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La vieille plume noire court sur l’antique papier de carnet à la couverture de cuir dont les pages jaunies semblent infinies.
Voilà longtemps que Caleb n’avait pas écrit de notes journalières. Ce rituel qu’il mettait un point d’honneur à entretenir au quotidien autrefois avait subit les affres de son inaptitude passée à faire ce qui devait être fait.
Sa main gantée parcourt les lignes sibyllines pour le commun des démons.
« Ce soir marque la fin d’une époque. Il va me falloir confronter mon prince. Maudite soit mon inattention. Maudit soit-il, ce traître dont il me faut encore taire le nom.
Ce soir, je sombre dans l’oubli.
Abigail a peur, elle est venue se lover contre moi, tremblante en me disant qu’elle ne voulait pas faire face à tout cela.
La loge doit s’éteindre.
Mais je le jure sur ce cœur qui me sera arraché, elle renaîtra.
La loge sanglante et ses rois domineront de nouveau les marches ténébreuses.
Mon Geôlier arrive. »
Caleb exhale un nuage de fumée noire.
Il n’y a ni nostalgie, ni rancœur en lui. Il fait le constat d’une décennie dans l’oubli et d’une misérable réincarnation.
« elle renaîtra. » Ces mots lui arrache violemment un demi sourire sincère. Sauvage et emporté, au diapason du tic-tac qui s’accélère dans sa poitrine.
Alors il fait courir sa plume sur la page antique.
« La noire passion qui m’étreint pour ma Sœur gagne en substance chaque jour. Kronos dans son infini sagesse entretient tous les sentiments qui conduiront mon cœur de ténèbre vers les strates de la noirceur la plus parfaite.
Se languir d’une caresse. Songer à ses lèvres trop pâles, rêver de lui arracher l’épiderme comme le cœur et étancher ma soif d’elle en la dévorant.
Tout cela est un jeu dangereux et malsain auquel je me prête volontiers, faillir m’est désormais impossible.
Ainsi que ma prédiction le laissait entendre, la loge sanglante est de nouveau ouverte. Et avec elle, les courants maléfiques des rois et des reines la composant, coulent à nouveau sur le monde prospère de la Chair.
Hier nous avons vaincu, un glorieux détenteur de la blancheur angélique.
Un preux chevalier de Michel, bouffi d’Orgueil et de Colère. Sa frustration était palpable et a contenté Abaddon comme un millier d’incendies.
Le tison a parlé, et il s’est redécouvert une passion pour les joies pyromanes qui lui manquaient depuis Chicago.
Le nom de cet ange, je l’ai déjà oublié, doit-on se souvenir d’une marche que l’on gravit ? Assurément, non.
Aujourd’hui, c’est l’hôte d’Abaddon qui a rendu l'âme, la gloire et la victoire lui sont montées à la tête. C’est là l’un de ses défauts.
Et de chasseurs nous devenons proies.
Cela nous sublime. Nos sens sont désormais tendus vers un unique but, la mort. Et Madra n’est jamais aussi belle que lorsque même près de l’âtre d’un vieux réchaud, elle est si concentrée qu’elle exhale de la buée.
Mais j’entends déjà du bruit à l’extérieur.
Je note ici qu’il me faudra relater notre rencontre avec le chevalier Carankhen sous peu.
Gloire à la loge.
Gloire au sang.
Longues vies aux nouveaux rois. »
Le livre se ferme alors que l’encre se dilate encore sur l’épiderme de papier.
La lame surgit, froide et tranchante.
Tout est accompli.
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Caleb retira son gant, adossé au mur ancien et fendu du bâtiment dans lequel il se tenait reclus depuis des jours, échappant à ses assassins, écoutant les râles d’agonie des rois et des bénis.
Exhalant un souffle de fumée noire, il regarda Madra, lovée sur elle-même au fond du canapé qui lui servait de nid pour une nuit, une nuit de plus. Une nuit entière durant laquelle son hôte craindrait de ne pas voir l’aube.
Cette fois-ci, ils ne s’en tireraient pas. Du moins, c’était peu probable.
Trop rapides, trop expérimentés, trop hargneux, leurs nouveaux adversaires ne leur offriraient pas la chance de sortir indemnes de leur combat.
Mais chaque situation donnait lieu à des milliers de solutions. Autant de réalités que de battements de cœurs fébriles.
Il se laissa glisser le long du mur et sorti de nouveau, le carnet au cuir usé et aux pages jaunies par le temps, qui paradoxalement semblait lui-même, parfaitement hors de la marche temporelle.
Il décrocha le stylo à plume noir de la couverture où il était enchâssé, et griffonna.
« Cette nuit, ce jour…à un moment donné de cette journée que je ne saurais définir avec précision, j’ai rencontré le Baron Van der Decken.
La marche qu’il ouvre pour obtenir ses entretiens est désagréable, elle a la fragrance glacée des étendues d’eau que l’on prête aux seuls noyés.
Cependant, son bateau pathétique, monté sur roulette, lui coûte le peu que sa stature et son rang lui offrent de prestige. J’imagine qu'il faut une pointe d'excentrisme pour séduire un prince.
Le baron est un être aussi énorme qu’étrange, il n’a pas la grâce et la subtilité des grands intrigants, c’est un individu qui semble avoir obtenu son statut par la seule force de ses poings, ce qui me semble aberrant si j’en juge par sa propension à se faire parti et bourreau.
Il n’a aucune finesse et il ne s’exprime pas. Il grogne des borborygmes que ses favoris sont les seuls à pouvoir comprendre.
Au-delà de cette figure excentrique, j’ai du faire face à la jalousie des miens et je me félicite de les éduquer avec zèle. Ils ont mis en pratique mes recommandations et c’est avec regret que je me suis malheureusement échappé des mailles de leur filet fragile.
Un rapport non exhaustif basé sur une discussion avec Catherine.
Je crains que le contenu ne soit trop maigre pour me briser.
Au final, c’est peut être la particularité de ma dévotion à l’enfer qui me sauvera toujours de ces rapports.
Ma déférence n’est en rien issue d’une valeur comme la loyauté que l’on voue à son maître par conviction en sa grandeur et sa justesse.
Je ne possède pas le luxe de glorifier.
Mon indéfectible service à mon prince trouve sa source dans ce qu’il m’arracha : le choix.
Ma seule liberté est de sublimer mon existence damnée à travers la loge, et à ferrailler pour arracher ce qui n’est ni mon dû, ni un droit : la suprématie.
C’est là les fruits de notre éducation.
…
Un coup de feu vient de claquer dans l’air.
Abigail vient de jurer et elle maudit le laisser aller de Kerarthe. Ce nomade a gardé la nonchalance des barbares de ce peuple oriental dont il est issu.
Son hôte vient donc de mourir.
Nos ennemis se doutent-ils que notre nombre est encore loin d’être négligeable ?
Abigail craint pour son incarnation qu’elle voudrait pérenniser.
Je me vois mal la consoler.
D’autres que moi pourront le faire.
Ce jour, je jure de broyer ceux que je sais les instigateurs de ma confrontation avec le baron sur le banc des accusés.
Bien que je fus innocenté, je ne saurais leur pardonner leur geste et encore moins leur manque manifeste d’argument.
On ne laisse pas un adversaire en vie quand on s’attache à vaincre.
Ils paieront donc pour leur négligence. Je poserai les pièces sur vos yeux, conspirateurs.
Il n’y aura pas de terriers assez profonds, pas de répit.
Je ne commettrai pas vos erreurs.
J’interromps là mes écrits, il est temps de tuer…ou de mourir. »
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Sur le capot de la voiture, elle n’est qu’une femme d’allure médiocre. Une de ses femmes que l’on regarde mais que l’on ne voit pas. Potelée, pour ne pas dire obèse, avec ses yeux de cocker qui donne moins envie de lui tendre la main que de passer son chemin.
Il y a dans l’humanité une chose profondément ancrée dans l’âme de tout à chacun : le besoin. Sans besoin, il n’y a pas d’initiative. Cela peut sembler logique, mais en réalité, c’est on ne peut plus cruel.
C’est sans doute pour cela qu’elle masque sa gorge d’une grosse écharpe.
Personne n’a jamais eu besoin d’elle, et à son âge, cela devenait pesant.
S’ouvrir la gorge et se noyer fut sans doute le meilleur échappatoire possible. Une porte ouverte sur un monde où l’on prêterait attention à elle ?
Si elle avait su que cette porte était un seuil que l’on pouvait aisément franchir dans l’autre sens.
Elle aurait peut être réfléchie, un moment dans sa baignoire, avant d’empoigner le couteau.
Dans les ombres, sa silhouette s’étend, celle du mal et de la cruauté.
Caleb teste encore les réactions de ce nouveau pantin. Une nouvelle forme intéressante.
Il se souvient non sans soupirer du coup de fil qu’il a reçu peu de temps après s’être éveillé dans le corps flottant dans l’eau froide du bain.
De cette façon expéditive qu’il a eu de dire à sa nouvelle mère « ne m’attends plus ».
On peut gâcher une vie en si peu de mot. Enfin…Il aura suffit d’un geste en réalité.
Le démon tira de son corset le carnet noir aux pages écornées, et se saisit de son stylo à plume.
« 25 Octobre.
Cette date ne signifie rien sur le Calendrier de mon prince.
Durant ce court laps que les mortels nomment « journée » et qui se définit par le suivi de la courbe de l’astre solaire, puérile manière de mettre un nom sur le compte à rebours avant la fin ; durant ce court laps de temps donc, j’ai vu des choses réjouissantes.
J’éprouverai volontiers de la joie.
Si seulement, je le pouvais.
La loge n’en finit pas de s’agrandir. Ou plutôt devrais-je dire : de redevenir ce qu’elle fut.
L’impatience gagne Abaddon, il parle, les yeux brillants d’un temps révolus en passe de redevenir notre quotidien.
La Russie nous manque à tous.
Comme Londres, en réalité.
Mais la Russie qui porta l’apogée des rois et des reines sanglantes, nous remplit de nostalgie et d’exaltation.
L’impunité régnait à cette époque maudite. Et alors que je considère d’un œil faussement curieux, les ravages causés par l’incendie déclenché par le pouvoir de Belial, je me dis qu’il n’y a qu’un pas à franchir pour qu’ici, l’hiver et les flammes se côtoient à nouveau, que la peur s’instille dans le cœur des mortels, que les anges conjuguent leur quotidien avec un désespoir sans cesse renouvelé.
L’agitation, les cris et la tension régnant ici, ne sont pas sans me rappeler la nouvelle Orléans, il y a plus d’un an.
Et ma première rencontre avec le chevalier Carankhen.
Je ne me souvenais pas.
J’étais condamné aux limbes, à voir le monde faussement, et à ne pouvoir me détaché de la marche infernale alors même que mon corps était soumis aux tourments de la moralité et de la réalité.
Enfermé dans cette chambre sombre, sans un meuble à me nourrir de la terreur. A vivre sans cesse ma punition, prisonnier livide, incapable de se libérer d’une prison faites de quatre murs et d’une porte ouverte…
Voyons…Cela a commencé…Quand la poignée de la porte s’est tournée. »
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« …
La première chose dont je me souvienne, c’est la perception de mon environnement à l’époque.
Une pièce lugubre, une sorte de chambre ancienne de ses quartiers vétustes que l’on trouve dans tous les ghettos du monde.
L’obscurité à laquelle mes yeux ne pouvaient s’habituer ou plutôt cette pénombre surmontée d’un filtre verdâtre immonde. L’impression pesante de n’exister que par période, de surgir du néant uniquement pour souffrir de ces quatre murs oppressants.
Renaître sans cesse dans la douleur, à s’en rendre fou furieux.
Je me souviens de mes hurlements.
De mes longs hurlements, interminables, à m’assécher la gorge, à me briser les cordes vocales, de ce feu noir qui brûlait sans cesse dans ma poitrine.
Le sentiment d’impuissance aussi était marqué. Je me souviens de mon corps rampant et fébrile, de mon incapacité marquée à ne pouvoir seulement me lever au centre de cette pièce.
Et je ne sais combien de temps cette torture à continuer. C’est peut être ce qui fut le plus difficile. L’absence de temps.
Aucune indicateur pour me dire les années les mois ou les heures seulement. Seulement moi et cette marche vide de sens.
Moi et mon ignominie. Moi et la terreur.
Moi et cet interminable manège.
Moi et Moi.
Lorsque la porte que je n’étais jamais parvenu à atteindre durant mes moments de vague conscience (je ne peux m’offrir le luxe de parler de lucidité), la silhouette qui se découpait dans l’encadrure de l’ouverture ainsi créé se découpait sur un horizon semblable à la pièce dans laquelle j’étais retenu.
Il m’est difficile d’affirmer que je pouvais seulement ressentir la présence en face de moi. Je la voyais comme je voyais les murs, comme je répétais inlassablement cette méprisable opération consistant à me recroqueviller sur moi-même, à enfouir le peu de chose qui restait de mon âme au creux de mes bras transi d’un froid irréel.
Mes yeux écarquillés, que je savais sur le point de jaillir de leurs orbites tant la tension qui m’habitait était forte, se braquèrent pourtant de mon nid charnel vers lui.
J’entendais alors une mélodie étrange. Une symphonie ancienne qui, plus que la caresse de ma sœur à l’époque maudite de ma mortalité apaisait mon esprit en miette.
Cet étrange passage se mit à perdre ses accords, son rythme, et toute forme de musicalité.
Elle crépita un moment et devint mots et vocabulaire. Je me rendais compte que dénué de toute humanité, j’en avais perdu jusqu’à la perception du langage.
Il avança dans ma pièce. Je le sentais à son tour tendu, inquiet. M’approcher ne lui était pas agréable.
-Ne résistez pas. Ne luttez pas.- me murmura t-il.
-Vous n’êtes pas ce dogue noir. Vous n’êtes pas un oublié. Caleb. Reprenez vous.-
…
Le vent sale et fétide du fond de ruelle dans lequel j’étais tassé sur moi-même balaya mes poils.
Truffe en l’air, je prenais conscience de ma véritable condition.
Un grand chien noir.
Je me souviens avoir encore hurlé. »
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<i> Jeudi 1er Novembre.
Malgré le ronronnement ininterrompu du moteur, la qualité inégale de la route et les frasques de Carline qui n’en finissaient pas, Caleb posa sur ses genoux, le vieux carnet et saisit de nouveaux son stylo afin d’étancher la soif d’histoire de ces feuilles jaunies par le temps au puit de l’encre noir de sa plume gracile.</i>
« J’interrompt le récit de ma rencontre avec le chevalier Carankhen. Elle n’est pas spécialement intéressante et ne dénote que par l’intérêt qu’octroie ce carnet en cas de perte de mémoire.
Hier soir, c’était halloween.
Je ne peux pas dire que cette tradition protestante me fascine. Je ne peux pas dire non plus que je sois sous le charme de cette aventure pleine de sucreries qui n’est que la résultante de la transformation d’une honorable tradition, où l’on rendait grâce dans la crainte à la nouvelle saison sombre qui s’annonçait, par des commerciaux sans scrupules qu’il ne m’est pas non plus possible de fustiger.
Ils sont probablement gradés aujourd’hui.
Depuis que le monde a connu le chauffage, « Samain » a perdu de sa magie.
Ceci étant, et dans les limites de la métaphysique de mon inconscient : « j’aime » cette fête. Non pas que je sois de ceux qui apprécient voir des enfants papillonnés de ci de là, dans des costumes dont la manufacture dépend de leur classe sociale.
Mais j’aime que les cœurs mortels s’ouvrent à l’inconnu et l’ésotérisme. J’aime les voir jouer à se faire peur. J’aime les voir prendre goût à l’abominable, aussi infantilisé soit-il.
Notons que Abigail nomme Halloween : « la fête des pédophiles ». Qu’il a fallu empêcher Abaddon de mettre le feu à un couple de jeunes délinquants ayant jeté de œufs sur sa voiture (qui n’est pas SA voiture aux yeux des autorités administratives), et que Carline a hurlé a qui voulait l’entendre à travers la fenêtre du véhicule « si vous voulez de vrais démons, venez voir ici ».
Je note à titre personnel, une certaine déception, personne ne s’est aperçu que pour l’occasion, j’avais pris soin de grimer mon hôte en lui ajustant une fausse rose noire et en renforçant le rimmel noir de ses yeux.
De plus, et même si Cole a suggéré que nous fassions une distribution de bonbons périmés, ce que Madra a tout de suite dénoncé comme une farce potache digne des missions les plus inutiles de l’administration, j’aurais aimé que nos chevaliers nous ordonnent en cette nuit particulière de nous montrer un peu plus véhément à l’égard de nos meilleurs ennemis.
Le combat attendra.
Saint Cyr attendra.
Et Catherine ne m’attend plus.
Peut être faudra t-il que je note un passage sur Catherine.
En tout cas, Halloween est le seul jour où voir des enfants ne m’insupporte pas. C’est déjà bien.
J’en ai même profité, lors d’une halte pour souffler à une fillette que du costume de petit fantôme à la dissection de sa propre mère encore vivante, il n’y avait qu’un pas.
Elle a eu l’air intéressée. »
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<i>Le crissement de la plume sur les pages retentit de nouveau dans l’habitacle de la voiture.</i>
« De nouveau, la loge s’agite. Le magma que nos veines charrient bouillonne alors que le goût du sang, à nouveau nous reprend.
Sommes nous plus efficaces que lorsqu’il s’agit d’éliminer une cible désignée ?
Dans ces moments là, nous avons l’allure d’une meute sauvage. L’humanité de nos traits laisse place à la fureur de notre véritable nature.
Il suffit de voir Abigail, qui cesse de parler et même de mâcher son chewing-gum.
De poser les yeux sur Carankhen dont la nature débonnaire laisse place à la rage qui sommeille dans chaque suivant du seigneur de la guerre.
Toute cette agitation me rappelle de nombreux meurtres.
Certains sur commandes, d’autres…Moins officiels.
Ceci étant, dans un passé proche, comment ne pas me remémorer, la turbulente Toriah.
En réalité, quelle déception.
Les rumeurs mentaient à son sujet. J’attendais une fleur blanche aux contours teintés d’un bleu d’azur.
Et il m’a fallu confronter une version bien moins romantique.
Une version plantureuse d’un camionneur, au langage aussi châtié que celui des belles qui flânaient en leur temps, sur les bords de la tamise.
Mais c’est là, l’un de mes pires défauts, je prête aux anges la perfection qu’ils ne possèdent pas plus que ce chien d’Abaddon.
La seule chose qui valait la peine lors de cette traque ne fut pas cette façon que nous avons eu de surgir chez les anges, plus que sur le territoire, au milieu même de leur nid.
Ce fut, et je m’en souviens très bien, les yeux de Ian.
Lui, était exactement ce que j’attendais. Un guerrier.
A l’affût. Implacable ou presque.
Son genre ne me plaît pas guère, mais n’est pas Saint Cyr qui veut. A défaut d’avoir les atours, il avait la puissance, je revois dans mon iris aujourd’hui figé, l’arrivée dans cette boutique, l’assurance de ne trouver aucune riposte immédiate.
Avoir progressé ainsi aux côtés d’un chevalier, désigné comme martyr par une Abigail certaine qu’à défaut de faire une lame agile, je serai un bouclier suffisant pour les éloigner de notre leader.
Je confesse avoir apprécié de sentir éclater les entrailles de mon hôte alors que loin d’être surpris, le fier servant de Michel me jetait au sol d’une balle bien sentie.
Eviter les assauts n’est pas dans ma nature.
Trop vite, Carankhen manquait de tuer la « belle » et je suis aujourd’hui en droit de me demander ce que regrettait Ian, la perte de son « amour » ou le fait de ne pouvoir solder leur énième beuverie dans un hypothétique concours de renvois sonores.
Tant pis, je me suis contenté de son doux désespoir quand il me vit me relever, arme en main, malgré la blessure mortelle qu’il m’avait infligé.
Et de son hurlement quand mon bras injuste foudroya la nuque de l’hôte de Toriah.
J’aurais aimé que nous parlions à ce moment là.
J’aurais aimé lui parler des enfers. De tout ce qu’il perdrait bientôt.
De combien lui et moi, étions semblables au-delà de nos différence et de sa caricature.
Mais le dénouement funeste de notre rencontre ne lui convint pas.
Je crois avoir eu le temps d’incliner la tête avant qu’il n’y loge une nouvelle balle.
La suite appartient aux rois et reines qui survécurent à l’assaut.
La traque n’avait pas le mérite du romantisme d’antan. Mais elle en avait la fougue et les senteurs.
Quelle ironie. Aujourd’hui, le nombre de rois a doublé. Et je peux prendre le temps d’écrire tranquillement.
Bientôt le sang, les canons, et la fin de la vie.
Bientôt l’aboutissement de notre existence maudite.
Bientôt, une nouvelle affiche ? »
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