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Plaisir solitaire d'un andréalphus
#1
La physique des Marches... Comment comprendre ces lois qui régissent d'autres univers?...

L'antre par exemple. Des couloirs interminables, une architecture sans imagination, et aucun, mais alors aucun extérieur...

Si l'on s'enfonce d'un côté, les murs se font plus roche, plus naturels, moins artificiels. Les parois s'écartent progressivement, et dans un large boyaux, on distingue rien de moins qu'une montagne. Que dis je une montagne? Un volcan... Des volutes de fumées se perdent dans un ciel noir, assurément toujours souterrain, mais dont le plafond est trop éloigné pour être distingué.

Impossible me direz vous. La fumée ne manquerait pas de s'accumuler, et l'aire deviendrait suffocant. Mais nous nous sommes dans les Marches... Celle de l'Antre en l'occurrence.

Pardonnez cette digression que le narrateur vous impose, ce n'est pas à ce volcan que je voulais en venir. Au contraire prenons une autre direction. Ici les couloirs de l'antre restent à une taille humaine. Les murs restent des murs... Pourtant, peut être nous éloignons nous d'avantage du centre de l'Antre que pour atteindre ce volcan. D'abord, la couleur de la peinture se fait plus vive. Moins terne... C'est plaisant au début... Mais au fur et à mesure de votre marche, la couleur se fait agressive... Que dis-je? Hostile!

Stop malheureux! N'allez pas plus loin! Nous sommes arrivés... Que vous poursuiviez votre route, et vous sortirez de l'Antre, dégringolant d'une Marche, avec tout ce que cela entraîne de conséquences. Voyez cette vitrine? C'est une laverie... C'est notre destination.

La petite démone qui passe à côté de vous, c'est Juliette... Elle n'est pas contente, peut être déçue, son ambassade s'est mal passé, mais ce n'est pas là notre propos. Laissons la: elle a de la route à faire pour regagner son volcan. Le zombie qui sert de perchoir à un corbeau, c'est José... Bon pour ne rien vous cacher, José c'est le corbeau en fait. Le zombie n'est qu'un pantin qui lui sert de véhicule, encore qu'on puisse se demander si on n'est pas en présence d'une créature bicéphale.

Le vieillard, qui ne l'est plus vraiment, c'est Jean. En fait de vieillard, il a dans les quarante ans désormais... Mais les habitudes ont la vie dure. Ça fait un moment qu'il ne dit plus rien, affichant une mine inerte, à l'image de son supérieur le Prince de la Paresse. Il se tient à côté d'une porte, qui semble s'enfoncer dans la laverie.

Malgré  l'apathie apparente de son aîné, c'est avec la plus grande méfiance qu'un jeune homme tente de passer à côté. Dans les vingt ans, assez beau quoique son visage soit crispé d'une expression de colère rentrée. Il tient quelque chose dans ses mains... Un morceau de tissu plié dirons nous. Et le voilà qui se glisse dans la laverie, laissant là les deux autres. Le corbeau qui lui parlait, et le quadragénaire ancien vieux qui restait planté là.

Le jeune homme c'est Victorious, Chevalier des Plaisirs Infernaux de son état. La laverie est le QG de sa section... Sa demeure... Là où il se sent chez lui. Je vous fais grâce dans la description du cœur de cette bête folle qu'est la Vivi-section. Laissons le démon du Stupre regagner son antre à lui...

Une porte... A côté de la porte, un marteau posé contre un mur. Un instant le jeune observe le marteau avec envie. Mais il  semble prendre une décision, et il laisse l'arme tranquille, ouvrant son placard... Son chez lui. Derrière la porte: un vaste territoire s'étend à perte de vue, une immense prairie balayée par une douce brise. Elle est légèrement vallonnée, mais on peut apercevoir, au loin, la mer scintiller. Le temps est souvent dégagé, quoique la météo change.

On pourrais se croire sorti de l'Antre... Mais il n'en est rien... La physique des Marches à l'œuvre quoi... Victorious rentre donc dans son placard, puisque c'est ainsi qu'on appelle les appartements de chacun ici. Toujours son mystérieux paquet dans la main, il ferme soigneusement derrière lui... Et à clé qui plus est.
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#2
Une porte close... Devons nous laisser notre héros à son intimité? Allons donc, mais bien sûr que non. Oh si vous y tenez je pourrais me perdre dans la description de cette porte... Vous constateriez alors l'effarante banalité de ce morceau de bois. Seul le métal de la poignée pourrait alors tromper notre ennui... Et encore: parce que le métal reflète les mouvements de nos yeux curieux...

La curiosité est un défaut, non? Et ne sommes nous pas ici plus proche de l'Enfer? Fi de la porte! Assouvissons nos pulsions de voyeur, ne sommes nous pas là pour ça?

Je vous ai donc déjà décrit le paysage de bord de mer qui se trouve derrière cette porte. Au moment qui nous intéresse, le soleil se couche... Ses rayons moribonds font briller la mer d'un éclat orangé. Voici donc Victorious, dont la silhouette se dessine dans le ciel crépusculaire qui représente le seul plafond de l'endroit. Il prend soin de déplier ce qui semble être une étoffe... Peut être un peu plus épais... Du cuir? Non moins épais...

C'est un carré d'une vingtaine de centimètres de côté... Mais en se reprochant de plus près il faut réaliser que la chose est peut être plus morbide qu'un simple morceau de tissu. Ami lecteur, vous devrez vous contenter de la couleur rose, et des traces sanglantes... Oui c'est de la peau... Et si la créature à qui cette peau fût arrachée n'était pas humaine, il n'en demeure pas moins qu'elle était aussi humaine que peuvent apparaître la plupart des habitants de l'Antre... C'était un démon quoi.

Un motif est sur cet étrange support. Une fleur, tracée avec finesse et art, un chrysanthème. Délicatement, le jeune homme dépose l'objet de ses attentions et des nôtres... Il y a un grand soin dans ces gestes, peut être même une certaine tendresse... Il se recule alors pour admirer la peau étalée sur une pierre à sa hauteur.

Pendant ce temps, le soleil achève son coucher. L'obscurité remplace le feu crépusculaire, et l'une des premières étoiles de la nuit commence à briller. Vénus, dite l'étoile du berger. Troisième corps céleste le plus brillant de notre ciel après le soleil et la lune. Hé oui, elle brille également dans les Marches, en tout cas ici...

Le nom de Vénus pourrait être approprié à notre récit, mais cette étoile qui n'en est pas une a eu d'autres appellations. Les grecs l'appelaient Phosphoros... Et les romains, quoique Vénus soit issue de leur panthéon, lui donnaient parfois encore un autre nom:

Lucifer.

Cette vaillante étoile peine à éclairer notre scène par ce ciel sans lune. Notre Andréalphus apparaît donc toujours comme une silhouette qu'il nous est difficile de distinguer... Ha un nouvel éclat pour nous aider? Quelque chose reflète la lumière des étoiles au bout des doigts du jeune homme... Ses griffes.

Le calme de la scène est rompu. Un cri rauque et inhumain sort de la bouche du démon. En un instant, le serviteur du Prince du Sexe se précipite sur l'ouvrage étendu, les griffes pénètrent le motif et déchirent la peau, la lacèrent, la déchiquettent. Il s'acharne tant et tant que la pierre sur laquelle repose le morbide cuir en fait les frais. Bien entendu il ne reste rien en très peu de temps du magnifique dessin qui ornait l'objet. Quoiqu'une minute pouvait suffire dans cette œuvre de destruction pure, c'est des heures que passe le démon à s'exciter. Et d'ailleurs cette excitation est telle qu'il ne peut empêcher son aura de jaillir. Le feu rouge qui l'entoure permettrait à des yeux alignés de mieux contempler la scène.

Imaginez ce qu'un ange ou un démon verrait ami lecteur: sous la lumière bienfaisante de l'étoile Lucifer, une flamme rouge entoure un démon polymorphe, donnant coup de griffe sur coup de griffe, à une pierre qui portait jadis un fragile objet. Le tout dans un écrin d'obscurité nocturne  qui ne permet que de contempler ce spectacle.

Lorsqu'enfin notre démon s'écroule, il jouit d'un ciel désormais constellé de multiples étoiles. Ses griffes se rétractent, son aura disparaît. Le jeune homme soupire d'aise et de plaisir.


Merci Chrysanthème... C'était un beau cadeau...

Il passe sa langue sur ses lèvres, et tend la main vers le ciel, comme s'il cherchait à attraper les étoiles. Perdu dans ses pensées il prononce une dernière parole avant de sombrer dans un sommeil de fatigue:

La beauté n'atteint son paroxysme que lorsqu'elle est détruite... Je suis content que tu m'aies laissé détruire ca.

Lentement son bras retombe le long de son corps. Tant mieux: qui sait ce qu'il ferait à ces magnifiques étoiles inatteignables si son bras était assez long pour les toucher?*

FIN

*Yves
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