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10-10-2010, 03:27 PM
(This post was last modified: 09-17-2011, 09:46 AM by 40some.)
Depuis la mort, en janvier 1477,de Charles le Téméraire, notre roi Louis le Onzième s'est mis en tête de lancer ses troupes à l'assaut de la Picardie, du comté de Boulogne et surtout du duché de Bourgogne. Après plus d'un an et demi d'assauts, de sièges, d'occupation des territoires bourguignons par le roi de France,l'archiduc Maximilien d'Autriche, epoux de Marie de Bourgogne, fille et héritière de Charles le Téméraire, lance la contre-offensive.
Nous sommes le 7 août 1479. Venant de Thérouanne, Maximilien vient de passer la Lys avec une armée composée de 16000 piquiers, 3000 lansquenets allemands, munis de piques ou d'arquebuses, 500 archers anglais,et plus de 800 chevaliers venant des quatre coins des états bourguignons. Près d'Aire, au pied de la colline de Guinegatte, Philippe de Crèvecœur d'Esquerdes, aligne l'armée du roi de France : 8000 franc-archers et 1100 chevaliers. C'est peu, mais Louis XI compte sur sa redoutable artillerie volante qui lui a assuré la suprématie sur les champs de bataille.
Peu avant none, la bataille s'engage par un duel d'artillerie : la quarantaine de serpentines ou gros batons des français crache le feu, semant la confusion chez l'ennemi, remplissant l'air de volutes de fumées et d'un fracas infernal.
Jacques de Fontaines, fait partie des 600 chevaliers qui, sous les ordres du sire d'Esquerdes doivent contourner un bois pour prendre l'ennemi à revers. En attendant la fin de l'orage de feu, il regarde tout cela d'un air dubitatif. Il n'aime pas cette invention du diable. En tant qu'ange de Laurent, il préfère les combats loyaux à l'épée, d'homme à homme. Mais, hélas, depuis Crécy, l'art militaire était entré dans une ère de modernisme et la défaite d'Azincourt avait démontré les limites des tactiques de cavalerie...
Les canons se taisent. Philippe de Crèvecœur fait sortir les lances françaises de leur repaire pour fendre les rangs adverses, séparant la cavalerie de l'infanterie. Les cavaliers flamands commandés par Philippe de Ravenstein rompent alors les rangs pour fuir vers Saint-Omer, poursuivis par les chevaliers français. Lancé à bride abattue sur la chaussée Brunehaut, le destrier de Jacques de Fontaines trébuche et tombe, entraînant avec lui son malheureux cavalier dans les fossés.
Jacques revient à lui plusieurs heures plus tard. Point de cheval, point d'écuyer. La nuit tombe et l'on entend aux loin les plaintes des blessés et des mourants. Dans la fureur de la poursuite, personne ne s'est aperçu de sa disparition. Il enlève son heaume et regarde autour de lui. Pas âme qui vive sous le ciel étoilé du mois d'août. Il se relève et hèle son écuyer.
-"Holà ! Robin ! Robinet ! Par Saint Georges, où se cache ce pleutre ? Onques on ne vit ainsi escuyer abandonner son chevalier".
C'est sûr, il va être la cible des quolibets des autres, ce soir à la taverne des anges. Soudain, il entend le hennissement d'un cheval...
-Vaillant ? Mon brave boulonnais ! Où est tu ?
Jacques s'avance vers un bouquet d'arbres d'où semble provenir le son. Il entend le bruit de deux épées s'entrechoquant. Diantre ! Des chevaliers continuent encore le combat à cette heure ci ? Il tire sa reitschwert de son fourreau et approche silencieusement. Écartant les buissons, il parvient à une sorte de clairière où se dresse une chapelle en ruines,éclairée par des torches, près d'un cimetière entouré par un petit muret. Il reconnaît son cheval et celui de son écuyer, attachés à une croix.
-Peste ! Mon destrier céans ! Robinet ne peut être bien loin...
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10-11-2010, 04:23 PM
(This post was last modified: 10-13-2010, 03:45 PM by 40some.)
En effet, à quelques pas de là, au milieu des tombes, Robin croise le fer avec un chevalier inconnu. Ledit chevalier ennemi porte une armure noire, dépourvue d'armoiries. Il n'a apparemment pas eu le temps d'enlever son heaume et devrait être désavantagé dans ce combat. Pourtant, Robin semble en grande difficulté. Il arrive à parer les coups de son adversaire, mais parade après parade, n'arrive pas à prendre l'avantage. Jacques brûle d'intervenir, mais les lois de la chevalerie interdisent d'intervenir dans un combat singulier. Blessé à la cuisse après avoir été déstabilisé par une feinte de son adversaire, l'écuyer met un genou en terre. Sachant qu'il est battu, Il baisse la tête et tend le pommeau de son épée au chevalier ennemi en signe de soumission.
Jacques de Fontaines hèle le chevalier ennemi :
-Ce n'est guère chrétien de guerroyer en ce lieu, et guère chevaleresque de rosser un jouvenceau qui n'a pas de poil au menton. Viens te battre contre un vrai chevalier, mécréant. Et montre nous ta face, j'ai horreur d'affronter un ennemi qui cèle son visage.
Le chevalier ennemi enlève son heaume, révélant un visage en décomposition dont l'œil droit roule dans son orbite avant de couler le long de ce qui avait dû être des joues il y a fort longtemps. Robin hurle de terreur avant de s'écrouler à terre, le crâne défoncé d'un coup de heaume asséné par le chevalier mort-vivant.
-Diablerie ! Prépare toi à rejoindre le sépulcre que tu n'aurais jamais dû quitter, démon ! Montjoie ! Saint Denis !
L'ange de Laurent lève son épée. Il lui fait décrire un arc de cercle et tire vers lui dès qu'il sent la lame sur le cou de son ennemi. Un geste technique proprement exécuté. La tête du mort-vivant va rouler à quinze pas, tandis que le reste du corps retourne à la poussière, l'armure s'effondrant sur elle-même dans un grand bruit de métal.
s'approchant du corps de Robin, Jacques de Fontaines trébuche sur une racine et tombe de tout son long, le nez dans la poussière. Décidément, ce n'est pas son jour, il devra s'abstenir de raconter cet épisode à la taverne des anges... Se retournant pour dégager son pied, il constate que sa cheville a été saisie par une main décharnée sortant du sol. Il veut attraper son épée, mais celle ci lui a échappé des mains lors de la chute. Il tend la main, rampe, s'étire, mais lorsque il est sur le point d'atteindre le pommeau de l'épée, une main squelettique sort de terre, s'en saisit et le soufflette avec le plat de la lame. Dans un violent effort, il arrive à se libérer de la main spectrale qui lui maintient la cheville, arrive à saisir son épée et coupe les deux mains surgies du sol.
Si ses collègues le voyaient... C'est sûr, il serait la risée de la taverne. Soufflant, suant, Jacques reprend ses esprit à quatre pattes sur la terre du cimetière. Pas le genre de position qu'on attend du héros triomphant des Forces du Mal. Il arrive à se mettre à genoux et tenant son épée par la lame, la fusée et la garde formant une croix, il récite le Notre Père :
Pater noster, qui es in coelis,
Sanctificetur nomen tuum,
Adveniat regnum tuum,
Fiat voluntas tua, sicut in caelo et in terra.
Panem nostrum quotidianum da nobis hodie.
Et dimite nobis debita nostra,
sicut et nos dimitimus debitoribus nostris.
Et ne nos inducas in tentationem.
Sed libera nos a malo.
Quia tuum est regnum, et potestas, et... Qu'es acco ?
Jacques est interrompu dans sa prière. Comme s'il avait offensé par ces paroles les résidents de ce cimetière maudit, le terre se met à trembler, et bientôt, ce sont des dizaines de mains qui se saisissent de lui, l'attrapant aux chevilles, à la gorge, l'immobilisant au sol, l'étouffant, tentant de l'attirer sous terre. Une lutte désespérée s'engage, Jacques de Fontaines se noie dans un océan de terre et de chair décomposée. Succombant sous le nombre,
il perd connaissance...
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10-13-2010, 04:05 PM
(This post was last modified: 10-23-2010, 02:53 PM by 40some.)
Le Paradis, quelques temps plus tard...
-Mais qu'est ce que vous lui avez fait Archange Blandine ? Je vous confie un de mes serviteurs pour un petit nettoyage des souvenirs et je récupère une mauviette. Sauriez vous m'expliquer cela ?
-Plaît-il ? Un "petit-nettoyage-des-souvenirs", Archange Laurent ?
Lui répond son homologue en détachant bien ses mots pour exprimer son irritation.
-Je trouve que son état s'est nettement amélioré depuis que vous me l'avez amené. Faut-il vous rafraîchir la mémoire, justement ? Un chevalier du roi de France, porté disparu à la bataille de Guinegatte, retrouvé huit jours plus tard, attaché à un arbre dans la forêt, écorché vif. Il avait été capturé dans un cimetière et torturé par des revenants qui lui ont arraché la peau, lambeau par lambeau, après lui avoir coupé la langue pour qu'il ne puisse crier. En tant qu'ange, il n'aurait pas dû ressentir la douleur des tortures, mais il a bien souffert dans sa chair, suite à l'utilisation d'un sortilège ou d'un pouvoir démoniaque... Et ce n'était pas la fin de son calvaire, puisque des charlatans se disant médecins, parmi lesquels des démons ont dû certainement se glisser, ont prolongé ses souffrances huit jours de plus en prétendant le soigner. Ils n'avaient rien trouvé de mieux que d'appliquer de la cire chaude sur ses blessures pour empêcher le pourrissement... Mais ce sont les clystères et les saignées ont eu raison de la constitution de notre sujet... Alors, un "petit" nettoyage des souvenirs est le minimum que l'on puisse faire pour lui. Et malgré tout mon savoir, je crains que ce traumatisme est trop profondément ancré en lui pour nous puissions l'effacer totalement.
Laurent eut un haussement d'épaules...
-Oui-da, parlons en : le moindre lépreux le met en fuite, la simple vue d'un cimetière le fait tomber en pâmoison comme jouvencelle. A sa dernière incarnation, il s'est enfui dans la forêt et y a vécu en ermite perché dans les arbres, se nourrissant de racines et prêchant l'évangile aux oiseaux. Vous parlez d'un ange de Laurent... Et baste, vous pouvez en faire ce que vous voulez, Il ne m'en chaut guère...
Dit-il en se fondant dans un rayon de lumière pour quitter le domaine de l'Archange des Rêves.
Un endroit apaisant comme il y en a tant dans les domaines de l'archange Blandine au Paradis : des arbres, des fleurs, une cascade, le chant des oiseaux. Et un ange, assis au bord de l'eau, le regard perdu dans une douce rêverie. Il ne sait pas depuis quand l'angelotte au service de l'Archange des Rêves est assise à côté de lui. peut être a t-elle toujours été là... Le temps, les lieux... toutes ces notions sont relatives, et pour tout dire secondaires, au Paradis.
-Alors, ca y est ? Je suis radié des troupes de Laurent ? Je suis un moins que rien, un inutile... Je n'oserai plus jamais plus mettre les pieds à la taverne des anges... Qu'est ce que je vais faire maintenant ?
-Ne t'inquiètes pas Malak arba'yim. Dieu a des desseins pour chacune de ses créatures. Nous pensons que tes tourments ont ouvert ton esprit à la souffrance des autres créatures de Dieu. Peut-être trouveras-tu ta voie chez Novalis, Jordi, Guy, ou bien même parmi nous... Tu vas passer encore un peu de temps ici, en convalescence, puis tu effectueras plusieurs stages sur Terre en tant que serviteur ou soldat sous les ordres d'un ange, et d'ici quelques incarnations nous te trouverons une nouvelle affectation...
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10-23-2010, 03:08 PM
(This post was last modified: 10-27-2010, 04:53 AM by 40some.)
Paris, mars 1610
Comment ça, un "Laurent" ? Je vais devoir accueillir un "Laurent" en GSH ?
Léandre Petitpas ne décolérait pas, il venait d'apprendre par son chef de section, qu'il allait devoir accueillir un nouveau dans son équipe pour un "stage d'observation".
Mais je ne veux pas ! Ce sont des brutes épaisses ! Je ne puis les souffrir ! On ne voit que cela dans la rue. Des gentilhommes qui tirent l'épée pour un oui ou pour un non. Et ça se termine toujours comme pour le duel des mignons sous le règne du roi Henri III, paix à son âme. Des morts et des estropiés parce que ces abrutis sont incapables de s'arrêter au premier sang...
L'Abbé Bonnet se mordait les lèvres. Il n'aurait peut être pas dû révéler tant de détails à son subordonné.
-Il suffit, ange Yehuiah. Ce sont les ordres d'En-Haut. D'ailleurs, celui là n'effectue pas un Grandiose Stage d'Humilité. Il s'agit d'un désavoué en stage d'observation. Il doit effectuer son noviciat, sous la conduite d'anges de supérieurs différents afin de déterminer ses sensibilités et affinités. Au bout d'une période plus ou moins longue, il pourra choisir un nouveau supérieur, si son dossier de candidature est suffisamment solide...
-Mais, Mon Père... Un Laurent ! Et désavoué de surcroît...
L'abbé ne prit pas la peine de répondre à cette dernière protestation de Léandre Petitpas. Il agita une petite clochette. A peine une minute après, un individu rougeaud et joufflu passa la tête par la porte entrouverte.
-Vous m'avez mandé Mon Père ?
-Oui, bedeau, faites entrer le sujet...
La porte se referma, et se rouvrit peu après pour laisser entrer un jeune garçon. Pas encore un homme, plus tout à fait un enfant. Il était bien bâti, avait les cheveux bruns courts, le front haut et le regard clair. Il portait une veste sombre, à la couleur indéterminée, un pantalon trop large et usé qu'il avait dû hériter de son père, et était chaussé de sabots de bois grossiers remplis de paille. Il triturait nerveusement entre ses mains un couvre-chef informe qui hésitait entre le bonnet et le chapeau.
Léandre lança un regard intrigué à son supérieur.
-C'est lui ?
L'abbé répondit du tac au tac :
-Vous vous attendiez à quoi ? Un chevalier en armure ?
Et s'adressant au jeune homme :
-Approchez, mon garçon, je vous présente le sieur Petitpas, barbier-chirurgien, membre de la confrérie de Saint Côme et accessoirement ange au service de Guy. Vous allez entrer à son service comme valet. Le sieur Petitpas est chargé de vous évaluer et me fera régulièrement des rapports sur vous. Peut être vous donnera-t-il envie d'entrer au service de son archange... est-ce bien compris ?
-Oui Mon Père.
Léandre fit une moue dubitative et débuta l'interrogatoire.
-Eh bien, voyons ce que nous allons faire de toi. Comment t'appelles tu ?
-François... François Trouvé
-Trouvé ? D'où vous vient ce nom ?
-Mon incarnat a été trouvé sous le porche d'une église et confié à des bénédictins qui l'ont élevé. Ce sont de braves gens, quoique un peu dépourvus d'imagination.
sur un froncement de sourcils de l'abbé, François se tait et regarde ses sabots. Léandre poursuit l'entretien.
-Quel âge avez vous ? Votre incarnat, veux-je dire...
-Douze ans passés à la Saint Michel
-Vous êtes bien bâti, on vous en donnerait quinze... Que savez vous faire ?
-Je sais monter à cheval, me battre à l'épée...
Léandre lève la main pour l'interrompre.
-Cela ne m'intéresse pas... Que t'ont appris les moines ?
-Lire, écrire, compter, un peu de latin...
-C'est un bon début. Bien. Nous allons prendre congé, Mon Père... François ! Courez donc à l'office quérir une lanterne et attendez moi dehors. Il doit faire nuit noire maintenant.
-Bien monsieur. J'y vais de suite.
L'abbé se leva pour accompagner le chirurgien vers la sortie
-Une dernière chose, Léandre : François a hum... Subi un hem... traumatisme grave au cours de sa précédente incarnation, Il se peut que... Eh bien... qu'il ne se comporte pas vraiment comme on pourrait l'attendre... Souvenez vous-en...
Léandre leva les yeux au ciel.
Excellent ! Un Laulau, désavoué, et taré... [abbr=Seigneur aie pitié de nous] Domine miserere nostri... [/abbr]
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10-27-2010, 04:52 AM
(This post was last modified: 11-03-2010, 01:22 PM by 40some.)
Paris, mars 1610
François précédait son maître dans les rues sombres et malodorantes du vieux Paris, en levant sa lanterne bien haut pour bien voir les obstacles. De temps en temps, un grincement trahissait l'ouverture d'une fenêtre, et il fallait vite s'éloigner avant d'entendre le cri de "Gardez l'eau", qui annonçait une pluie malodorante. Léandre Petitpas grommelait dans sa barbe :
-Des siècles de civilisation et ils continuent à jeter leurs excréments dans la rue comme au temps des romains...
Ils passèrent dans de petites rues étroites et tortueuses, puis descendirent une longue pente boueuse et mal pavée.
-Où sommes nous, maître ?
-Rue de la Mortellerie, maintenant tourne à gauche et tais-toi...
Ils s'engagèrent dans une ruelle si exiguë que les maisons semblaient se toucher de chaque côté de la rue, et suivant un boyau obscur,ils débouchèrent sur une place d'une grandeur très considérable où se trouvaient les maisons les plus misérables et les plus branlantes que François ait jamais vues de sa vie.
Au centre de la place, des bohémiens dansaient autour d'un feu de camp. Ici et là, des mendiants, des coquillards, des estropiés... La cour des miracles ! Son maître s'était jeté dans le pire coupe-gorge de Paris ! Quatre narquois -faux soldats prétendant avoir été blessés au service du roi de France et demandant l'aumône, la main sur l'épée- bavardaient, appuyés contre une porte. Avisant la présence de Léandre et du gamin, ils se dirigèrent vers eux. François porta sa main droite au côté gauche par réflexe, avant de se souvenir qu'il n'était pas armé.
-Maître, ils viennent vers nous ! Il nous faut fuir !
Pour toute réponse, le chirurgien posa sa main sur l'épaule de François.
Lorsque les narquois se placèrent autour d'eux, Léandre leur adressa la parole :
-Simon le [abbr=souteneur]marjaud[/abbr] a besoin de mes services
Celui qui semblait être le chef des narquois lui répondit :
-Si fait, le [abbr=roi de la cour des miracles]Grand Coësre [/abbr] nous a prévenus, Pierre te mènera à lui...
Ledit Pierre fit signe au chirurgien et à son valet de les suivre. Il les guida dans un labyrinthe d'escaliers, de couloirs et d'arrière-cours, jusqu'à une porte dont il manœuvra le heurtoir. Lorsque la porte s'ouvrit dans un grincement, François poussa un cri d'horreur. Il se trouvait face à son pire cauchemar. Sous une capuche un visage jaunâtre, maigre, aux yeux exorbités, dépourvu de nez et de lèvres lui souriait de toutes ses dents. François se sauva à toutes jambes, mais fut rattrapé dans l'escalier par Pierre qui le ramena auprès de son maître.
-Eh bien François... On dirait que tu n'as jamais vu un lépreux... Gageons qu'il n'y a pas meilleur huissier... Personne n'oserait entrer ici sans l'accord de son maître...
Ils entrèrent dans la pièce, François continuant à surveiller le pseudo mort-vivant du coin de l'oeil. Dans un coin, un homme présentant de nombreuses blessures, ulcères et escarres était allongé à même le sol.
-Est-ce cet homme qui a besoin de vos soins, maître ?
-Non, celui là est un Malingreux, un simulateur. Il demande l'aumône dans les églises, en prétendant réunir la somme nécessaire pour entreprendre le pèlerinage qui doit le guérir.
Le médecin s'avança plus avant dans la pièce et ouvrit une autre porte. Dans la pénombre, on pouvait deviner une forme gisant sur un grabat. François approcha sa lanterne, et recula d'un pas, la main devant la bouche : la jambe du blessé grouillait de vers...
-Maître ! C'est horrible ! La blessure est pleine de vermine. Il faut lui couper la jambe !
-Oui, bien sûr... Et aussi tremper le moignon dans l'huile bouillante pour cautériser... Apprends, disciple, que ce que tu appelles vermine, sont des asticots de la mouche verte et qu'ils vont soigner cet homme mieux que ne le ferait un chirurgien.
-vous plaisantez ?
-Que nenni, cet homme s'est jeté du haut des remparts pour échapper aux sergents du guet et s'est brisé la jambe de telle façon que l'os sortait de la blessure. J'ai réduit la fracture et nos amis les asticots sont en train de le soigner... Il semblerait qu'ils aident à la cicatrisation en détruisant les chairs mortes et en protégeant la victime de l'infection tel que l'a observé mon maître, Ambroise Paré, Lors du siège de Saint Quentin en 1557. On dit que c'est au siège de cette ville, justement, que Philippe II d’Espagne, prit conscience des souffrances que la guerre fait endurer aux hommes.
[i]Les voies du Seigneur sont impénétrables...[i]
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11-03-2010, 01:18 PM
(This post was last modified: 04-06-2012, 12:48 PM by 40some.)
Paris, mai 1610
Trois heures venaient de sonner à l'église Saint Jacques de la Boucherie. La porte de l'appentis où logeait François s'ouvrit brusquement.
-François ! Mon porte manteau ! Nous partons !
-Mais... Il fait nuit noire, ne pouvons nous attendre l'aube ?
-Tais-toi et fais ce que je dis, prépare ma malle, fais ton baluchon, nous partons maintenant.
Ils sortirent de Paris au petit matin par la porte saint Martin. Les sentinelles les laissèrent passer sans problème... Lorsqu'ils furent assez loin de la ville, le cocher demanda :
-Où allons nous maître ?
-Nous allons à Amiens, en Picardie. J'y ai des amis et la frontière avec les Pays Bas Espagnols n'est qu'à dix lieues de la ville, si d'aventure nous devons fuir le royaume...
François regarda son maître.
-Fuir ? Mais pourquoi donc ?
-Tu as certainement entendu parler de ce lâche attentat commis contre notre roi Henri le quatrième ? Il se trouve que le régicide a été hébergé par notre protectrice, Charlotte du Tillet. J'ai conversé avec ce Ravaillac... Et je crains qu'il n'ait mal interprété certains de mes propos hostiles à l'égard de notre souverain... Et Dieu sait ce qu'il risque de dire s'il est soumis à la question. On dit que le prévôt de Paris lui a écrasé les pouces avec d'un rouet d'arquebuse pour lui faire avouer qui étaient ses complices !
Les années qui suivirent, Léandre et ses serviteurs habitèrent dans une ferme, hors les murs, au nord d'Amiens. Il s'agissait de ne pas se retrouver enfermé dans la ville, si d'aventure on devait fuir vers les Flandres. Le chirurgien s'était fait une petite clientèle de bourgeois, mais soignait à l'occasion les gueux qui en avaient besoin. Lorsqu'un de ces bourgeois s'en offusquait, Léandre lui remémorait l'échange verbal entre Charles IX et Ambroise Paré :
-J'espère bien que tu vas mieux soigner les rois que les pauvres ?
- Non Sire, c'est impossible.
- Et pourquoi ?
-Parce que je soigne les pauvres comme des rois.
François avait eu du mal à s'habituer au langage rude des habitants du cru, mais il aimait cette ville où, dit-on, Saint Martin partagea son manteau avec un pauvre. mais l'endroit qu'il appréciait par dessus tout, c'était la cathédrale où il passait son temps à rêver devant les stalles décorées.Il envisageait sans problème passer sa vie ici, sous les ordres de Maître Petit (le chirurgien avait raccourci son nom par souci de discrétion) à combattre le Mal en soulageant les souffrances des hommes, éprouvés par les maladies, les épidémies, les guerres...
Amiens, août 1611
Il était tard et la nuit était tombée, lorsqu'un des sergents du guet vint frapper chez le chirurgien. Pierre, l'ancien soldat, était caché derrière la porte, la rapière hors du fourreau, mais le visiteur n'était pas là pour eux, du moins pas pour ce qu'ils craignaient.
-Maître Petit, venez vite ! C'est Julien. On a besoin de vous ! Ma nièce ! Elle est en mal d'enfantement...
Le chirurgien, intrigué s'avança vers la porte.
-Que me dis tu là ? C'est l'affaire des matrones, ou alors c'est que ta nièce est à l'article de la mort...
-L'accouchement se passe mal... Les matrones ont essayé tous leurs tours de sorcières, mais l'enfant se présente mal...
-Bien, guide nous jusqu'à sa maison... François ! La lanterne !
Ils suivirent le sergent du guet jusqu'à la porte nord de la ville. Après les formalités d'usage, ils passèrent la herse et s'enfoncèrent dans les méandres du quartier Saint Leu jusqu'à une maison d'où provenaient les cris de la parturiente. Une grosse paysanne au teint rougeaud ouvrit la porte.
-Qu'o voulez ? 'O savez bin qu'chés hommes n'rintent mie dins l'maison d'eine femme in travaille d'éfant.
-Je suis le chirurgien, J'ai été mandé par l'oncle de la parturiente.
-Bin rinte alors min fiu, mais chés z'aut' y restent dehors.
-Bien, J'aurai besoin de mon apprenti, mais pour l'heure, François, tu vas aller trouver l'apothicaire. Tu me ramèneras du laudanum, de l'huile de violette et de laurier et du fil de soie s'il en a. Pierre, tu montes la garde devant la maison. Quant à vous l'oncle, courez jusqu'à la cathédrale et priez pour votre nièce.
François courut à toutes jambes chez l'apothicaire. S'il connaissait bien l'emplacement de la boutique, réveiller ce vieux ronchon de maître Roncelin n'était pas gagné d'avance. Il avait tambouriné à la porte et crié si fort qu'il était sûr d'avoir réveillé tout le quartier, mais ce vieux coquin d'apothicaire ne voulait pas montrer son vilain museau. Comme il aurait aimé échanger à ce moment tous ses pouvoirs contre celui de passe muraille. Enfin, la porte s'ouvrit, et après une transaction et un coup de pied dans les côtes pour son insolence, François fit le chemin en sens inverse, son paquet sous le bras.
-Pierre ? Pierrot ? Où es-tu ?
François se posait des questions... Jamais il n'avait vu Pierre quitter son poste, et pourtant, l'ancien narquois n'était pas là. Il se décida à entrer dans la maison, tous les sens aux aguets. Dans la pénombre, l'apprenti vit les matrones au rez-de-chaussée, l'une était endormie sur une chaise, et l'autre allongée sur un banc.
Bon, se dit il, l'accouchement est fini, les matrones prennent un repos bien mérité, et mon maître est rentré à la ferme avec Pierre. C'était bien la peine de réveiller toute la ville... Mais attends... L'l'apothicaire a beau avoir été le dernier des lambins, ce n'est pas possible que ce soit déjà fini... Et après l'accouchement on boit un coup, non ? Je boirais bien un peu de ce petit vin des coteaux de Saint Pierre...
Alors que François réfléchit intensément, un cri parvient du premier étage.
-Noooon ! Pas mon enfant ! Sainte Catherine, aidez moi !
-Ah ! Si on invoque Catherine, faut y aller... C'est pas vraiment ma supérieure, mais je suis dans un bon jour...
En arrivant en haut de l'escalier, François voit son maître, dans un coin de la pièce, la tête en sang. Le coupable n'est certainement autre que l'homme qui se tient devant le lit de l'accouchée, menaçant d'une masse d'arme le nouveau né qu'elle tient dans ses bras.
-Donne moi cet enfant, catin, que je lui fasse un sort ! Je ne veux pas d'un bâtard qui pourrait affaiblir le sang de ma famille !
-Non ! Pitié messire Gontran ! Sainte Catherine, à moi !
Toujours prêt à défendre la veuve et l'orphelin, François apostrophe l'homme...
Holà, faquin ! Si tu ne souhaitais pas d'héritier, il fallait te faire nouer l'aiguillette...
L'homme se tourne vers François et tente de lui asséner un coup de masse. L'apprenti esquive, mais en reculant, glisse dans un liquide visqueux répandu sur le plancher de la chambre et se retrouve en bas de l'escalier plus vite qu'il ne l'aurait voulu.
Tu ne sauras donc jamais garder ta bouche ! Jure t-il contre lui même.
Messire Gontran descend l'escalier, prêt à punir François pour son audace. Bon point : il a lâché la mère et l'enfant...
François esquive une nouvelle fois un moulinet de masse et se réfugie sous la table. Là il trouve Pierre, victime aussi de la masse d'arme de messire Gontran, mal en point mais vivant... Il n'a même pas eu le temps de tirer sa rapière. François sort la lame de son fourreau et sort de sous la table. Le combat va être plus équilibré maintenant.
Voyant un enfant armé d'une épée, Messire Gontran se gausse :
-Range cette lame, goujat, tu vas te blesser !
L'apprenti ne répond même pas. En deux coups, la masse d'arme saute et messire Gontran se retrouve à sa merci. Cela fait une éternité que François n'a pas touché une épée... Emporté par sa fureur belliqueuse, il se prépare à couper son adversaire en deux, de la barbe aux génitailles. C'est Alors qu'il avise le chirurgien en haut de l'escalier. Il a le visage en sang mais il est debout. Ses paroles, méprisantes, frappent François comme un coup de fouet.
-Un Laurent sera toujours un Laurent !
Rassuré par l'intervention de son maître et refroidi par son commentaire, François jette l'épée, attrape la main de son adversaire, le regarde dans les yeux et se concentre. En un instant, Messire Gontran rejoint les bras de Morphée et s'écroule lourdement sur le plancher...
Un Laurent sera toujours un Laurent... Faut voir... J'ai tout mon temps, non ?
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