Passage de témoin

[Terry Poste]

Terry Poste était de bonne humeur. Il avait passé de fantastiques vacances à Mykonos, avait croisé de superbes créatures et s'était un peu laissé aller aux plaisirs de la vie. On n'en est pas moins Ange, l'enveloppe corporelle a des besoins qu'il est parfois nécessaire d'assouvir, et manger des fruits de mer n'est que la partie émergée de l'iceberg. Après ces quelques semaines de farniente agrémentées de massages et autres baignades, il était temps de rentrer à Notre-Dame.

Une absence prolongée pouvait nuire aux services de Didier, mais qui plus est, titiller les oreilles de Dominique particulièrement chatouilleuses à ce sujet. Et il n'était pas question de lui donner du grain à moudre.
C'est cependant en tongs, short et chemise hawaïenne, les lunettes de soleil sur le nez que Terry Poste entre dans Notre-Dame (le bâtiment), tel le parfait touriste en plein été. S'assurant qu'il n'était pas suivi, il emprunta le célèbre ascenseur pour arriver dans les sous-sols, ou l'activité ne manquait pas.

Soupir. Abandonner le soleil et les vagues pour retrouver cette Administration.

Il entra dans son bureau. Ce n'était pas une pile de rapports qui l'attendait, mais plusieurs. Il ignora tout cela, ouvrit un petit meuble en acajou et sortit une bouteille de whisky. Il s'en servit généreusement un verre, puis resta debout, perdu dans ses pensées. Combien de temps était-il parti déjà ? Que devenaient les anges de cette bourgade ? Comment s'appelle-t-elle déjà ? Immac-sur-Sable... oui oui oui...

Terry envoya valser son verre contre la porte de son placard. Celui-ci se brisa en plusieurs morceaux tout en répandant le reste du breuvage.

- Putain, j'en ai plein le cul !

Terry sortit ensuite de son bureau, claqua la porte, et arpenta les couloirs d'un pas décidé, sous les yeux éberlués de ses collègues de travail et de sa secrétaire qui lui apportaient les cadeaux de bienvenue pour son retour, qu'il renversa sans la remarquer. Non pas qu'il n'était pas coutumier de s'emporter de la sorte, mais d'habitude, ça n'arrivait pas aussi vite.

[Terry Poste]

2 semaines plus tard, bureau de Terry Poste.

Terry arborait son costume préféré Armani, tiré à 4 épingles, avait acheté de nouvelles chaussures et était même passé chez le coiffeur quelques heures auparavant. Avec lui se trouvait un homme...

- Je te remercie d'avoir trouvé du temps pour venir me voir.
- Magne-toi quand même, y'a un p’tit gadget de derrière les fagots que j'aimerais bien tester avant la nuit.
- J'en ai pas pour longtemps.

Terry fit glisser une serviette de couleur bleu roi sur son bureau, en direction de son interlocuteur, sans dire un mot. Quentin, puisque tel était son prénom, prit la pochette dont le mot CONFIDENTIEL la décorait dans toute sa diagonale, en couleur rouge feu, en dénoua le ruban et l'ouvrit. "Immac-sur-Sable, l'expérience interdite".
Terry observait du coin de l’œil, le menton appuyé sur sa main, coude sur le bureau.

- Dis-moi Terry, tu penses que je vais tomber dans un piège aussi grossier et m'intéresser à quelque chose à partir du moment où il y a le mot expérience dans un titre ?

Terry parut surpris.

- Tu parles de quoi là ?
- Je te parle de ce projet "Expérience à la pomme" par exemple dont tu t'es occupé et où tu m'as refilé le bébé et j'ai du bosser avec ce cinglé de Novalis pendant 10 ans.
- Ah ? Tiens, je ne me rappelle pas.
- Non. Attends, que je te rafraîchisse la mémoire... T'es pas en train de me refaire le coup des voitures futuristes là ? Attends, comment ça s'appelait ? Ouais...

Il tendit un doigt accusateur.

- C'est ça. "Nascar 3D The IMAX experience". Putain, t'as aucune originalité, et tu me ressors un IMMAC ?

Terry se défendit en agitant les mains devant lui.

- Non non non. Je t'assure, y'a pas d'entourloupe là-dedans, je ne cherche pas à te refiler un projet bidon. Lis plutôt.
- Mais j'ai même pas envie de le lire ce truc. Je sens que tu as une idée derrière la tête, et à chaque fois, ça me retombe sur la gueule. Donc là, c'est non. Terminé. Niet, nada, wallou.
- C'est dommage, reprit Terry en reprenant le dossier.

De manière tout à fait inopportune, en rangeant le dossier dans ses dossiers suspendus, une feuille s'en détacha, et vint se glisser sous les pieds de Quentin. Une image d'une métropole futuriste était représentée ainsi qu'une voiture type Lebonham customisée avec tous les accessoires. Une homme en noir était appuyé négligemment sur le capot et tenait un ustensile qui semblait être un stylo. Quentin se pencha pour ramasser la feuille et y jeta un œil furtif.

- C'est quoi ça ?
- A quoi bon ? Donne, de toutes façons, tu as décidé que ça ne t'intéressait pas.
- Allez, je veux bien t'écouter 5 minutes, j'ai pas fait le chemin pour rien, en plus tu brûles d'envie de m'en parler.

[Terry Poste]

- Téléportation demandée Mr Spock!
- Tu crois pas que t'en fais trop ?
- Mais non, mais non, c'est pour le folklore, ça m'amuse toujours ce genre de choses. Destination Immac!
- Bonne chance vieux, dit Terry en consultant sa montre.

ZZZIP !

L'arrivée à Immac s'était produite dans un environnement pluvieux et orageux. Des éclairs zébraient le ciel et le tonnerre grondait. La pluie tombait à torrent. Bizarrement seuls les cheveux de Quentin étaient trempés. Il rajusta son col de chemise et eut un air très satisfait d'avoir inventé ce nouveau textile très absorbant. Par contre, il allait falloir qu'il résolve le problème du poids de l'eau qui continuait à s'accumuler dans les fibres... Discrètement, il fit apparaître un parapluie et entreprit de trouver un bar afin de consulter les notes de Terry. La ville n'avait pas l'air si exceptionnelle que ça, comme l'avait suggéré son ami, mais il se dit qu'il devait y avoir des quartiers un peu plus beaux que celui dans lequel il se trouvait.
Il entra dans un bar, commanda un café crème, et posa le dossier sur la table. Alors qu'il allait entreprendre de l'ouvrir, celui-ci se mit à pâlir, puis disparut comme par enchantement, ne laissant dans ses mains que la fameuse photo de la Lebonham.

- L'enculéééé, jura XXX....

[Terry Poste]

Dans son bureau, Terry semblait satisfait de lui et, les pieds posés sur son bureau, se limait le bout des ongles. C'est fou comme un pouvoir de grade et un peu de Photoshop pouvait finalement vous enlever une grosse épine du pied. Et il ne s'en faisait pas pour son ami, il aurait l'éternité pour lui pardonner.

Il ne lui avait pas totalement menti par ailleurs, c'est une expérience qu'il ne serait pas près d'oublier...