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Oups ! - Je t'avais pourtant prévenu !
#11
Musique-dies irae


Gabriel et Samaël étaient égaux. Ils étaient en effet aussi adroits l'un que l'autre et d'une force identique. Leur science du combat elle-même s'annulait. Dans ces conditions, le combat était voué à durer une éternité. Mais l'épée de Gabriel était d'une trempe différente de celle de son frère, l'acier le plus dur étant incapable de résister à son tranchant.

C'est ainsi que , tel deux reflets, les deux anges levèrent conjointement le bras pour frapper. Mais, alors que le coup s'abattait des deux côtés dans une symétrie parfaite, l'arme de Samaël fut coupée en deux, n'offrant plus aucune résistance à celle de Gabriel. La lame de feu poursuivit alors sa course dans le flanc de l'adversaire, déchirant une chair jusqu'alors inviolée.

Pour la première fois le rebelle connu la douleur.

Rien n'était finit cependant. Une horde de partisans arracha immédiatement le blessé à la vindicte de son frère et déjà la bataille se réorganisait.

Pendant ce temps, dans la salle du Conseil, un seul être était resté à sa place, immobile : Dieu. Bien que les murs le séparaient des scènes de la bataille, son regard infini n'avait rien raté de ce qui se passait. Où que ce soit.

Semblant alors reprendre conscience, comme si chaque instant auparavant n'était que réflexion, le Créateur leva une main. Sa décision était prise.

Ce qu'il avait prévu s'était produit, il fallait maintenant passer à l'étape suivante. L'issue de la guerre, au sein du Paradis, était désormais certaine.

Un claquement de doigt retentit au sein du silence relatif de la salle...



Musique-Lacrimosa


Nous parlions donc de combats, de coups et j'en passe... Des cris s'élevaient, des volutes de fumée faisaient de même. Et loin de tout ça, nos deux héros se battaient eux aussi. Rien de ce qui se passait dans la cité n'aurait dû leur échapper car, rappelons-le, la colline où ils se trouvaient offrait une vue imprenable. Sans doute auraient-ils même pu commenter chaque acte de ce chaos meurtrier.

Mais au lieu de ça, ils se chamaillaient, peu conscients de la tourmente qui se créait non loin d'eux. Et quel combat mes amis ! Rien à voir avec celui de Gabriel et Samaël ! Avec leur seules mains nues, chaque coup porté ne laissait rien de plus qu'une marque rouge. Et ils continuaient à palabrer avec ça !

Nastarël ordonnait, invectivait, parfois même suppliait... Il cherchait par tous les moyens à raisonner son frère. Naqiyël, lui, fanfaronnait, se moquait et esquivait. S'il pouvait, il tirait même une langue rageuse à son frère. Il était clair qu'aucun des deux frères ne voulait de mal à l'autre, bien qu'ils n'avaient pas la même vision des choses. Tout cela aurait pu durer des siècles ! Dans ces conditions, ni l'un ni l'autre n'allait s'écrouler de sitôt, puisqu'ils ne se battaient pas sérieusement, et aucun ne comptait lâcher l'affaire.

Tout enchaîna alors très vite. De côtés opposés, deux groupes arrivèrent  en haut de la colline, l'un loyal, l'autre renégat ; le pouvoir stratégique de contempler un champ de bataille attirant bien des convoitises.

Avant même de percevoir les deux querelleurs, ils repérèrent la faction adverse et, immédiatement,  se jetèrent dans la bataille. C'est ainsi que nos deux jumeaux se retrouvèrent au milieux d'un vrai bordel.

La guerre est ainsi faite. Elle est composé de hasard et de confusion... Mais dans notre histoire, ces notions de camps étaient plutôt neuves... Du reste, il n'y avait pas d'uniforme. Comment se douter qu'il y avait deux factions ennemies ici ?

Naqiyël et Nastarël ne comprirent donc pas grand chose à ce qui arrivait... C'est le moins qu'on puisse dire. Ce qu'ils pouvaient observer, c'était que des énergumènes colériques se joignaient à eux... Avec des armures, des épées tranchantes... Et qu'ils ne plaisantaient pas en plus, eux ! L'une de ces armes mordit d'ailleurs la chair d'un énervé, laissant jaillir du sang chaud qui éclaboussa le visage de Nastarël. Surpris, celui-ci resta un instant interdit.

Hors de toute organisation, nos "héros" se trouvaient mêlés à une véritable lutte où la haine prédominait. Et il semblait que des deux côtés, loyaliste comme rebelle, on considérait toute tête inconnue comme ennemi potentiel. Pas de chance pour nos deux frères qui se trouvaient là bien malgré eux et qui, donc, n'étaient officiellement reconnus dans aucun des deux clans. Il fallait fuir !

Nastarël fut le plus prompte à réagir, sans doute parce qu'il pressentait que la situation était plus grave que ce que son frère croyait. Dès qu'il le pu, il tira son double par le col et le poussa littéralement hors d'atteinte des brutes. Une fois son frangin en partielle sécurité, il s'élança, cherchant à le rejoindre... mais la chance n'était décidément pas son alliée aujourd'hui. Il trébucha sur les jambes d'un ange à terre et s'effondra lourdement au sol, face contre terre.

Alors que Nastarël tentait de se redresser au milieux de toute cette pagaille, évitant au passage de se faire bousculer une fois de plus, un colosse s'approcha. Ne voyant en notre malheureux qu'un traître en fuite, il leva une lame justicière dans sa direction... Il était trop tard pour fuir. La position de l'ange à terre ne lui permettait même pas une esquive rapide...


  « Au moins, mon frère est sauf. » , pensa-t-il furtivement, sentant instinctivement venir sa fin.


Tout devait se finir à ce moment pour Nastarël. D'un mouvement précis et mortel, l'ange inconnu abaissa lourdement son épée et...  se reçut un coup de pied non moins violent en pleine figure. Naqiyël était revenu dans la mêlée ! Une fois la cible touchée, il tira à son tour son frère et l'emporta loin du conflit.

Les deux déserteurs qui détalaient comme des lapins furent alors laissés tranquilles. Les combattants préféraient s'occuper de plus dangereux qu'eux.

Courant à perdre haleine, nos fugitifs rejoignirent une grotte pour s'abriter. Au départ le silence se fit, brisé uniquement par leur souffle loqueteux. Personne n'osait prendre la parole. L'un comme l'autre était perdu, l'un comme l'autre pouvait enfin entendre le fracas de la bataille en contrebas.  Une clameur de détresse comme de rage résonna alors dans toute la  Citée Céleste. Sans que nos héros le sachent, Samaël venait de recevoir sa blessure..

Au fond de la grotte, Nastarël n'en menait pas large, bien que des deux, c'était lui qui faisait plus facilement le lien entre ces combats et projet de Samaël. Mais ne pouvait-on pas trouver une solution plus pacifique ? Dieu et Samaël étaient les personnes les plus sages de la Citée, ils allaient forcément finir par trouver un accord malgré tout ! En attendant, il se devait de protéger son frère. Il avait fait l'erreur de le laisser descendre, ce qui faisait officiellement de l'inconscient un renégat. Il l'avait pourtant prévenu ! Dieu était contre ce projet !

Attiré par un son étranglé, Nastarël jeta un regard à son frère. Celui-ci semblait affolé, comme figé par la peur. Cela ne lui ressemblait pas. Lentement, trop lentement, Naqiyël se tourna vers son parent. Sa bouche s'ouvrit, poussant un petit gémissement d'incompréhension et de détresse. Il n'aimait pas cette caverne ! Plus que de se sentir en sécurité il se sentait enfermé ! Qu'était-ce donc cette sensation ?! Il ne comprenait plus rien et ça lui déplaisait fortement. Il voulait sortir, mais savait pertinemment que la bataille faisait rage dehors. Il était piégé...

Cherchant au fond de lui la force de surmonter sa peur, Naquiyël s'apprêta finalement à s'exprimer sur ce qui se passait. S'il l'avait fait plus vite, peut être que bien des choses seraient différentes aujourd'hui. Sa loyauté, la dernière fois qu'il l'avait exprimé, était dévouée à Samaël. Qu'allait-il donc dire à son frère? Probablement allait-il seulement exprimer son incompréhension ou peut-être ses regrets.

Dieu claqua des doigts sans que Naqiyël eut le temps de parler. Il faut dire que Dieu seul aurait pu lui dire que, s'il avait exprimé ne serait-ce qu'un seul regret, la situation aurait été différente.

Ce fut dès lors un cauchemar : Nastarël se mit à grandir et à dominer son frère! Non... Ce n'était pas ça ! C'était au contraire le sol qui l'avalait ! Oui, l'ange rebelle glissait d'une Marche quoiqu'il ne savait même pas ce que le mot "Marche" signifiait. Étrangement, la première pensée qui s'insinua à ce moment dans son esprit fut :


« Oups... »
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#12
L'obscurité...

On ouvre les yeux...

L'obscurité encore.

Un instant Naqiyël pensa qu'il n'existait plus. D'ailleurs, il ne savait pas ce qu'il faisait là... Le désespoir a ceci de réconfortant qu'il n'y a plus rien à faire.

Puis des plaintes arrivèrent. D'autres que lui s'étaient réveillés.

Le déchu, puisque c'était bien ce qu'il était, se redressa, hébété. Ses yeux s'habituèrent à la pénombre. Autour de lui, beaucoup de formes allongées, ou plutôt, tordues sur le sol. C'étaient ses pareils. Ils ne bougeaient pas, mais rien en eux n'évoquait le repos. Plutôt un espèce de coma malsain. Au loin, une silhouette semblait se pencher sur chacune des créatures endormies... Elle allait en s'éloignant. Vaguement, notre héros se dit que, quoique la chose faisait, elle avait du le lui faire alors qu'il était encore en « sommeil ». Curieusement, cela ne l'alarma pas vraiment...

Comme lui, certains s'étaient réveillés. Des créatures hideuses, parfois grotesques, erraient, ou demeuraient assises avec le même air d'incompréhension que le sien. De fait, l'ombre jouait des tours et enlaidissait volontiers les acteurs de cette lugubre scène. Il y en avait cependant qui avaient gardé une figure normale.

Naqiyël était de ceux là... Il s'observa comme s'il faisait connaissance avec lui même. Comme s'il se découvrait en quelques sorte. Les souvenirs lui échappaient, comme un rêve vous échappe au réveil. Il y avait eut une bataille. Il l'avait perdu... En tout cas, il avait perdu quelque chose c'était sûr. C'était la faute à ceux qui avaient gagné. Réaction basique, mais logique.

Autrefois, il avait des ailes dans le dos qui lui permettaient de voler... Il passa sa main à cet emplacement... plus rien. Au lieu de ça, des griffes lui meurtrirent la chair. Plaçant ses mains devant lui, il les observa avec plus d'attention.

Oui, c'était ça ! Il y avait eu comme une chute. Ses ailes s'étaient brisées, et avaient même été littéralement arrachées. Il se souvint de la douleur... Ça avait duré longtemps. Il avait paniqué, et ses mains avaient fouetté tout ce qui l'entourait... C'était bizarre, mais il n'avait pas eu l'impression de chuter dans le vide... Au contraire, il s'était enfoncé dans de la matière... Était-ce la réalité d'un souvenir, ou d'un cauchemar ? Bref, ses griffes étaient nées à ce moment là. Il avait voulu s'accrocher à … la parois ? Pour essayer de remonter. Cela n'avait pas marché... Rien n'avait arrêté la Chute.

Et puis ? Ben il était tombé là.

Finissant son inspection, l'ancien ange ne constata que sa toge en lambeau et la saleté sur son corps. C'était curieux, mais il n'était pas blessé. Enfin, il leva le nez et contempla son « point de chute » … Dès lors il se leva vivement. Il était dans une une large salle caverneuse. Un souvenir insaisissable lui revint en mémoire. Probablement un piège dans lequel un ennemi l'avait entrainé. C'est ce que ce lieu lui rappelait, quoiqu'il soit incapable de se souvenir des détails.  Ici, c'était plus large, mais il n'arrivait pas à se départir de cet impression gênante : il était piégé.

« To... toi ! »

La voix tira l'ange déchu de son début de panique. Elle provenait d'une masse difforme à quelque pas de lui. Le pauvre hère, qui semblait l'avoir reconnu, avait beaucoup moins de chance que notre héros. Pour son malheur, ses ailes à lui n'avaient pas été arrachées... D'immondes bâtons osseux sortaient de son dos. Disgracieux, ils ne pouvaient en aucun cas porter leur propriétaire dans les airs. Pour le reste « Torturé » était le mot qui venait à l'esprit. Ses membres formaient un angle improbable, et il semblait bien blessé en vérité. Il était en tout cas incapable de se relever. La chose était enfoncée dans un trou au niveau du sol. En fait, elle épousait littéralement la terre. Seule une partie du visage dépassait, permettant à Naquiyël de contempler celui qui l'appelait à l'aide.

Cependant, en observant son visage, plutôt régulier, une certitude se fît jour dans l'esprit de Naqiyël : il le connaissait.

Oui il le connaissait, pourtant, impossible de le situer, à vous autres, lecteurs, nous pourrons dire qu'il s'agissait de son ancien ami, Zeruel, mais le nom, comme les circonstances de cette connaissance lui échappaient. Le déchu valide s'approcha de son comparse avec méfiance. Aussitôt une main aussi crochue que la sienne fouetta l'air en direction de l'approchant. Incroyablement vif, le bras se révéla aussi anormalement long.

« Aide moi »

La chose se révéla plus exigeante que suppliante. Et puis elle ne semblait pas si blessée que cela finalement. A l'image d'une branche noueuse, son bras n'en parvint pas moins à se saisir de la jambe de Naqiyël... Affolé, le déchus tenta de se dégager, sans succès. Il manqua de tomber. Celui qui était jadis le beau Zeruel le tractait jusqu'à lui.

C'était comme un fourmilion qui entrainait sa proie vers... un endroit encore plus profondément enfouis que celui où ils étaient maintenant

Naqiyël projeta son autre pied en avant, percutant le malheureux déchu gisant au sol. Ce fut fait avec une telle violence, que ce dernier s'arracha de sa prison de terre et roula quelques bon mètres plus loin. Un cri de rage et de frustration plus tard, et les nouvelles griffes du démon déchira la chair de Zeruel. Un cri qui se mua en  rire forcené pendant le massacre. La chose inerte qu'était Zeruel ne pouvait guère se défendre, et subit les assauts du dément.

Aux alentours, certains s'éloignaient prudemment, d'autres observaient intéressés. Enfin d'autres semblèrent désireux d'expérimenter l'exercice à leur tour. Nul n'intervint. Mais les plus forts regardait les plus faibles d'un œil intéressé. Les plus intelligent parmi les observés, s'éloignèrent.

Pendant ce temps, le massacre s’achevait. Un spectacle oublié de tous, mais néanmoins familier s’offrit au publique: le sol aspira Zeruel...

...Et ce dernier retomba aussi sec à l'exact emplacement où il se trouvait. Naqiyël se dégagea, surpris pas le phénomène... L'enfer, qui ne portait pas encore ce nom, était l'ultime Marche de la création. On pouvait y mourir, mais c'était ici qu'on retomberait de toutes les façons.

Un piège... C'était peut être ça effectivement.

Encore une fois l'ancien ange se laissa aller à sa panique, son désespoir et sa frustration. Il les extériorisa sur plus faible que lui. Cela dura, recommença, en une suite de barbarie plutôt monotone finalement...

C'est donc ici que nous le laisserons, pour l'instant.
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#13
Quelques milliers d'années plus tard, bien des choses sont arrivées. La cité de Dis s'est élevée, mais de cela notre démon ne s'en souvient pas. Pas plus que de son nom originel, dont il a changé. Même lui ne se souvient pas qu'il s'est appelé Naqiyël.

Il ne se souvient pas non plus de ce qui l'a poussé à prendre ce nom pompeux de Victorious...

Qu'importe, nous sommes loin de Dis, et même loin de l'Antre, cette curieuse Marche propre à Immac-sur-Sable. Nous sommes dans cette ville justement, il est trois heures du matin et l'homme qu'il habite rentre chez lui.

Son incarnation n'as pas atteint la trentaine. Comme tous ses précédents corps d'accueil, il s'agit d'une personne élégante, mais aussi nantie. Le possédé rentre dans un appartement cossu, il retire son blouson de cuir qu'il jette en vrac sur un siège, ou du moins vise-t-il ce siège: il ne se soucie guère du devenir du dit blouson.

C'est un jeune homme épuisé qui rentre dans sa chambre, sans allumer. Il a passé sa soirée à draguer de l'humain, et à discuter boulot avec des démons. Il s'allonge lourdement sur le matelas, ses paupières lourdes se ferment toutes seules... en quelques minutes les premiers songes l'enveloppent, alors qu'il est à mi chemin vers le pays des rêves. Vous savez ? Lorsque vous sombrez dans l'inconscience, vous laissant caresser par les premières visions oniriques... Ça ne vous préserve pourtant pas d'une ultime pensée éveillée, violente et incisive. Le dormeur rouvre brusquement les yeux, il va encore rêver de "lui" !

Il se retourne, sa voisine est là. Comme un petit bourgeois, il a prit une humaine chez lui pour des besoins qui lui sont propres. Elle va lui être utile. La jeune femme ne dormait plus. En bon égoïste qu'il était, il l'avait réveillé en s'allongeant. Toutefois ensommeillée, elle met du temps à comprendre la nature de son désir. Elle ne le repousse pas. Si elle l'avait fait, le démon l'aurait laissé tranquille, non sans grincer des dents. Il as besoin d'elle et il ne faut pas l'abimer, bien qu'elle soit parfaitement remplaçable.

L'étreinte à quelque chose de mécanique par rapport à d'habitude... Le démon cherche simplement à repousser le sommeil et à changer ses idées. Ces rêves ne sont pas les bienvenus... Il y ressent des choses qu'il n'a vu qu'en lisant le cœur des humains jusqu'à maintenant... Heureusement, la Baronne des Cauchemars n'est plus là pour espionner son sommeil.

Les deux corps se mêlent avec force, les souffles se mélangent. Le manque de passion est facilement remplacé par la vigueur surnaturel du démon... Son esprit est toutefois complètement ailleurs... Si quelqu'un découvre ce qui se passe dans sa tête, même s'il n'a aucun contrôle dessus, ça va mal finir. Peut être par un retour en Enfer ?

Un violent coup de rein, le cri de l'humaine atteste qu'il n'est pas assez doux. Il doit se calmer... Oh qu'il aimerait se laisser aller pour oublier ce marasme impossible à saisir. Si seulement il se comprenait lui même. Depuis qu'il est à Immac, la mémoire lui revient lentement... Il se souvient avoir été sur la sellette, il y a longtemps... Trop violent, on voulait se débarrasser de lui. Lui faire quitter le service de Son Altesse Andréalphus... Ça c'était arrangé, il ne sait plus comment.

Mais là c'est pire... Il ne s'agit pas d'un excès de violence, mais d'un sentiment impardonnable, qui le met en danger non en tant que séide d'Andréalphus mais en tant que Démon.

La jouissance de sa partenaire le surprend. Quoi, déjà ? Ou elle fait semblant parce qu'elle en a assez ? L'un dans l'autre, c'est le signal de la fin... Faut être sage, ne pas l'épuiser. Le couple se sépare... Quelques mots vide de sens, les premiers de la soirée, sont échangés. Même pour ça il n'y pense pas, les humains sont parfois délicieusement surprenant, mais ce soir ce n'est pas le cas. Sans doute parce que personne ne se lâche... Et personne ne se lâche par peur de soi-même au final.

Le sommeil si craint viendra tôt ou tard.
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#14
La scène passait en boucle dans l'esprit de Nastarël. Il revoyait son frère s'enfoncer dans le sol... C'était allé si vite ! Pourtant il avait eu l'impression d'avoir vécu cela au ralentit : Naquiyël aspiré inexorablement vers le bas, lui jetant un regard paniqué et tendant sa main vers lui... et lui... s'était retrouvé impuissant.

Oh ! Bien sûr qu'il avait essayé d'attraper son frangin, mais sous le coup de la surprise, son geste fut trop lent et sa main n'atteignit que le sol froid de la caverne. A quatre pattes, il tenta alors de creuser avec ses doigts tandis qu'il appelait son frère sans relâche.

Rien à faire, le sol était resté intact et seul l'écho de la grotte lui répondit... Il était seul. L'ange réalisa petit à petit combien le silence était pesant. Pas seulement dans la caverne... la bataille avait cessé. Peut-être n'avait-elle d'ailleurs jamais eu lieu !  C'est cela ! Ce n'était qu'un mauvais rêve et son frère devait l'attendre quelque part. Prestement, Nastarël sortit... Le spectacle qui s'offrit alors à lui fut désolant.


Des volutes de fumée se dispersaient de toute part, comme autant de séquelles des combats qui avaient eu lieu. Au sol, gisaient de nombreux blessés et partout erraient des êtres aussi déboussolés que lui... Le chaos avait laissé des traces, dans la Cité et dans les âmes.

L'ange erra dans cette Cité meurtrie, cherchant du regard son double, se dirigeant naturellement vers les lieux qu'ils avaient pour habitude de fréquenter. Il alla même observer sur terre ce qui se passait, mais n'y vit aucune trace des rebelles. Autour de lui, des rumeurs circulaient sur eux... Ils auraient été tués par Dieu, comme on pouvait le faire d'un humain, et ne reviendraient jamais. Les rumeurs ont ceci de bien qu'elle peuvent tout inventer.

C'était inconcevable... Nastarël ne pouvait croire ces bruits de couloirs et rien n'aurait pu lui faire comprendre qu'ils avaient en fait été bannis.  Finalement, l'ange rentra au sanctuaire qui servait de domicile aux jumeaux et attendit, assis sur le perron. Au bout de nombreuses heures à attendre, sursautant au moindre bruit d'approche, le sommeil finit par prendre le dessus et l'ange s'endormit. A son réveil, sa mémoire avait disparue, jusqu'à son propre nom.



-----------


Les années, voir les siècles passèrent et il fallut s'organiser contre la menace démoniaque. Très vite chaque ange s'était affilé à un archange en vu de combattre ces nouveaux ennemis. Le but premier : Détruire cette menace tout en limitant les dégâts sur terre. Mais notre ange désormais amnésique se sentait très loin de tout ça. Ce qui se passait sur Terre ne l'intéressait pas. Sans savoir pourquoi, il pensait que rien de bien ne se trouvait ici bas.

Ses camarades angéliques avaient beau lui faire comprendre qu'il fallait protéger les hommes, cette création de Dieu, il n'y pouvait s'y résoudre. Les humains n'amenaient chez lui qu'un sentiment d'amertume... Il leur en voulait même s'il ne pouvait expliquer pourquoi.

C'est ainsi qu'il passait ses journées à errer au Paradis, sans réel objectif, sans ambition... Comme une coquille vide.... Le seul sentiment qu'il ressentait était une indifférence totale noircie néanmoins par une légère touche de sensation de solitude. Parfois, il rentrait chez lui et s'installait face à un grand chevalet, mais aucune inspiration ne venait.


Un jour cependant, un autre ange l'observa de loin. Il regarda Nastarël passer et s'installer en haut de la colline qui dominait la Cité. Ni une ni deux, il alla rejoindre notre héros.

« Salut !
- …
- Que fais-tu tout seul ici ?
- Rien
- T'es pas très causant... T'es un Dominique en mission secrète ou quoi ?
- Je ne sers personne en particulier
- Ah ? Pourquoi ?
- Je ne vois pas l'intérêt de m'occuper de la Terre et encore moins des hommes. »


Nastarël s'attendit au flot de reproches qui s'enchaînait habituellement après ses révélations, mais rien ne vint. Au contraire, l'ange lui offrit un grand sourire.

« Moi aussi les hommes m'ennuient... ils sont trop prévisibles. Et taper du démon pour taper du démon, c'est d'un chiant ! Mais il y a autre chose sur Terre.
- Si tu le dis...
- Mais siiii !  Allez, viens avec moi, je vais te montrer.»


C'est ainsi que l'inconnu l'attira sur Terre. C'était la première fois que Nastarël l'observait depuis la Chute. Il ne dit mot et continua à suivre son interlocuteur sans grande motivation. Les deux anges arrivèrent alors dans une clairière. A l'orée d'un bois, une étrange scène s'offrit à lui.

Deux louveteaux blancs se chamaillaient, insouciants du monde qui les entouraient. Leur mère ne devait pas être loin, mais Nastarël ne la chercha pas. Ce qui se passait devant lui remua quelque chose d'enfoui au plus profond de son âme... C'était triste et réconfortant à la fois. Sans comprendre, l'ange sentit quelque chose d'humide couler le long de sa joue... Il pleurait pour la première fois.


« C'est beau n'est-ce pas ? »

L'amnésique tourna la tête vers son interlocuteur et seule une question fut posée.

« Qui sers-tu ?
- Jordi, ! L'Archange des animaux. C'est pour protéger des choses comme cela qu'il œuvre.»


Sans ajouter un mot, Nastarël reprit sa contemplation. L'ange avait trouvé une raison de vivre et il comptait bien la protéger.

« Au fait, comment tu t'appelles ?
- Je ne sais plus...
- Ah ouais... Toi t'as oublié jusqu'à ton propre nom ! Ce n'est pas grave, on t'en trouvera un autre en temps voulu mon p'tit loup. Viens, je vais te présenter les potes. »


Nastarël rejoignit donc ce qui devint sa meute. Elle lui apporta soutien et réconfort et , ensemble, il œuvrèrent pour la défense des animaux. Sans remord aucun, il finit même par apprendre, au fil des siècles, le maniement des armes qu'affectionnaient ses pires ennemis. Cela lui valu au final un nouveau nom.
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#15
La mission était terminée et la nuit tombée depuis longtemps. Il fallait maintenant laisser son incarnat se reposer. Mais Riffel n'avait pas sommeil. Enfin... Si il était crevé. Mais il redoutait le moment de se coucher. Cela finissait toujours de la même manière : un réveil en sursaut associé à la sensation d'avoir oublié quelque chose d'important. Le pire était les sentiments qui s'inscrivaient peu à peu dans sa chair : doute, tendresse, solitude, besoin, colère, désir.... Tout se mélangeait dans un maelström incompréhensible.

Et à chaque fois, un même regard flottait dans ses songes, inéluctablement. Le même regard qu' "il" possédait. C'était... Perturbant.

Donc, dès que son corps réclamait du repos, l'ange cherchait une occupation en espérant tomber, au final, dans un sommeil profond et sans rêve. Avant c'était facile, il lui suffisait de squatter chez sa voisine pour rester devant des jeux vidéos ou des animés jusqu'à pas d'heure. Mais Kimmy était maintenant partie. Aller embêter quelqu'un d'autre à cette heure était impensable. Cela finirait sûrement par un flot de questions et l'éveil de soupçons. Le Jordi ne voyait donc qu'une solution : l'entraînement.

Suivit de près par deux petites silhouettes discrètes, Riffel se dirigea donc vers la salle d'entraînement de la Manus. Là, il commença à lancer divers projectiles sur des cibles mobiles, tout en enchaînant divers mouvement complexes avec la souplesse d'un chat.

En parlant de chat, l'un des deux intrus, habitué à courir après tout ce qui bouge, même les jambes de son nouveau maître, se dit que sauter sur les dagues était une bonne idée. Heureusement, Riffel empêcha de peu la mise en brochette du félin en déviant le projectile par un autre lancé avec plus de force. L'accident esquivé, le Jordi attrapa le fauve par la peau du cou afin de l'approcher de son visage


« Dis Gratouille... Tu sais qu'à l'état sauvage tu serais mort depuis longtemps... »

Le chat émis un miaulement plaintif. Non pas pour répondre au sermon de l'ange, mais plus pour signifier qu'il n'aimait guère être tenu ainsi. Enfin bref... mieux valait arrêter là l'entraînement et rentrer avant d'avoir un accident.

Mais la crainte du sommeil était toujours là. Aussi Riffel décida de s'occuper avec un peu de paperasse. Il s'installa bien sagement sur son bureau avec Gomette couchée sur le plan de travail, pendant que l'autre chat jouait à cache-cache avec le rat. Mais chacun sait que se concentrer sur l'administratif alors qu'on est vanné n'est pas une chose aisée. Rapidement, la feuille destinée à devenir à un rapport de mission se couvrit de gribouillis, illustrant bien l'état d'attention du jeune homme.

Ce qui devait arriver arriva... les paupières se firent de plus en plus lourdes et l'ange finit par s'assoupir sur son bureau.

Rapidement, différentes images se mirent à défiler dans sa tête sans qu'il puisse vraiment les décrypter. C'était à la fois inconnu mais étrangement familier. Ses songes étaient habités de paysages variés, peuplés d'êtres sans visages... Et "lui" était là. Il ne le voyait pas clairement, mais Riffel savait qu'il était là... Proche... Trop proche. Mais en même temps, il restait inaccessible. Et le tumulte des sentiments reprit sa danse folle, passant allègrement de la joie la plus enfantine à la tristesse la plus profonde. Parfois, les images se faisaient plus concrètes. Ils étaient ensemble, la plénitude les entourait jusqu'à ce que... tout s'écroule à nouveau.

Une fois de plus,  Riffel se réveilla en sursaut ; le corps recouvert d'une moiteur désagréable. Cette fois encore il était déboussolé, ne comprenant rien à ce qui lui arrivait. La seule chose qui lui restait était l'impression d'être incomplet. Il avait envie de hurler mais ne savait pas quoi dire. Les larmes ne sortaient pas mais il avait une furieuse envie de pleurer.

Son regard erra un instant sur ce qui restait du rapport. Inconsciemment, il l'avait à nouveau dessiné... Encore lui ! D'un geste rageur, il déchira la feuille... Il la brûlera plus tard.

Si cela continuait, il allait devenir fou. Il fallait qu'il réagisse avant de faire une bêtise qu'il risquait d'amèrement regretter. Il avait déjà fait son lot de conneries même si ce n'était rien de bien méchant. Mais ça... Il y avait peu de chance que ses confrères puissent lui pardonner. Que ces rêves soient une réalité ou une manipulation, ils commençaient à prendre trop de place et le Jordi n'arrivait plus à réfléchir posément. Il fallait clairement qu'il se retape avant de prendre des décisions.

Tout à ses pensées, le regard de Riff' se posa sur une lettre qui trônait sur son bureau. Elle portait le cachet officiel de l'administration angélique. Sur celle-ci, une phrase simple permettait de comprendre la suite des évènements.

Votre demande de transfert temporaire a été acceptée, vous allez prochainement recevoir votre nouvelle affectation.

Il allait pouvoir prendre du recul...

C'est donc ainsi que l'on laissera le deuxième héros de notre histoire, hanté par une pensée qui revenait en boucle sans qu'il puisse expliquer pourquoi.

«Je t'avais pourtant prévenu. »
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