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Sommeil
#1
Sommeil


Le premier accourt sitôt que la saveur de la faiblesse vient parfumer l'air trop moite et trop épais de la chambre. Les yeux fous et la bave aux lèvres, il s'en prend à un bras alangui par le sommeil et vient souffler sa terrible haleine alors qu'on se débat pour lui échapper. Mais si peu, bien trop peu...

Attiré par les bruits de lutte, celui ci sort de l'ombre noire et profonde qui l'abrite pendant le jour. Debout sur ses pattes de derrière comme un ours dressé, il pousse un cri affreux et puissant qui fait saigner les tympans sans pour autant qu'on se réveille, et on le voudrait déja cependant.

Profitant du frisson, un troisième prend courage et se glisse en sifflant dans une ouverture qu'on aura oublié de défendre. En frottant, le rugueux réveille d'anciennes douleurs et des fièvres, pointues comme des aiguilles. Pour se défendre il faudrait le prendre à l'intérieur de soi même et on en est bien incapable.

Un autre se répand en nuées indolentes et voudrait coloniser la terre. Tout esseulé, il est si faible qu'on n'y preterait aucune attention. Mais il suinte des murs et se démultiplie tant et si bien qu'il n'est bientôt plus un mais dix, puis cent, puis cent mille ! Personne ne saurait alors l'arrêter et bientôt la faible marée nous aura tout entier recouvert.

Accaparé par les plus gros on ne prend pas garde à celle là, l'Odieuse, qui sans jamais un bruit ne cesse d'ourdir ses plans sordides. Si on la voyait, on l'écraserait, mais c'est à l'arrière du crâne qu'elle a trouvé une fissure ou installer son nid et on ne saurait alors l'atteindre. Des chairs convulsées et violettes, l'atroce mère ferait un repas pour ses enfants.

Et que dire de tous les autres, dont la bonté de façade s'effrite dès qu'ils ont compris l'état confus et brumeux dans lequel on se trouve ? Ils s'approchent alors, les timorés, les lâches, les peureux, et trouvent bien quelque endroit de peau dénudée sur lequel excercer leur faible mâchoire et leurs crocs émoussés. On aimerait les frapper mais on sait qu'au reveil ils auront repris leurs airs pitoyables et honteux, et le poing retombe sans force contre le flanc.

Les évenements diurnes sont ainsi remaniés par cette ménagerie grotesque. L'homme important qui le jour donne des ordres et commande ses subordonnés se retourne soudain et exhibe une lange longue et putréfiée qui vient lécher mollement. Chaque détail recèle sa propre horreur, tantôt un visage familier qui se bleuit de lèpre, tantôt le compagnon fidèle au beau pelage qui vient serrer à la gorge, si fort qu'on en étouffe et que le sang épais vient éclabousser son joyeux museau.

Quand les frissons s'apaisent ce n'est jamais pour bien longtemps. Laissé par un, on est aussitôt repris par un autre, parfois pire, jamais moins terrible. Après huit heures qui en sont mille, on finit par s'éveiller, moite, défait. La langue trop grosse vient lécher les lèvres sèches. La main se tend vers une bouteille d'eau fraîche qui n'est pas là. Alors, finalement, on écarte les draps froissés et, comme si l'on sortait d'un long coma, on se relève péniblement. Bientôt, on aura oublié ces huit heures qui en sont mille...

Jusqu'à la prochaine nuit.
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