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Elle fut la première
#1
La nuit était calme et seul le bruit de la guitare provenant du petit feu de camp venait troubler l'air nocturne.

Comme chaque année à la même date, ils étaient quelques amis à se retrouver pour un barbecue sauvage sur les berges de la rivière qui ceinturait l'île de la Mairie. Ambiance bon enfant, saucisses grillées et bière bon marché étaient d'après eux les ingrédients d'une soirée réussie.

La soirée s'annonçait particulièrement sympathique pour Chrissie Watkins, jeune étudiante américaine venue étudier à Immac pour cette année : elle ne laissait visiblement pas indifférente le grand type maigre qui la dévisageait par-dessus les flammes crépitantes du feu de camp. Elle ignorait son nom ; un ami ou un collègue de sa coloc, elle ne savait plus très bien. Il éclusait une bière après l'autre, visiblement pour se donner le courage d'aborder la jeune fille.

En tout cas, il était plutôt mignon, et l'alcool aidant Chrissie se laissait dévorer du regard avec complaisance. Elle n'avait pas encore eu de petit ami français, c'était sans doute ce soir que cette situation allait changer.

Prenant tout le monde de cours, elle se leva subitement et s'écria :
"Je vais me baigner !", et s'éclipsa furtivement vers la rivière, non sans jeter un regard discret mais évocateur au jeune homme.

"T'es folle, elle est super froide..." lui répliquèrent ses compagnons, mais elle était déjà partie.
Le jeune homme se leva à sa suite, maugréant un
"J'vais m'baigner aussi", et prit la même direction.

Dés que l'on s'éloignait du feu la pénombre s'intensifiait, seulement traversée par la pâle lumière de la Lune entre deux nuages. Il l'entendait rire tandis qu'il se dirigeait d'un pas mal assuré vers l'eau, et trouva après quelques dizaines de mètres son sweat-shirt, suivi plus loin de son pantalon, d'un t-shirt, jusqu'à ce qu'enfin au niveau de la berge il trouve une culotte et un soutien-gorge.

Impossible de voir Chrissie dans la pénombre qui enveloppait la rivière, mais il l'entendait nager et glousser un peu plus loin.
Le jeune homme entreprit également de se dévêtir afin de la rejoindre, mais malheureusement l'alcool qu'il avait bu sans modération toute la soirée (apéro + chauffe + binouzes + mélanges) eut raison de lui, et c'est avec l'élégance d'un sac à patates qu'il s'écroula sur le sable humide, le froc sur les genoux, pour s'engouffrer aussitôt dans un semi-coma éthylique dont il ne devait sortir que de nombreuses (et fatales) heures plus tard.

Ignorant que son compagnon était en train de dormir dans son vomi à quelques mètres seulement de là, Chrissie barbotait. C'est vrai que l'eau était plutôt fraîche, mais après tout c'était vivifiant et très bon pour la santé. A ce stade de notre récit, elle ne se doutait pas un instant que dans les profondeurs boueuses du lit de la rivière, une créature cauchemardesque venait d'ouvrir ses deux petits yeux rouges et cruels.

Tout en nageant elle s'éloignât progressivement de la berge. Au moment de se retourner pour héler son compagnon, elle ressenti comme un choc dans le pied droit, et pensa avoir heurté une branche morte qui traînait entre deux eaux. Toutefois en tâtonnant pour vérifier qu'elle ne s'était pas blessée, l'incompréhension se peignit sur son visage : au lieu de son pied et des orteils qui habituellement l'accompagnent, sa main fébrile ne senti qu'un magma informe de chairs et d'os brisés. Au même moment la douleur et la panique la submergèrent.

Elle sentit quelque chose la frôler dans l'eau, et tenter de saisir son autre jambe. Elle voulut hurler mais bu la tasse. Entre deux hoquets, en se débattant dans l'eau désormais bouillonnante, elle parvint à se rapprocher d'une bouée située au milieu de la rivière ; ses ongles se cassèrent sur le métal humide et froid, et ses doigts glissèrent sans parvenir à trouver de prise.

Elle fut entraînée sous l'eau une fois, deux fois, puis ses membres perdirent de leur force, l'eau envahit sa gorge et ses poumons, et outre le bouillonnement écarlate dans lequel elle se trouvait, elle n'entendait que cet atroce bruit de mastication, et eut juste le temps de comprendre qu'elle était en train d'être dévorée vivante lorsque la raison, puis la conscience et enfin la vie abandonnèrent son corps mutilé.

Sur le sable, le jeune homme n'avait pas bougé (et serait incapable de se souvenir de quoi que ce soit face à la police qui le considérera comme le principal suspect dans cette affaire).



Quelques minutes plus tard, une main fétide surgissait de l'eau et s'accrochait à un barreau d'échelle permettant d'accéder aux Docks, sur la rive opposée.
Tout juste incarné dans le corps d'un adolescent suicidé par noyade, le démon Jaws respira sa première bouffée d'air terrestre depuis des éons.

Il rétracta dans une grimace les dents ignobles qui défiguraient son visage, et lâcha un rot monumental, de ceux qui accompagnent les festins orgiaques. Il gravit l'échelle et rampa dans un coin sombre entre deux containers. Lentement la désorientation et le vertige post-incarnation se dissipèrent.

Sa voix gutturale et éraillée résonna contre les parois d'acier de son refuge temporaire.

"Hhhhhh... Hhhhhh... La chair... Ô mes Maîtres... Ô Lucifer... La chair... Hhhhhh..."

D'un ongle long et sale, il se racla un interstice entre deux molaires et en extirpa une touffe de cheveux, qu'il roula en boule et ingurgita sans même y penser, les yeux dans le vide.


Immac comptait un nouveau serviteur du Mal.
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