y’a…
- Monsieur, jamais je n’ai…
- Silence ! Tu te crois où p’tit ? C’est un lieu saint. Et baisse les yeux quand je te parle, ce sont des vrais gyrophares. Qu’est-ce que je disais ?
- « Et avec ça .. », monsieur ? proposais-je de mon ton le plus civil.
- La ferme ! Et avec ça y’a le clebs enragé. Attention, Cyr, on vous a l’œil. JE vous ai à l’œil.
En voilà un qui avait lu son dossier, mais qui n’avait jamais eu à le rencontrer. Ce que j’appréhendais arriva. Et bien que dans un geste préventif, puisque après tout l’ange de Laurent était sous ma surveillance, je tentais de le retenir, Cyr avait déjà avancé de deux pas.
Nous plissâmes les yeux de concert lorsque l’aura du petit homme claqua comme un coup de fouet et nous fîmes un pas prudent en arrière.
- Je préfère ça, la bleusaille. Inutile de perdre plus de temps, voilà vos assistants personnels. Votre contact dans la ville s’appelle l’Ombre. Pour toutes les questions d’intendance et les broutilles, vous vous arrangerez avec lui. Pour le reste…
Son regard creusé et faussement fatigué se posa sur moi. Le sourire qu’il arborait se mua d’une manière qui me déplu fortement. Une image fugace s’imposa à moi. Une silhouette, une voix si profonde et terrifiante qu’elle rendaient les petites brimades de mon superviseur, Etienne, presque sympathiques.
- … je vois que vous vous souvenez à qui il faut vous adresser. Rompez !
Je restais transi. Non, je n’avais pas oublié mon juge, mon bourreau, et celui à qui je devais mon existence de dévotion.
Cyr ne m’avait pas attendu, sitôt son pda rangé dans une poche, il s’était éloigné pour rejoindre la sortie de l’église. N’attendant rien de lui, je ne fus pas déçu de constater qu’il était décidé de faire comme bon lui semblait. Pour autant, je n’étais pas décidé à me laisser faire. Plus que jamais j’avais conscience que ma carrière autant que mon âme étaient en jeu.
Je m’élançais à sa poursuite. Mal m’en prit. Ce corps dont je m’étais tantôt émerveillé avait une faille terrible et c’était genoux à terre que je le réalisais malgré moi. Ma vision se troublait pour se laisser envahir de tâches noires. Alors que le vertige me drainait de toutes mes forces, j’eus à peine le temps de me baisser instinctivement pour amortir ma chute. Je remerciais la mémoire corporelle de mon hôte de m’éviter ainsi une déconvenue encore plus grande.
- Cyr ! Saint-Cyr !! Je vous somme de revenir !
Je l’appelais entre deux souffles, partagé entre l’impuissance et la rage de le voir m’échapper à peine dès notre arrivée.
Il se retourna et sembla exprimer une surprise qui n’était pas feinte. Le contraste entre mon ordre et mon incapacité à pouvoir le faire appliquer avait de quoi rendre narquois, pourtant, alors que je ne l’espérais plus, il devint hésitant.
Je dus me résoudre à un procédé humiliant et transformais mon ordre en supplique.
- S’il vous plait, Cyr ?
Il revint sur ses pas, et, avec une force que ne laissait pas soupçonner son allure, m’aida à me relever.
- Vous allez bien ?
Sa question n’était empreinte d’aucune tendresse. Il désirait seulement une réponse, et je le remerciais intérieurement de ne pas m’humilier d’avantage avec une compassion déplacée.
- Oui. Je vous prie d’accepter mes excuses. J’ai perdu l’équilibre.
- …
Il se contenta de me regarder, mais plutôt que de reprendre sa route, cette fois il restait à mes côtés. Je ne devais pas laisser filer l’occasion et prendre les choses en main.
- Bien. Il est…
Je consultais le pda, fort heureusement mon hôte avait su manier ce genre d’engin. Dans tous les cas j’étais déterminé à apprendre vite.
- …20h15. Il va nous falloir trouver un endroit où loger, nous ne pouvons pas rester ici, et puis prendre contact avec cette « Ombre ». Voyons s’il y a une adresse ou un numéro…
Je grimaçais un peu en constatant que je ne trouvais aucun fichier pouvant correspondre à celui que se faisait appeler l’Ombre.
- Il n’est pas recensé !
- Dans ce cas, cela signifie qu’il viendra à nous.
Je tournais mon regard vers Cyr. Il avait usé du « nous », voilà qui était positif. J’acquiesçais et me dirigeais en sa compagnie vers l’extérieur. Au pire, je me sentais capable d’improviser une solution de secours.
L’air frais une fois dehors m’arracha un sourire de plaisir. Mon épiderme entier était un récepteur et je voulais bien qu’on me confia les pires travaux pourvu qu’on me laisse garder la volupté de posséder une peau.
Je fus tiré de ma rêvasserie par une forme que j’identifiais aussitôt comme curieuse. De fait, celle-ci nous fixait avec tellement d’insistance que je finis par comprendre.
C’était elle. L’Ombre.