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Devil Inside - Abigail - 10-09-2007 Le feu crépite au bout des torches qui tracent une frontière entre deux mondes dans cette vallée. D’un côté, les badauds rassemblés pour voir le spectacle se complaisent en rires gras et en injures. Les flammes se reflètent parfois dans leurs visages brillants de sueur, leurs yeux malades ou leurs bouches déformées de haine, faisant surgir de la nuit noire des faces grimaçantes et hideuses. De l’autre côté, un homme est attaché à un piquet, lui-même planté dans un assemblage de bois et de paille. Il est seul sur son bûcher, tout son corps avachi comme celui d’une personne endormie et maintenue debout par les liens serrés autour de ses poignets et de son cou. Entre les deux, les porteurs des flambeaux restent de marbre, formant un arc de cercle presque parfait. Leur tunique rouge caractéristique de l’Inquisition brille de mille feux accentuant cette impression de rempart écarlate infranchissable. Mais voilà que la barrière de flammes s’ouvre pour laisser passer deux hommes armés traînant une créature qui fut peut-être jadis une belle femme mais dont le visage ensanglanté et aux os brisés interdit désormais ce qualificatif. Elle se laisse faire, entièrement soumise. Le seul indice de vie dans ce corps se résume à ses lèvres remuantes et marmonnant des paroles que seuls des auditeurs attentifs perçoivent : « J’ai péché... Je suis damnée... Le démon est... en moi... ». Dans les hauteurs, surplombant la vallée baignée de feux, une cavalière contemple la scène. Elle est assise en amazone sur sa monture, par choix peut-être, mais sa robe luxueuse lui interdirait toute autre position. Tout en elle évoque la noblesse, à l’exception de deux détails. Sa coiffure est défaite, c’est un visage échevelé qu’elle tourne vers la vallée en contrebas, et quelques gouttes de sang mouchètent le col de sa robe. Un sourire naît sur le visage d’Abigail alors qu’elle se remémore les dernières heures. <center>***</center> Il y a peu, elle gisait dans une cellule en pierre froide et humide, vêtue de toiles grossières et habitait le corps d’une femme plus jeune et à la beauté moins sophistiquée. Deux hommes en armes surveillaient le moindre de ses mouvements. Abigail jouait à rendre ceux-ci particulièrement suggestifs, mettant à rude épreuve l’emprise que les geôliers possédaient sur eux-mêmes. Une silhouette encapuchonnée se profila à la porte et mit un terme à ce jeu. Elle congédia les gardes d’une voix autoritaire qu’Abigail reconnut pour être celle de la Duchesse de Canovas del Castillo. La nouvelle venue entra d’un pas prudent dans la cellule, révéla son visage et cracha ses paroles avec une haine mêlée de dédain. « Et bien catin ! Chienne ! Sorcière ! Te voilà arrivée au crépuscule de ta misérable existence ! Qui croyais-tu pouvoir duper ? Moi ? L’Inquisition ? Dieu ? Pauvre souillon ! Tes sortilèges ont fait leur temps et tu les rejoindras dans le néant ! Le bûcher t’attend mais il n’est rien comparé aux tourments qui suivront. Puisses-tu brûler en Enfer comme la garce que tu es. Et nous qui t’avons accueillie, qui t’avons nourrie, qui t’avons donné une situation ! Quelle vipère n’avons-nous pas introduit chez nous ! » Abigail leva des yeux rieurs vers la Duchesse. Elle s’était effectivement introduite dans sa demeure au titre de simple domestique, s’abaissant aux plus basses besognes contre un toit et un morceau de pain. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour obtenir les faveurs du Duc qu’elle avait pris plaisir à faire sombrer dans mille péchés de luxure. La Duchesse, néanmoins, était devenue soupçonneuse. Elle avait surgi au milieu de l’une des amusettes et n’avait pu supporter le spectacle qui s’étalait sous ses yeux. Enfermant Abigail dans son cachot, elle avait fait venir l’Inquisition pour qu’ils châtient la corruptrice qui ne pouvait avoir perverti son époux qu’aux prix de sortilèges obtenus par un pacte avec Satan. Ce qu’elle n’avait pas prévu, c’était que le jugement de l’église s’abattrait également sur le Duc qui avait forniqué avec l’envoyée du Diable. Deux bûchers furent donc dressés et il était désormais temps d’en faire bon usage. La Duchesse, dressée devant Abigail et troublée par l’étincelle de défi dans le regard que lui jetait l’auteure de ses tourments, perdit peu à peu sa contenance. Le masque de haine fit place au désespoir et ses paroles devinrent rythmées par des sanglots. « Oooh... J’aurais dû m’en douter plus tôt... Déjouer ton petit manège avant que cela n’aille si loin... Alors peut-être aurais-je pu le sauver ? Il agissait si étrangement avec moi ces derniers temps... Lui, si froid d’habitude, s’était fait mari aimant et attentionné... Nous nous unissions comme jamais auparavant... Que... Que faites-vous ? » Elle recula d’un pas alors qu’Abigail se levait et se débarrassait de ses vêtements grossiers qui tombèrent lourdement au sol. Le corps nu de la servante se modifia devant les yeux effrayés de la Duchesse pour laisser peu à peu place à une réplique exacte de son mari. Vive comme l’éclair, Abigail plaqua une main large sur la bouche de la Duchesse afin d’en étouffer le cri. Elle l’approcha tout contre son corps dénudé et lui souffla à l’oreille. « Pauvre petite Duchesse... Comme tu es futée, tu as presque tout deviné : mes affaires avec ton époux, ainsi que ma réelle nature... Un détail t’a échappé néanmoins, mais je vois à tes yeux que tu comprends maintenant, n’est-ce pas ? Les hommes ne changent pas. Mais ils peuvent être... remplacés. » Agibail s’écarta d’un pas et contempla son œuvre. La Duchesse était blême, balbutiante, paralysée par la révélation. Ses yeux vides s’éclairèrent soudain d’une terreur encore plus profonde, elle baissa le regard vers son ventre auquel elle porta une main prise de violents tremblements. « Ooooh, petite Duchesse, tu as aussi compris cela ? Tu es vraiment brillante. » Le corps de la Duchesse s’affaissa comme si la vie s’en était échappée. Abigail s’en approcha, une lourde pierre à la main, et en frappa le visage à plusieurs reprises. Elle prit successivement la robe et l’apparence de la Duchesse avant de sortir de la cellule et expliquer aux gardes qu’elle avait puni l’impudente à sa manière. <center>***</center> Les flammes s’élèvent désormais à bonne hauteur dans la vallée. La fumée noire qui s’en échappe forme des volutes aux formes étrangement menaçantes. Plus haut, un cheval débute sa course au son du rire de sa cavalière. |