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Little Rock, Arkansas, 11 janvier 2003
Rien ne l’excitait plus que le feu des projecteurs. La foule qui s’étendait devant elle et qui applaudissait à tout rompre n’était rien, un simple fond sonore, des anonymes. Pour elle, ce mot était la pire des insultes. Les projecteurs n’étaient pas braqués sur eux, ils ne valaient rien, ils n’existaient pas. Ils faisaient partie des insignifiants.
Ce qui n’était pas son cas.
Sourire, plaire, être séduisante.
Ce soir, elle était la reine. Cindy était couronnée Miss Arkansas. Elle avait travaillé dur pour ça, sachant allier un moral d’acier pour ne pas craquer dans les moments difficile, une détermination sans faille afin de ne jamais douter d’elle et une volonté impérieuse d’écraser toutes les autres.
Et elle les avait écrasées.
Sourire, plaire, être séduisante.
Les dauphines la félicitaient, elles ne montraient aucun signe de tristesse ou d’envie. Elles s’y étaient préparées. Savoir encaisser un choc pareil n’avait rien d’un don naturel. Mais se préparer à l’échec, se voir d’avance parmi les perdantes, car elles n’étaient rien d’autre, Cindy s’y était refusé.
C’était là toute la différence.
Sourire, plaire, être séduisante.
Au contraire, elle avait préparé et imaginé mille fois la scène de sa victoire. Savoir exprimer vigoureusement sa joie lors de l’annonce. Pleurer un peu, ensuite, pour marquer l’émotion mais pas trop, trop de larmes ennuie. Faire des signes à cette masse d’anonymes pleine de médiocrité qui la débectait.
Ce soir, elle n’en faisait plus partie.
Sourire, plaire, être séduisante.
Personne ne comprit jamais pourquoi un projecteur se détachât ce jour-là. Pourquoi celui-ci s’écrasa sur la Miss Arkansas nouvellement élue, broyant plusieurs os, mettant fin à sa vie et démarrant un petit incendie.
Elle s’appelait Cindy... Elle aimait tant être sous le feu des projecteurs...
Sourire, plaire, être séduisante.
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Teruel, Espagne, 24 février 1938
Oui Capitán, j’vais vous l’expliquer comme qu’ça s’est passé.
J’sais pas trop par où qu’j’dois commencer. J’vous d’mande d’excuser pour mon langage Capitán, mais l’Sargento Alejandro Ortega, c’tait un beau fils d’salauds. Et j’vous d’mande d’me croire, pour ça j’en ai connu des beaux fils d’salauds. J’les r’nifle rapidement, j’sais pas pourquoi, j’ai l’nez pour ça.
L’problème des fils d’salauds, si vous m’permettez, c’est quand y z’ont du pouvoir. Pasqu’un fils d’salauds tout seul dans sa ferme, y va torturer son clébard et claquer l’beignet d’sa femme, mais l’Sargento Ortega, l’était Sargento.
Dites, j’peux m’en griller une ? N’a pas souvent l’occasion d’fumer sans pétocher en s’demandant si un gars s’rait pas en train d’viser droit dans vot’caboche avec son putain de fusil. Merci Capitán.
Pour bien qu’vous compreniez, faut qu’j’vous raconte un peu. Y’avait c’gamin qui nous avait r’joint récemment. J’crois ben qu’j’ai jamais su l’nom qu’sa mère lui avait donné. Ou alors, j’l’ai oublié. On l’appelait Pequeño avec les zots gars. Au départ, l’était pas content l’Pequeño, mais finalement y s’est habitué. C’tait pas méchant pis on l’aimait bien. L’avait pas c’regard que nous on a tous. Mais j’peux vous jurer Capitán, qu’c’gamin là, l’aurait jamais du êt’ dans l’armée.
L’Sargento Alejandro Ortega, l’a tout d’suite repéré ça. L’a voulu l’punir. Pourquoi ? Ça j’saurais pas l’dire. Les fils d’salauds, z’aiment bien s’en prendre aux faibles.
‘scusez moi, c’te carafe et c’verre d’eau, c’est pour moi ? C’est qu’j’ai l’gosier sec à jacter comme ça. Merci Capitán.
L’Pequeño, y’s’tapait tous les boulots d’merde. Chaque fois qu’y’avait un truc qu’personne voulait faire, l’Sargento Ortega lui r’filait à lui. Parfois, on lui proposait d’l’aider quand même, comme ça. Mais fallait pas s’faire prendre, pasque c’est pas not’peau qu’le Sargento voulait, c’était celle de Pequeño.
L’arrêtait pas d’le rabaisser. J’suis pas dans la tête des gens, mais j’crois bien qu’c’est pour ça qu’le Pequeño il a voulu l’faire le héros l’ot’jour. Pis il a pris une balle, pasqu’y’a pas de héros dans une guerre.
C’est là qu’j’ai vu l’Sargento Ortega s’approcher et cracher su’l’cadavre du Pequeño. J’ai pas pu m’ret’nir, j’y ai tiré dans l’dos et j’me suis bien assuré qu’il était mort.
« Alejandro, qu’j’disais, Alejandro t’es qu’un fils d’salauds ! ». Et j’cognais son crâne avec la crosse d’mon fusil. Et j'cognais ! Et j'cognais ! J’pouvais pas m’arrêter alors c’est les gars qui l’ont fait. Y m’ont assommé j’crois bien.
Pis c’est tout. J’vais être exécuté maint’nant, je l’sais. Mais Capitán, entre nous, ce Sargento Alejandro Ortega, c’t’ait un fils de salauds quand même, non ? Merci Capitán.
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Lausanne, Suisse, 9 novembre 1974
Drame à Lausanne. Le décès de Sandy Julliard a été annoncé ce matin vers 8h00 suite aux blessures subies lors d’une attaque à mains armées sur son véhicule hier soir. Le responsable a été immédiatement appréhendé par les forces de l’ordre et tout porte à croire qu’il visait spécifiquement Mlle Julliard.
Un reportage de notre équipe.
Sandy Julliard avait tout pour elle. Seulement âgée de 28 ans, elle était déjà à la tête de Julliard Medicare, la célèbre firme pharmaceutique internationale, poste dont elle avait hérité il y a 5 ans après le décès soudain de son père, Joachim Julliard.
Propulsée ainsi à la direction d’une entreprise que certains n’hésitaient pas à juger comme à l’agonie, elle démontra de brillantes capacités de gestion et parvint à remettre sa compagnie sur le devant de la scène.
Touchée en mars 1972 par le scandale des terribles effets secondaires du Rhinothrax, l’entreprise Julliard Medicare parvint à prouver son innocence devant le tribunal et sortit blanchie de toute accusation.
Depuis, Julliard Medicare prospère et Sandy Julliard était à la tête de l’une des plus grosses compagnies pharmaceutiques au Monde.
Pourtant, ce brillant parcours a été brutalement interrompu par le drame d’hier. Sandy Julliard était en visite à Lausanne pour signer des accords financiers permettant le développement d’un nouveau médicament. C’est à la sortie des ces réunions, alors qu’elle venait de prendre place dans son véhicule, qu’un homme armé d’un pistolet de bas calibre s’est jeté sur la portière et a déchargé son arme sur la jeune femme.
Les raisons de son geste sont encore inconnues.
Politique maintenant, avec la réunion au sommet qui s’est tenue...
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Birmingham, Angleterre, 13 sextilis 1355
Laissez-moi vous conter l’histoire de Delia Cumberdale,
L’histoire d’un crapaud qui voulait avoir des ailes.
Née fille de rien, elle convoitait tout,
C’est pour ça qu’elle se fit engager dans la prestigieuse maison Baxter-Stew.
Tout cela débuta par d’innocentes rapines,
La famille était aisée, c’était tout sauf un crime.
Quelques pièces par-ci, un précieux bijou par là,
Elle s’appropriait ce qui lui faisait envie et qu’elle n’avait pas.
Mais quoi que l’on obtienne, on désire toujours mieux,
Et ses larcins ne lui promettaient guère un avenir radieux.
Elle réfléchit, établit un plan, le mit à l’œuvre,
Vous désirez sans doute savoir quelles furent ses manœuvres.
Elle stoppa les vols, redoubla d’efforts, devint assidue,
Travailla à se faire aimer, à jouir d’une confiance absolue.
Tout cela dans le but de figurer sur le testament de famille,
En dernière place bien sûr, derrière les époux, le fils, la fille.
C’est alors qu’elle fit entrer le poison en jeu,
Dans la nourriture, la boisson, et le temps fut aux adieux.
Mais le sombre dessein ne fut jamais achevé,
Le fils démasqua la traîtresse et la fit condamner.
De sa trop grande envie, elle paya le tribut,
C’est ainsi que Delia Cumberdale haut et court fut pendue.
Mais certains prétendent que sa tombe lui parut trop étroite,
Qu’elle la quitta et que le bien des autres toujours elle convoite.
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Stuttgart, Allemagne, 4 avril 1997
Je ne sais qui lira cette lettre mais lorsqu’il le fera, je serai mort.
Jusqu’à ce soir, jamais je n’avais songé au suicide. Au contraire, ma vie m’offrait tout ce que l’on peut souhaiter : une femme aimante et un emploi intéressant. Du moins, c’est ce que je pensais jusqu’ici. Si proche de la fin de mon existence, je m’interroge : est-ce vraiment là la définition d’une vie comblée ? Mais je m’égare avec ces questions sans réponse. Lorsque l’on compte ses dernières heures, on devient philosophe.
Mes mains tremblent alors que j’essaie de mettre en forme mes pensées. Tout semble s’embrouiller et je ne sais par où commencer.
Lucy. Lucy, ma femme. Je l’ai tuée. Et je vais bientôt la rejoindre
Même après l’avoir écrit, j’ai du mal à le réaliser. La chose me parait si abstraite... Tout cela a si peu de prises avec la réalité...
Et pourtant je l’ai fait.
Ces coups de téléphone étranges, ces retours nocturnes, ces excuses invérifiables... J’ai d’abord cru qu’elle avait une liaison. Oh Dieux ! Si cela n’avait été que ça !
J’ai réagi avec toute la banalité d’un homme qui se sait trompé : j’ai suivi ma femme. J’ai suivi Lucy. Je voulais savoir. Comme je regrette maintenant... Il y a des choses qui doivent rester enterrées.
Longtemps, la filature n’a rien donné. Puis Lucy s’est rendue dans ce grand chalet, en bordure de la ville. De nombreuses voitures étaient garées derrière, à l’abri des regards curieux des automobilistes. Je savais que j’avais trouvé ce que je cherchais.
J’ai attendu, longtemps, toute la nuit. Je n’avais pas sommeil, j’étais en transe. Les automobiles sont parties une à une.
Je me suis faufilé à l’intérieur. Où avais-je la tête ? J’aurais pu me faire prendre. Jusqu’où ces gens-là sont-ils prêts à aller pour conserver leur secret ?
J’étais comme fou, les images se brouillent dans ma tête. Étais-je même seulement éveillé ?
Il y avait du matériel vidéo, une caméra sur trépied, des projecteurs. Il y avait ces... accessoires, dont l’usage m’était inconnu. J’ai trouvé des cassettes enregistrées, j’en ai prise une et je me suis enfui.
Où aller ? Je ne pouvais pas rentrer chez moi, Lucy y était sûrement, s’étonnant de mon absence. J’ai loué une chambre dans un motel et j’ai visionné l’une des cassettes que j’avais dérobées. Mon dieu ! Il m’est impossible de décrire les perversités que j’ai vues ce soir-là. Je n’ai pu m’empêcher de vomir. Mais je continuais à regarder, avec une fascination macabre.
Et surtout, surtout, je ne voulais pas reconnaître Lucy. C’était son visage, c’était sa voix, son corps mais... non. Ce n’était pas elle. Ce n’était pas ma Lucy. Jamais...
Je suis rentré ce matin, abasourdi. Médusé par le choc des images qui dansaient dans ma tête et épuisé par le manque de sommeil.
Je l’ai trouvée dans son bain.
Elle était comme je la connaissais.
Lucy. Ma Lucy.
J’ai brandi la cassette et elle est devenue une autre.
Elle a dit des choses. Des choses qui font mal.
J’étais brisé, faible, haletant.
Je me suis jeté sur elle, lui ai maintenu la tête sous l’eau jusqu’à ce que je ne sente plus aucune résistance, jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’un corps vide et flasque.
Et maintenant, je vais la rejoindre.
Lucy. Ma Lucy.
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Paris, France, 18 mai 1985
Quoi ? Vous voulez que je vous parle de Charles ?
La première chose à dire, c’est que les fêtes qu’il organisait étaient légendaires dans tout le quartier. Vous avez déjà dû aller à l’une d’elles, même si vous ne saviez pas que c’était lui qui en avait la charge. C’était un grand type, très maigre, l’air toujours un peu perdu dans ses pensées. On savait jamais vraiment ce qu’il pensait d’ailleurs.
Il était un peu bizarre, mais je l’aimais bien.
Mon avis sur Charles ?
Je pense que c’était avant tout quelqu’un de solitaire mais qui détestait la solitude. Il se sentait pas bien dans la foule mais dès qu’il se retrouvait seul, il déprimait. C’est pour ça qu’il retombait régulièrement dans la drogue. Il disparaissait pendant des semaines et on savait qu’il avait replongé. Foutue héroïne, je sais pas qui l’a initié à cette saloperie, mais si je l’avais en face de moi...
Charles ? Un sacré cas celui-là !
Toujours à chercher le moyen d’en foutre le moins possible. Il faisait des petits boulots, parce que faut bien payer le loyer, pas vrai ? Il se disait artiste, mais c’était toujours des histoires pas possibles... Ah ça, j’en ai entendu...
Tiens, peu de temps avant sa mort, il avait un numéro dans une boîte du coin. À ce qu’on m’a dit, il se faisait appelé Charlotte et était habillé en infirmière, du moins au début du show, si vous voyez ce que je veux dire... Non mais je vous jure...
Charles ? Bien sûr, je le connais.
Il a très mal pris le fait d’être séropositif. Il ne comprenait pas ce qui se passait, il se sentait abandonné et trahi. C’est à ce moment-là qu’il a vraiment disparu et quand on l’a retrouvé, c’était trop tard.
Une overdose... Ça a beau sembler logique, je me suis toujours dit que ça cachait autre chose. Il vivait dangereusement bien sûr, mais il savait toujours quand s’arrêter. Si vous voulez mon avis, il est parti exactement comme il le voulait...
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Immac-sur-Sable, France, 7 août 2007
- Main... gauche... rouge !
Le zombie fit tout son possible pour répondre à l’ordre qu’on venait de lui donner. Il tendit le bras dans un déhanchement que seul rendait possible l’absence de quelques côtes. Mais malgré tous ses efforts, il s’écroula, entraînant dans sa chute ses cinq collègues morts-vivants.
- Mais enfin Alejandro, qu’est-ce qu’tu fais ? Ça fait trois fois que tu mets tout le monde par terre. Prends exemple sur Delia ou Cindy, elles se débrouillent pas mal, elles. Bon allez debout tout le monde. Charlotte... N’en profite pas trop...
Les six zombies firent face à leur maîtresse, attendant les prochaines consignes. Pour des non-morts, ils constituaient un groupe assez hétérogène, chacun ayant adopté un style vestimentaire qu’il semblait affectionner de son vivant. Si le tailleur et les lunettes de soleil de Sandy lui donnaient un air presque humain, le résultat était plus étrange pour Cindy dont le visage avait été recouvert assez maladroitement de maquillage bon marché. Alejandro faisait son possible pour conserver une rigueur toute militaire alors que Lucy faisait preuve de toutes les extravagances. Delia accusait vraiment son grand âge et Charlotte n’avait pas abandonné cette tenue d’infirmière.
Abigail se tourna vers la pendule.
- Bon, va falloir y aller. On laisse tomber l’Twister, j’ai l’impression qu’vous y mettez d’la mauvaise volonté d’toutes façons. Tsss... En plus, c’est pas comme si vous aviez d’jà fait un truc plus excitant dans vot’vie...
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